mardi 3 janvier 2012

Take Shelter de Jeff Nichols

Alors que l'Occident s'enfonce dans une crise tant économique que politique, le cinéma, lui, s'éprend douloureusement de celle-ci et étale ses peurs de fin du monde. Frissonnante fin tragique d'une civilisation euro-américaine en panne d'idées ? En tout cas, cette même "civilisation" ne semble pas en manquer lorsqu'il s'agit de sa chute. Prenons la Hongrie par exemple. Alors que le pays, au bord du gouffre financier, s'enfonce dans un autoritarisme ultra-conservateur qui rampe lentement mais surement vers le despotisme d'un parti unique, Bela Tarr, fer de lance du cinéma hongrois, sort son dernier chef d'oeuvre, le Cheval de Turin

Ce film magnifique, à l'âpreté sans pareil, déclame un chant de mort glaçant. Un père et sa fille, perdus dans une lande sèche battue par le vent, échouent à échapper à l'horreur de leur quotidien répétitif. De longs plans somptueux qui assènent sans relâche les mêmes gestes, ceux d'une humanité qui ne s'interroge plus sur le pourquoi de son existence ni sur son devenir, qui a accepté l'inacceptable et s'est assise à la table de la misère, le dos courbé, dans le silence le plus complet. Tarr déverse toute sa consternation et tout son abattement dans un unique monologue au milieu du film, qui oeuvre comme un coup de poing. Il nous l'annonce de façon sentencieuse, rien ne sera sauvé car tout, absolument tout, a échoué. 

Dans Take Shelter, l'échec du héros réside dans son incapacité à communiquer les raisons de ses peurs incontrôlables. Le magnétique Michael Shannon campe à nouveau le rôle d'un homme qui perd pied dans un monde qui lui semble de plus en plus hostile. Seulement, il est le seul à percevoir le danger et ses tentatives pour préparer sa famille à l'arrivée du désastre le font passer auprès de tous pour un fou. On ne cesse de penser à Bug de William Friedkin lorsqu'on voit la superbe performance d'acteur de Shannon. Cette plongée dans la psychose est relatée avec grande finesse par Nichols, qui prend le parie de passer beaucoup de temps avec son acteur principal au détriment d'éléments fantastiques qui seraient apparus comme superflus au final. 

On avance donc à tâtons, en accompagnant cet homme en prise avec ses doutes et sa peur intestine, celle de perdre ceux qu'il aime. Cette question impose d'autres interrogations, toujours bien amenées par Nichols. Le réalisateur s'interroge alors sur le sens de la vie de son personnage, sur le sens de ses pulsions, sur l'éclatement progressif d'une bulle familiale qui ignore le monde qui l'entoure au profit de son confort matériel et relationnel. Ces conforts agissent comme de véritables murs entre eux et l'univers entier, comme un gigantesque faux-semblant de verre qu'on ne peut ni toucher, ni voir. Shannon lui, erre comme une bête, pris de visions terrifiantes qui annoncent la fin du monde tel que les autres le voient et tel que lui aussi le voyait peu de temps avant.

Le lien entre le Cheval de Turin et Take Shelter et même, Melancholia, c'est l'aveuglement du monde devant ce qui l'entoure, devant l'imminence de la chute. Ce détournement du véritable, ces oeillères comme en porte le cheval dans le film de Bela Tarr, sont ce qui empêche les gens d'agir réellement pour leur propre survie. Lars Van Trier et Bela Tarr ne laissent aucun espoir aux hommes et aux femmes de cette Terre, celant leur sort à leur aveuglement astral et à l'échec répété qui les ramène inlassablement au point de départ. Take Shelter, lui, offre une autre voie. A vous d'aller la découvrir dès demain. 

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