lundi 24 février 2014

MONDKOPF - Hadès

Quand le maître des lieux a voulu que je fasse la chronique de cet album, j'ai tiqué. J'y connais rien en musique, c'était peut-être mieux que je me taise. Mais vu que j'allais aussi au concert (samedi 22), ça devenait de plus en plus difficile de refuser... Alors un peu d'indulgence, ma plume n'est pas aussi aiguisée que la sienne. 

L'enfer de Mondkopf est pavé de scuds violents et d'intenses orgies rythmiques. Le premier contact avec l'objet est déjà une agression : une pochette monochrome, une roche abrasive qui baigne dans un rouge sulfureux et éclatant. C'est sûr, on n'accèdera pas aux limbes de la techno sans se brûler un peu les ailes, sans laisser quelques tâches au fond de la culotte non plus... 

Animé d'une bestialité vindicative qu'on lui connaissait peu, l'Hadès de Paul Régimbeau hurle une noirceur toute nouvelle, crie une étrange mélancolie nihiliste. Le morceau qui ouvre l'album, sobrement intitulé Hadès 1 est à la fois un condensé de ce qui nous attend et une annonce mortuaire des plus inquiétantes : l'intro est particulièrement agressive jusqu'à l'arrivée de cuivres, hermès mortifères, ténébreux et fiévreux. Charon vous attend, au bord d'un Styx bien agité : la traversée ne se fera pas sans encombre, vous êtes prévenus. 

En fait, Régimbeau se fait plus Virgile que Charon. Une fois le pied posé de l'autre côté du cinquième cercle, il se met dans la peau du poète qui accompagna Dante aux enfers dans La Divine Comédie, lui faisant découvrir les mille et un recoins et les mille et une tortures de ce topos fantasmatique. Il revisite un imaginaire violent et tortueux, où la profondeur des beat n'a d'égale que la puissance des déflagrations qui jaillissent aux quatre coins de l'album. Si Eternal Dust n'est pas sans rappeler les rythmiques vénéneuses de Forest Swords, les morceaux Cause & Cure ou Immolate tirent carrément plus vers la techno pure, de l'Ancient Methods qu'on aurait trempé dans l'acide, du Vatican Shadow sous glucuronamide. Un rien pervers. 

Dans ce voyage lugubre et éreintant, Mondkopf déploie aussi quelques interjections fantomatiques. Le morceau Here Come The Whispers porte bien son nom : plus vaporeux, plus fuyant, il sonne comme une sourde lamentation crépusculaire, comme une lourde plainte désolée. Absences alterne lui entre une rythmique hyper hachée et la chaleur incommodante de grésillements terrifiants. Le morceau s'achève dans un véritable bain de sang, explosé de vibrations et de stances aussi violentes que grisantes. We Watch The End est tout aussi explicite : il y souffle un vent glaciale et spectral bien flippant, hantant comme rarement un dénouement d'album...

En attendant la chronique sur le concert de samedi, Hadès peut logiquement s'écouter en famille, à la maison, les soirs sales comme les matins cuités. Il mettra quelques gifles à votre petit frère qui s'extasie encore devant l'Aleph de Gesaffelstein. Ca peut pas lui faire de mal à ce merdeux.

jeudi 20 février 2014

YO LA TENGO - Super Kiwi

Un kiwi qui sauve un kiwi... c'est Super Kiwi, le meilleur titre de tous les temps avec la meilleure pochette de 7" possible, et c'est Yo La Tengo qui y a pensé en premier. Forcément. J'ai eu du mal a rentrer dans le dernier LP du groupe New Yorkais, lui reconnaissant tout le charme nécessaire et évident, mais il y a ce je ne sais quoi qui fait que j'ai un mal fou à apprécier. pourtant le précédent album était un enregistrement somptueux, et le fait que John McEntire produise celui-ci devrait me ravir. Session rattrapage avec ce Super Kiwi, composé de 2 titres. Sur la face A, un morceau tout en saturation baveuse et up tempo, on pense au son MBV en plus détendu, le batteur de Tortoise, encore une fois derrière la console, y déploie le son le plus aqueux dispo à son Soma de studio, pas loin du son hyper crade du morceau punk de Beacons Of Ancestoship. De l'autre côté, Yo La Tengo joue une réponse nettement plus calme, tout en corde claire et en clavier lumineux, où les voix s'apposent délicatement.

