jeudi 17 février 2011

Black Swan de Darren Aronofsky

Certains ont cru, voire espéré, qu'Aronofsky deviendrait un artiste déchu et sans avenir suite à l'échec tant critique que commercial de The Fountain en 2006. Ce film, qui vît Aronofsky pousser les logiques esthétique et scénaristique déjà éprouvées dans Pi et Requiem For A Dream à leur paroxysme et certainement au delà de leurs limites intrinsèques, fut lynché, plus ou moins justement, par tout un pan de spécialistes y voyant l'occasion de descendre un talent et d'enterrer une carrière.

Ce qu'ils n'avaient certainement pas prévu, c'est la force de renouvellement qu'a pu fournir le réalisateur américain. Ce dernier s'est montré capable de tourner le dos à son esthétique ultra léchée, à certaines habitudes de cadre (pour en adopter d'autres), à une certaine surenchère visuelle qui étouffait peut-être la force dramatique de ses précédents opus.

De ce fait, The Wrestler fut un véritable choc pour les adeptes d'Aronofsky. Imbibé de culture (cinématographique) européenne et bercé par le cinéma indépendant américain, se balançant entre Cassavetes et le naturalisme des Dardenne, le film, qui voit par ailleurs la résurrection qualitative de Mickey Rourke, marque un tournant important dans la philosophie esthétique du cinéaste.

Black Swan s'inscrit directement dans la continuité de cette précédente oeuvre et en reprend même quelques bases élémentaires. On suit ici la déchéance d'un être (physique dans The Wrestler, psychologique dans Black Swan) qui a aperçu les sommets au mépris de sa santé, de sa vie et des autres. Black Swan est l'histoire d'une danseuse qui, au crépuscule de sa carrière se voit enfin proposer le rôle principal d'un ballet. Mais ce rôle, exigeant, difficile, ne va pas sans de nouveaux efforts. Dévoré par sa volonté de réussir et par la complexité du personnage qu'elle doit incarné (ou plutôt des personnages, le cygne blanc et le cygne noir), la jeune femme s’effondre dans l'hystérie et la paranoïa.

Le film d'Aronofsky a cela de fascinant qu'on ne sait par où il faut en commencer la lecture tant son sujet et sa mise en scène foisonnent et transpirent d'une intelligence et d'une fine maîtrise de l'excès. C'est l'un des thèmes principaux du film. D'abord par le caractère particulièrement archétypique des personnages qui l'habitent. Les femmes sont gonflées des tares freudiennes qui leurs sont coutumières, saphisme et hystérie, tandis que les hommes sont affligés d'une virilité bestiale et inconséquente. Et pourtant, cela ne choque pas, au contraire, cela subjugue.

Ensuite parce qu'Aronofsky conduit son héroïne aux confins de la folie. Nathalie Portman, qui tient certainement là l'un de ses plus grands rôles, navigue dans une perdition latente, dans une tension qui bascule, qui chavire, avant de s'engouffrer avec violence dans une parano sordide et hallucinatoire.

Film sur le monde impitoyable de la danse, sur la folie mais aussi film de passage. Portman incarne à merveille cette jeune femme enfant hantée par une mère tyrannique qui la maintient prisonnière dans un monde enfantin sordide. Son rôle, une nouvelle danseuse, remettent en question ce monde confiné et la jeune fille se découvre femme, attirante, sexuelle...

De tous ces excès Aronofsky tire un film incroyablement jouissif et noir, à la souffrance à fleur de peau qui délaisse peu à peu le thriller pour s'engouffrer sur les sentiers, plus sordides encore, du fantastique et de l'épouvante. Et de nous revenir alors, plus terrifiantes que jamais, les images du Répulsion de Polanski.

