Etonnamment, je n'ai jamais vraiment abordé le cinéma du canadien Guy Maddin. J'en avais brièvement parlé lorsque j'avais chroniqué l'exposition My Winnipeg à la Maison Rouge. Mais je ne m'étais pas attardé sur un de ces films. C'est une chose qu'il me faut réparer, non pas parce qu'il connaît soudainement un succès mondial, mais parce qu'il est presque impensable que je reste aussi mondain et renfrogné et que j'occulte la cinématographie d'un réalisateur sans lequel je ne saurais rêver...
En février dernier, Guy Maddin a lancé une expérience inédite. A l'occasion de la sortie de son dernier film, Keyhole (traduit avec toute la bâtardise qu'on connaît ici par Ulysse, souviens-toi !), il occupait simultanément Beaubourg pour y tourner plusieurs courts métrages. Son projet était de faire revivre ou du moins d'exhumer, des films de grands réalisateurs qui n'ont jamais été tournés et d'en capter les fantômes lors de séances de spiritisme. Etaient présents, entre autre, au casting de ces quelques étranges expériences, Mathieu Amalric, Udo Kier, Charlotte Rampling, Maria de Medeiros et j'en passe. Le tournage était ouvert à tous.
Pendant ce temps, les plus intrigués pouvaient aller voir en salle ce que donnait réellement un film de Guy Maddin. Méconnu autant ici qu'ailleurs, le canadien est un forcené du noir et blanc, un nostalgique de la pellicule, un brillant cinéphile et un foutu cinglé névrosé. Adorable en interview et dans la vie, ses films recèlent d'une imagerie fantasmagorique, entre mythologie grecque et rêveries libidineuses d'adolescent.
Depuis son premier film, The Dead Father, Maddin ressasse sans relâche des thèmes qui lui sont chers et qui l'ont profondément marqué durant l'enfance : la paternité et, plus généralement, la figure du père, l'inceste, la mort, le hockey, l'amnésie et la déambulation. Le "je" est au centre de sa filmographie. Il s'est même consacré à une autobiographie filmique : Coward Bend The Knee, film muet en noir et blanc divisé en 10 chapitres qui narre la soumission du jeune Guy à toutes les figures féminines qu'il a pu rencontrer et son incapacité à surmonter le pouvoir de la figure paternelle. Le film est on ne peut plus improbable: Guy y étrangle un policier et fait avorter sa petite amie dans l'arrière boutique d'un salon de coiffure tandis que les fantômes des anciennes gloires de l'équipe de hockey (les Maroons) sortent de leur sommeil de cire...
Keyhole part d'une autre obnubilation du réalisateur : le retour d'un père au domicile familial et son parcours pour retrouver la femme qu'il aime. S'inspirant d'un ouvrage de Gaston Bachelard et du mythe d'Ulysse, il construit un univers physique qui reproduit les errements psychologiques de son personnage, chaque pièce s'associant à des fonctions du cerveau. Le héros, un gangster dont on sait peu de chose, tente de retrouver la mémoire à travers sa propre maison, et de rejoindre sa femme, enfermée dans une pièce avec son père, enchaîné au lit. Il redécouvre au fur et à mesure l'espace, mais aussi les souvenirs partagés, les traumatismes familiaux, son rôle de père et sa propre identité.
Bien qu'il refuse de considérer l'oeuvre de Freud comme une influence, on ne peut s'empêcher d'avoir une interprétation psychologisante de son travail. Isabelle Rossellini, la femme, est enfermée au grenier avec son père enchaîné, un père qui erre dans la maison comme un vieux fou, nu, efféminé et presque masochiste. Il tisse un complexe d'Electre à travers ses chaînes. Ses liens empêchent l'épanouissement du couple et le retour du nouveau mâle auprès de sa femme. Il est une présence fantômatique et fétichiste, une figure tantôt patriarcale et tantôt queer qui bafoue la tradition autoritaire du "père" chez Maddin.
Entre rêve éveillé et introspection foisonnante, Maddin propose au spectateur averti d'aller cueillir les références au cinéma de genre (le film de gangster) mais surtout à sa propre filmographie. Il réutilise ainsi des obsessions déjà mises en scène dans des courts métrages (le passage de la chaise électrique vient tout droit de Send Me To The Electric Chair, 2009) et fait quelques clins d'oeil à ses longs métrages précédents (Careful notamment).
Malgré l'incroyable profusion d'images et de références, malgré son univers si fantaisiste dans le monde de la morosité réaliste du cinéma actuel, Keyhole n'est qu'une demie réussite. Tout d'abord parce qu'on ne cerne que très peu l'intérêt du film noir à son récit. Ce qui devait être la matrice du film s'efface assez tôt et apparaît plus comme un fardeau scénaristique qui empêchait le récit de se lancer dans les limbes de la psyché. Ensuite, Maddin essayait le numérique pour la première fois et celui-ci a eu des incidences considérables sur l'écriture du scénario, sur sa mise en scène mais aussi sur son montage. Le film perd d'ailleurs en originalité et en onirisme ce qu'il gagne en netteté, en propreté... D'avis de fan, on préfère le grain et la poussière, l'atermoiement incertain d'une pellicule maltraitée au rayonnement léché d'une image digitale... Tout du moins c'est ce que l'on ressent lorsqu'on a vu d'autres films de Maddin. On n'en boude pas moins son plaisir.
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