jeudi 13 février 2014

La Belle et la Bête de Christophe Gans

La Belle et la Bête version Christophe Gans est typiquement le genre de films que l'on adorerait pouvoir aimer. Des acteurs principaux que l'on sait capables d'être charismatiques, un budget conséquent, le savoir faire de Gans, grand imagier (souvenons nous avec nostalgie des ambiances glauques et mélancoliques de son Silent Hill), et un conte fédérateur qui a habité l'enfance de chacun d'entre nous, que ce soit littérairement ou cinématographiquement (Cocteau ou Disney). Pourtant, impossible de s'attacher à quoi que ce soit dans cette relecture tapageuse et trop léchée pour être intrigante, d'un conte aux potentialités sulfureuses et poétiques pourtant évidentes. La Belle et la Bête est un récit de passage, un peu comme peut l'être le Marie-Antoinette de Sofia Coppola ou, bien évidemment, Alice aux Pays des Merveilles. Une jeune fille, très proche de son père, est contrainte à un choix cornélien: voir son père partir et disparaître, la reléguant à son statut de fille cadette, à jamais femme-enfant amputée d'une figure paternelle qui la porte ; ou bien devenir femme, et se jeter dans la "gueule du loup". La Bête, figure fantasmatique d'une virilité non maîtrisable, effrayante et inconnue, ne redevient homme qu'au moment du renoncement de la jeune fille à son statut d'enfant : en acceptant l'amour qu'elle lui porte, elle devient femme et le visage de celui qu'elle aime, alors, reprend les traits d'un être humain.

Cocteau avait su en faire un poème oscillant entre les brouillards d'un surréalisme feutré, pour ne pas dire bourgeois, et les convulsions érotiques baroques. Gans a lissé ses personnages à l'extrême, ne leur offrant que peu de prise psychologique et bien trop peu de temps pour en développer l'ampleur. Sa Belle est trop guindée, et ses bribes d'effronterie sont noyées dans une gentillesse de "fille à papa" bien convenante. Toutefois, il n'a pas évacué toutes les tensions sexuelles qui font de ce conte un récit initiatique : Belle entreprend bien de rompre le cordon qui la lie amoureusement à son père et accepte au fur et à mesure son statut de femme : elle échange ses haillons de paysanne pour des robes lourdes et chargées (passage des vêtements d'enfant aux vêtements de femme), elle accepte la potentialité érotique de son corps lors d'une danse avec la Bête où se noue un premier contact physique. Surtout, elle s'attache à lui en découvrant le passé du prince : à travers de gigantesques miroirs (circulaires et même ouvertement en forme de vagin pour certains), elle apprend à connaître cette bête qui fut autrefois un homme, certes impétueux et prétentieux, mais surtout obsédé par son besoin de dominer une Nature qui lui échappe. Et ici, bien évidemment, la Nature renvoie à l'altérité féminine, incomprise, double et fuyante, qui prend tantôt les traits d'une biche dorée, tantôt ceux d'une nymphe aux formes humaines.

