Si il y a bien un duo dont on attendait vraiment la nouvelle production, c’est effectivement Boards Of Canada – et il y en a des duos, en 2013 qui publient des disques électroniques de qualité, que ce soit Autechre ou The Knife. Groupe important et influent, capable de poser avec une sérénité incroyable les disques les plus sombres et ambitieux d’une musique électronique pensée comme une œuvre intemporelle. La RAM ici n’est pas une histoire de gimmicks singé et péniblement livide, mais plutôt une sorte de véritable mémoire humaine mise à contribution de la création pure, celle qui ne se déguise pas en bioman mais qui se terre dans le fin fond de l’Ecosse.
Jamais jusque là le son Boards Of Canada n’avait été
configuré comme une entité aussi visuelle, sinon cinématographique. L’album
s’ouvre sur une sorte de jingle, sorte de clin d’œil Tarantinien, avant de
partir sur un lourd drone synthétique. L’ambiance est parfaitement posée dès
les premières secondes. Le visuel de l’album est à l’avenant. Les 17 morceaux
s’éloignent quelque peu de l’imagerie nostalgique et froide. Tomorrow’s Harvest
est l’album de la chaleur, du lourd soleil écrasant les grands espaces
américain - parfois déserts. L’angoisse de la solitude et l’immensité comme
clé. Les décors ne sont même plus habités de souvenirs. Tout en demeurant le
groupe tant vénéré, Boards Of Canada n’a pas stagné depuis 8 ans et signe un
album qui tranche sévèrement avec le précédent opus, le bien moins électronique
Campfire Headphase. De fait, ce nouvel enregistrement est très proche de
Geogaddi, tout en affirmant une réelle évolution. Les drones sont plus
présents, les beats se font moins organiques et se composent de cliquetis digitaux
et de glitchs plutôt discrets jusque là. Les résonnances métalliques de « Jacquard
Causeway », comme les puissants kicks gonflé d’infra de « Sick
Times » attirent l’attention.
Entre ses beats massifs, on reste en terre connue, à savoir l’épiphanie
mélodique des amples claviers délavés, salis, irréguliers. « Reach For The
Dead », premier single et extrait de l’album donne le ton. Et lorsque la
révélation se dessine (la vidéo va dans le même sens, puisque c’est le moment
ou la caméra cesse d’être au sol), le rythme s’esquive. Au milieu des nuages.
Idem pour le magnifique «Split your infinitites », tout en nappes qui
devient progressivement une longue descente rythmique qui sans changement
brutal, transforme de manière improbable le morceau esquissé en début.
Surtout, on sait le groupe friand des messages cachés et
subliminaux, et Tomorrow’s Harvest est, de l’aveu du groupe, l’album le plus
lézardé de mystères et de codes. Les frères ont déjà donné la clé de l’album
construit en palyndrome, avec son single « Reach For The Dead » décliné
en « Come To Dust » à l’autre bout. On sait aussi que le visuel de
l’album n’est pas simplement une ville (San Francisco), mais bien une cité
transpercée, fantôme, correspondant à un point de vue, peut-être depuis le point
de coordonnées révélé par les codes des 6 disques disséminé dans le monde pour
la promo de l’album (pour faire simple pour les absents : le groupe a
distribué 6 vinyles contenant un code chacun et un court sample, dans 6 villes
du monde le jour du Record Store Day). Entouré de messages indescriptibles, de
voix déshumanisées, de sons dégradés, nous voilà également au cœur de l’album
le plus angoissant produit par le duo. Impossible de ne pas sentir une
singulière peur à l ‘écoute attentive de « Uritual » ou de « Semena
Mertvykh » - composé à partir d’une …VHS. Comme
souvent chez les groupes très attendus, on sait que l’album ne se fera que dans
le temps, qu’il prendra son ampleur après quelques écoutes et assimilations.
D’autres clés, probablement plus innocentes (les samples d’enfants transformés,
les poèmes et suites mathématiques) ou plus angoissantes (rappel toi les
références aux sectes ou les messages à l’envers invoquant le diable, tout ça
pour faire réfléchir) que celles déjà disponibles se révèleront plus tard. Toujours est-il qu’à peine révélé, Tomorrow’s
Harvest est déjà un enregistrement qu’on devine inépuisable. Il ne reste plus
qu’à s’incliner devant ce disque, grand, moderne et pourtant crucialement
intemporelle.
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