On saluera encore la performance de Winona Ryder, méconnaissable, la virevoltante caméra du cinéaste qui nous gratifie de deux séquences de danse mémorables, une en ouverture et une en fermeture. Et l'on dévorera sans fin cette quête effrénée de la perfection, excentrique et glauque, bourrée de symboles et de rituels qui finalement emprunte au paganisme le plus érotique pour créer une mystique de la folie d'une rare intensité.

5 commentaires:

Arthur a dit…

"descendre un talent et d'enterrer une carrière" c'est peut être un peu exagéré ? The Fountain sur le papier ça avait l'air géantissime. Mais en 1h30, avec un look de pub butagaz, c'est carrément un putain de suicide.

Carnival Of Souls a dit…

Ouais j'me suis un peu touché sur cet article. Comme je me suis d'ailleurs beaucoup touché sur The Fountain à l'époque. Il reste que j'ai toujours une fascination poussée pour les 8'30 finales de ce film.
Pour la phrase en question, c'est en référence à une critique du Monde parue à l'époque de The Fountain qui faisait réellement charognard et qui remettait en cause l'excellent travail d'Aronofsky sur ses deux précédents films... Je trouvais ça opportuniste et désobligeant... Mais à vrai dire, il m'arrive également d'être ces deux choses là à la fois ^^

taAke a dit…

Film bidon encore une fois pour Aromachin qui se touche bien plus sur l'image que sur le scénario. A force de se prendre pour le DePalma (raté) du pathos, Il en ressort un film creux, pas chiant pour autant, mais so cliché. reste la perf de Portman, mais qui a elle seule ne peut saucer le film. Aro restera le réalisateur d'un film faut croire (Pi), le reste n'étant qu'un ramassi de psychologie a deux balle, et lecons moralisatrices d'une amérique conservatrice sur le déclin artistique.
(Capcha: "Dershe" hahaha)

taAke a dit…

Bon et au passage, comparer The Wrestler a du Cassavetes me parait largement hors de propos, ca revient a comparer le dernier Muse a Black Sabbath. Jamais Cassa n'a donné dans le pathos voyeurisme et plaintif, presque pire niveau empathie forcée qu'un Lars Von Trier en fin de cuite.

Carnival Of Souls a dit…

Deux mois et une poignée de jours plus tard, me voilà à la réponse. Désolé d'ailleurs, je fais rarement l'aller-retour entre les nouveaux et les anciens posts. Ceci étant dit, plusieurs choses cher TaAke.
Je me suis interrogé sur le rapprochement que j'ai fait entre Aronofsky et Cassavetes. Après tout, je peux tout à fait me laisser abuser par des biais culturels divers (par exemple, je ne connais rien ni de Muse, ni de Black Sabbath). Mais après quelques recherches, je me suis aperçu que, dans ce pays comme dans d'autres, j'étais loin d'être le seul à avoir "osé" le rapprochement.
D'autre part, pour ce qui est du rejet du "voyeurisme", je pense qu'il y a un problème sémantique majeur. Je t'invite à (re)lire Kracauer pour qui la principale qualité du cinéma, sa qualité intrinsèque en fait, est d'être un média voyeur. Chacun son degré d'acceptation. Pour ma part, je suis bien plus gêné par le voyeurisme de Daniele Luchetti dans "La Nostra Vita" (où il filme dans un long plan fixe très serré, un homme en deuil qui vient de perdre sa femme et qui chante une chanson d'amour en pleurs dans une église. Ca, ça me gène) que par celui d'Aronofsky ou de Lars Von Trier, qui est, quoi qu'on puisse en penser, un réalisateur très intéressant.
Enfin, on discuterait des siècles durant sur le "Déclin de l'Empire Américain" (Cf. Denis Arcand, 1986) mais je ne crois pas que ce soit vraiment le propos. Rien ne laisse à voir un déclin artistique et il n'y a pas de lien direct avec un quelconque déclin économique ou politique (Cf. l'Expressionnisme allemand entre 1918 et 1924, par exemple, ou les affiches polonaises sous le régime communiste).