Les flashbacks de Gans sont un procédé bien trop simples et bien trop explicatifs, dénouant toute possibilité érotique dans la relation qu'entretiennent la Belle et la Bête. Il n'y a, en réalité, aucun face à face qui nous permette de mesurer l'étendue de ce qui les sépare et, réciproquement, l'étendue de ce qui les rapproche. En cela, le dessin animé de Disney procédait bien plus judicieusement en accordant une place plus conséquente à l'évolution sur moyen terme de la relation entre les deux personnages. Chez Gans, l'amour de la Belle est surgissant et incompréhensible. Rien ne permet d'en justifier la présence, si ce n'est la mécanique d'acceptation onirique dans laquelle la Belle se plonge chaque nuit en découvrant le passé de son hôte... La Bête elle, reste un personnage éternellement sous exploité et sous exposé : le procédé de flashbacks, toujours, en dissout toutes les aspérités, tous les mystères, toutes les rigidités d'esprit, tous les fantasmes. Notre prince n'a rien d'un bad boy : il est juste un peu trop obsédé par cette biche. On aurait souhaité que Gans insuffle un peu plus de noirceur et de trouble dans ce personnage qui ne brille à aucun moment, ni par sa présence, ni par sa fougue, ni par sa bestialité. La seule séquence que le réalisateur consacre à son animalité nous montre la Bête chassant un sanglier et le dévorant. Là encore, il insiste peu ; ce qui l'intéresse vraiment, c'est la réaction de vierge effarouchée de sa Belle. 

S'il n'a donc pas renoncé à exploiter les potentialités psychologiques du conte, Gans n'en a déjoué aucun piège, dénoué aucun noeud, résorbé aucun litige. Il a gommé, autant qu'il le pouvait, tout ce qui donnait de la chair, de la volupté, de l'ambiguité à ses personnages principaux. Et rien, autour d'eux, ne vient instiguer un quelconque malaise, un quelconque trouble. Les personnages secondaires sont, au sens propre comme au figuré, secondaires : leur traitement est bâclé, autant que le casting a pu l'être d'ailleurs. L'actrice Myriam Charleins, qui joue la diseuse de bonne aventure, est hors sujet du début à la fin. Quant aux frères et soeurs de Belle, leur direction d'acteur est navrante et confine les personnages dans des caricatures grossières de faire-valoir. Un peu comme un joueur de foot en manque de temps de jeu qui veut trop en faire lorsqu'on lui accorde quelques minutes et qui, à force de jouer en surrégime, dérègle toute la mécanique de l'équipe en place...

Un peu, aussi, à l'image de Gans et de sa mise en image pompière. Visiblement frustré de ne pouvoir mener tous les projets qu'il a en tête (de Rahan à Fantomas...), le réalisateur du Pacte des Loups a voulu sortir le grand jeu et livrer une fresque esthétiquement époustouflante, baroque, grandiose. C'est très certainement ce qui rapproche cette version de La Belle et la Bête de l'adaptation d'Alice par Tim Burton : noyé dans une débauche numérique, précieuse et envahissante, le récit est neutralisé par la technique, les enjeux scénaristiques dilués dans l'obligation de fournir un univers visuel que l'on serait obligé de trouver beau. Or cette débauche, si elle ne peut se réclamer de Sade par son manque cruel d'érotisme et de poésie macabre, a de toute évidence l'effet inverse : elle frustre, renfrogne, écoeure. 

dimanche 9 février 2014

Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert

Je vais m'évertuer à faire court et simple, le biopic (nous devrions parler de long spot publicitaire) sur Yves Saint-Laurent se résumant (quasiment) en deux séquences qui ouvrent le film. 

Première séquence : intérieur cossu, pour ne pas dire chargé. Maman Saint-Laurent prend le thé avec ses vieilles copines. Ces dames sont sapées comme au milieu du XIXe siècle, coiffures improbables, robes chichiteuses et discussions de circonstance. Elles parlent de ce qui se passe à Alger, des manifestations et des heurts qui ont lieu dans la capitale algérienne. On se gargarise d'être tranquille à Oran, loin de l'agitation, tout en entretenant le petit frisson bourgeois que cette plèbe affamée ne vienne taper à la porte de la somptueuse demeure pour demander son du aux colons qui s'abreuvent tranquillement de leur thé arraché aux dos des noirs, des arabes et des indochinois qu'ils exploitent. 

Seconde séquence : Yves est à son bureau, dans la chambre de cette même maison où sa mère fait chauffer son goitre avec ses pine-co. Il travaille le petit, à dessiner des robes, comme toujours. Il n'y a que cela qui l'intéresse. Cela et le cul visiblement. Se levant de son fauteuil, le jeune homme (incarné par Pierre Niney) jette un coup d'oeil à la fenêtre et regarde, surplombant, un ouvrier arabe qui passe justement par ici. Cet ouvrier lui renvoie le regard. Yves sourit... Il va prendre cher, c'est sûr. 

Voilà par quoi Jalil Lespert a choisi d'ouvrir son film sur Yves Saint-Laurent et, par la-même, voilà ce qu'il a choisi de nous en dire. Enfermé, Saint-Laurent ne l'est pas seulement dans sa chambre, il l'est dans sa névrose : reclus dans son statut de fils à papa surprotégé de tout, il est, pire encore, perpétuellement hors du monde. Les événements d'Alger ? Il n'en a cure, il doit dessiner. La guerre d'Algérie ? Il sera interné en hôpital psychiatrique lorsqu'on lui demandera d'aller servir sur le front. Mai 68 ? Il le regarde à la télé marocaine, se poilant de savoir que sa boutique à Saint Germain est fermée à cause des manifestations... Un personnage qui n'aurait donc vécu que dans son égotisme maladif, jamais intéressé par son époque, ni par la prochaine d'ailleurs, juste par son travail...

Il faut dire qu'on l'a tellement gâté le petit fils de colons... Mère poule, papa riche affairiste, gouvernante et copines aux petits soins. L'Algérie lui a donné le goût de l'exotisme : ce plan surplombant où il mate l'ouvrier arabe qui passe, révélant cet homo colonialiste heureux de s'encanailler auprès des autochtones quand il s'agit de baiser, mais jamais pour le reste. Entre blancs dans la famille, entre blancs dans les quartiers chics de Paris. On ne côtoie la racaille étrangère que de façon nocturne, quand on veut voir le loup, aux bords de la Seine... La toute puissance de ce regard ; je ne m'en remets toujours pas. Un plan en plongé totale, Yves le jeune pédé blanc bourgeois qui matte et qui domine entièrement, l'ouvrier qui passe. Symbolique. Terrifiant. Jamais dans le film, Lespert n'interroge cette attitude, jamais il ne la renverse. Il l'alimente au contraire, en accumulant les moments d'entre-soi. Les séquences sur son balcon parisien ne sont qu'un leurre d'ouverture. On y est cloîtré, le monde, le vrai monde, celui des gens qui existent vraiment, pas seulement pour eux, est tellement loin. On ne le voit même pas : il est en bas. Et Lespert n'offre jamais la possibilité de le voir. 

Car Yves Saint-Laurent est un homme d'altitude : de sa chambre oranaise à son balcon parisien, il n'est à l'aise qu'au dessus des autres. Voyez comme le fait d'être comme tout le monde, au milieu de la populace, le désespère ! Il n'est confronté à la réalité que lorsqu'il est appelé à combattre en Algérie. Il panique, fait une dépression, fini sous terre, dans sa cellule psychiatrique. Par ce travail, Lespert essentialise sa position sociale : il y a des gens qui sont faits pour être au-dessus des autres, pour vivre sur la Lune et n'en jamais être délogés par des préoccupations séculières. Le "talent" vous y autorise. 

Basé sur le livre de Pierre Bergé, dont le personnage interprété par Guillaume Gallienne est parfois bien plus au centre des préoccupations du réalisateur que celui de Saint-Laurent, cette hagiographie impudique et terriblement pédante déroule son cadre publicitaire pour mieux servir la gloire d'un créateur qui fut certainement génial dans ce qu'il se donna pour mission de faire, mais dont la vie ne méritait certainement pas d'être portée à l'écran de la sorte... Cela amène une réflexion plus large sur les potentialités cinématographiques du matériau biographique. Lespert se trouve ici dans une position artistiquement intenable : au service de Bergé (qui l'a autorisé à dévoilé des moments particulièrement intimes et gênants de leur relation amoureuse...), de la marque Saint-Laurent, il n'est plus cinéaste mais pigiste de luxe pour un secteur de la mode qui n'en avait pas vraiment besoin. 

Mea Culpa de Fred Cavayé

Alors c'est lui, le nouveau nabab de l'actioner français ? C'est lui le prodige de la course poursuite et des bagarres de rue made in France ? La plaie... Si j'avais su qu'une réputation pouvait s'éteindre en si peu de plans... De Cavayé je n'avais strictement rien vu. Ni Pour elle, tant loué par la critique et remaké aux Etats-Unis par Paul Haggis (Les Trois prochains jours, avec Russel Crowe), le surestimé scénariste de trois Eastwood et deux James Bond, ni A bout portant, sorti en 2010, qui a coûté 10 millions d'euro sans arriver à rameuter en salle un dixième de son prix en équivalent spectateurs (ouais, c'est pas clair...). 

Cavayé propose certainement l'un des plus vilains torchons de ce début d'année : il tente d'explorer l'amitié de deux flics, Vincent Lindon, vu dans Pour elle (tiens, tiens...) et Gilles Lellouche, vu dans A bout portant (ah bah oui...), détruite par un accident de voiture qui a entraîné le divorce du personnage de Lindon, son licenciement de la police, sa déchéance totale, etc. Complètement paumé, il va retrouver sa paire de couilles lorsque son petit mouflet va être menacé par une pègre plus vilaine que vilaine, tout ça parce qu'il n'a pas été foutu de pisser droit et de ne pas traîner dans les corridors d'une arène de... corrida. 

Toute cette petite aventure rapidement musclée et hâtivement mise en valise n'est qu'un prétexte grotesque afin d'interroger une virilité masculine en pleine perte de sens : le personnage de Lindon est totalement émasculé par une faute qu'il croit avoir commise. Cavayé joue sur des effets de flash-back tronqués, à la lourdeur et à la laideur sans nom, pour suggérer une culpabilité terrible, celle d'avoir tué une femme et son chiard après avoir picolé (aparté : j'ai une théorie sur les couleurs. Lorsqu'on veut cacher la misère d'une séquence esthétiquement médiocre, on la noie dans une teinte qui en accroit la dimension irréaliste : un bleu profond, un vert gras, un jaune patate... Les flash-backs de l'accident sont bousillés par un bleu flou et triste, soulignant le côté sombre de ce souvenir tandis que ceux de Lindon et Lellouche à la plage (ouais...) le sont dans un jaune jovial et pétulant, pour mieux en souligner la nostalgie heureuse... Vous avez dit original ?). Il est incapable de tenir son rôle de père, son rôle de mari et même son rôle d'homme (ex : lui le flic intègre obsédé par la justice, reconverti en convoyeur de fonds, ne réussi pas à protéger un de ses collègues martyrisé par une brutasse). C'est l'effondrement du patriarche, menacé par la nouvelle petite tantouze qui convoite sa femme : un gringalet à la barbe de deux jours, qui ne se confronte jamais directement  à la violence (il prend juste un plaisir sadique à regarder les mises à mort de corrida), qui est tristement romantique (le bouquet de fleurs moches), lâche (il se planque derrière les voitures pendant la fusillade) et incapable d'afficher une quelconque autorité (il ne tient même pas la télécommande...). Cavayé pousse l'opposition sommaire jusque dans les traits physiques des personnages : au visage marqué, usé et buriné de Lindon répond le visage très lisse aux traits fins de l'acteur Cyril Lecomte... Bref, on le voit bien, c'est un concurrent fantoche : parce que quand notre gros mâle en mal de masculinité aura retrouvé sa paire de burnes dans les cendres de son amnésie accidentée, il n'aura même pas besoin de bomber le torse longtemps, sa femme, toute noyée dans son besoin de protection, répudiera le prétendant, sans la moindre contestation. 

Par delà cette réaffirmation de la figure du mâle dans toute sa splendeur (protectrice, juste, violente, virile), c'est le sondage de l'amitié entre hommes qui est le deuxième noeud de l'intrigue : Lellouche et Lindon sont deux potes fort en gueule, rongés par un accident de voiture qui cache un lourd secret. Et ce secret, Cavayé le jalonne avec des sabots tellement encrottés qu'on n'en peut plus de soupirer devant la vacuité immense qui épouse la forme de l'écran... Lorsque le gamin demande à Lellouche si il connaissait les gens que son père a tué, le flic répond que non et que son père n'a tué personne. Le gamin demande alors pourquoi il est allé en prison, ce à quoi Lellouche rétorque que parfois, même quand on est innocent, on va en taule... Voilà, voilà, ça vaut bien une heure trente de profonde marade à Marseille non ? 

Ah oui Marseille ! C'est si charmant l'opportunisme... Quoi de mieux que cette ville à la sulfureuse réputation pour aborder le crime organisé, le trafic de putes et de dope, mené par des serbes au crâne rasé, qui kiffent les merco et les entrechats au couteau ? Bah rien, tant qu'à faire dans le cliché, enfonçons nous-y gaiement ! Nos vilaines quiches mafieuses viennent de l'Est, bien évidemment, font toujours des grimaces et sont les seules fauteuses de trouble dans cette cité phocéenne qui a pourtant l'air si calme quand la police fait son travail... 

Cavayé est donc le petit prince de l'action à la française, avec tout ses glaviots poivrés et bien bruns, nourri aux vigilent de Branson et aux nanars 80's de Delon. Du cinéma des années 90 au mieux, jamais pertinent, toujours dans la caricature outrageante des sentiments humains et dans les oppositions factices, toujours à chercher une tangente manichéenne et vieux jeu, toujours à regarder le nombril des archaïsmes qui s'écroulent plutôt qu'à en chercher des échappatoires. 

jeudi 6 février 2014

EMPTYSET - Recur

Le duo de la quête de la fréquence et de la distortion remettent le couvert avec la petite soeur de Demiurge, après un Medium moins convaincant et un autre EP, plutôt bon, chez Raster Noton. C'est chez ces derniers d'ailleurs que le duo Purgas et Ginzburg décident de publier ce nouvel album. Ils ne feront pas tâche au milieu des autres artistes du label, comme d'ailleurs ils ne trahiront pas le son Emptyset. La production du groupe ne change pas. Les deux restent exactement dans les mêmes sphères, explorant toujours le son avec la même logique, avec la même méthode. Beats simplifiés à l'extrême, l'éloignement avec la dance music se creuse encore. De simples kicks et des idées de charley re-dessinées à l'oscillateur. Le reste est composé de bruits blancs, de réverbérations et échos manipulés comme instrument à part entière, de distortions comme guide absolu. Des sons courts rallongés via les traitements, des mesures martelantes s'interrompant pour laisser l'objet sonore vivre seul : le son et l'espace, les fréquences et leur dégradation, les résonnances et leur impact- voilà le projet. Un dub total et technique qui s'affranchit de toute forme pour n'explorer que le studio, en oubliant la musique. En soi, c'est une analogie déjà proposée, mais la démarche actuelle d'Emptyset me rappelle de plus en plus celle de SunnO))), tant la route est similaire. Dorénavant, le duo n'explore plus que des variations et déclinaisons de son produit, n'innovant que dans ses concepts et moins dans sa forme. L'exploration, la quête continue, mais de surprise il n'y a plus. Pour ceux qui ont totalement usé Demiurge, Recur est indispensable. Pour ceux qui l'auraient écouté comme n'importe quel autre album sans s'y plonger totalement, ils ne verront pas la différence.