Cela fait bien longtemps que je n'ai pas pris le temps d'écrire un billet. L'été est chargé. Les échéances importantes. Tant est si bien qu'elles éclipsent quelque peu le cinéma. Mais qu'est-ce qui, en ces temps grandioses pour les adaptations de bande-dessinées américaines, aurait bien pu m'empêcher d'aller voir le dernier volet de la trilogie Batman ? Pas grand chose, pas même un mémoire à finir ou un Capes à réviser... Depuis son lancement au début des années 2000, le reboot de la saga Batman initié par Christopher Nolan s'est forgé un statut d'objet culte, notamment pour sa noirceur et son ambition réaliste (oui, réaliste). Adieu l'univers gothique de Tim Burton. Le Bruce Wayne (Christian Bale) de Nolan est un richissime orphelin aux prises avec les enjeux du XXIe siècle, qu'ils soient politiques, sociologiques, introspectifs ou métaphysiques. Ce troisième opus, censé boucler le cycle était donc annoncé par beaucoup comme l’événement de l'année, d'un point de vue blockbuster du moins.
Qu'en est-il vraiment ? Au sortir de 2h50 de projection, beaucoup d'interrogations se bousculent et les premières qui m'interpellent sont, dans l'ordre, politiques et scénaristiques. Le film de Nolan m'a troublé. D'un point de vue politique parce qu'il représente une réaction inattendue et apeurée face aux différents événements dont il s'inspire (crise économique, printemps arabe/canadien/américain, tension nucléaire, intervention irakienne, attentats du Wall Trade Center, mandats de G.W.Bush...). En moins de trois heures, le cinéaste à voulu saisir, plus que l'air du temps, les innombrables peurs et préoccupations de la civilisation occidentale, non pas en les bousculant, mais en ne cessant de leur donner raison. D'un point de vu scénaristique, l'ouvrage a semblé bien brinquebalant. Si on ne peut lui dénier un sens du rythme hors normes, l'éclatement du nombre de personnages, la volonté d'attraper des symboles ou de multiplier les clins d’œil internes à la trilogie, nuisent considérablement au récit. La fin offre quant à elle, un dénouement des plus absurdes, d'une lourdeur qui ne peut être induite que par une maison de production aussi puissante que la Warner... Je me bornerai, en spoilant à mort (vous êtes prévenus), à expliquer pourquoi, de mon point de vue, le film est d'une part réactionnaire (ceci n'est pas un gros mot mais un courant philosophico-politique), d'autre part de mauvaise foi, et enfin mal scénarisé.
Le caractère réactionnaire est intrinsèque au personnage du super-héros justicier. Ce dernier, doté de super-pouvoirs, de dons particuliers ou d'une fortune immense, ne supporte par l'altérité et est en perpétuelle compétition avec lui-même (il lutte contre ses démons) et avec les autres (d'autres personnages aux pouvoirs équivalents qui n'ont eux pas réussi à surmonter le mal qui les ronge). Il est un individu au dessus des autres, dont la puissance de sa propension despotique est contrebalancée par une ribambelle de vertus (altruisme, honnêteté...). Ce qui est intéressant c'est la légitimité de ces personnages. Bruce Wayne tire la sienne de son immense fortune (on parle dans le film de "légitimité morale"). Cette posture idéologique est à souligner : les riches, par leurs richesses, ont un rôle de moralisation de la sphère sociale et doivent, en propageant leurs valeurs, encourager les masses à s'en sortir. S'attaquer à Bruce Wayne comme le fait le personnage de Bane (Tom Hardy), revient en réalité à contester la légitimité morale d'une élite qui jouerait un rôle de régulateur social à travers ses œuvres de charité (l'orphelinat où a grandi Robin dans le cas présent).
Wayne ne représente cependant pas toute une classe mais une partie bien spécifique, celle d'une aristocratie moralisée. Sa figure est contrebalancée par celle de Daggett (Ben Mendelsohn), personnage avide d'argent et de pouvoir, nouveau riche sans foi ni loi. Daggett, c'est le mercenaire de Wall Street, le trader sans vergogne, l'arrogant ambitieux : sa caste se vautre dans le luxe et oublie le rôle moral qu'elle aurait à jouer. Ce rôle est souligné lors de la séquence du Conseil qui fait suite à la faillite de Wayne : Daggett est rappelé à l'ordre par les vieux oligarques qui défendent les valeurs portées par la famille Wayne.
Nous avons donc là un véritable combat réactionnaire, la défense d'une aristocratie moralisée : non pas des riches dans leur globalité, mais d'une caste respectable et dont l'immuabilité est justifiée par le moralisme qui l'habite et qu'elle propage. Nolan ne s'agite jamais dans le sens d'une critique de l'usage du pouvoir par celle-ci (pour preuve l'étrange absence du maire de la ville de toute l'intrigue...) mais semble regretter que les valeurs de cette bonne et antique caste ne soient pas transmises aux nouveaux capitalistes.
Il faut relever également le traitement de la justice dans le film. Lors de l'assaut des policiers sur la mairie, l'inspecteur Foley (Matthew Modine) dit "Il n'y a qu'une seule police dans cette ville". Si c'est effectivement ce que tente de démontrer Nolan, il montre également qu'il existe deux justices dans Gotham. Tout d'abord celle du Batman, justice quasi divine qui s'abat sur la ville de façon tout à fait arbitraire, animée par un souci de rédemption et qui n'est justifiée par rien si ce ne sont des motifs personnels, tout le monde ignorant qui est le Batman. Et puis il y a la justice de l'institution policière, dont la légitimité est basée sur un mensonge, celle de la bravoure et du mérite de Harvey Dent. Ces deux justices, bancales l'une comme l'autre, ont toutefois le même but : que rien ne change. Les huit années de paix qui ont suivi la mort de Dent doivent continuer, malgré l'iniquité des lois qu'elle a engendrées. Là encore, le film rejoint un idéal tout à fait réactionnaire : la sécurité, ambition bourgeoise par excellence. Sécurité d'entreprendre, de commercer, de devenir riche et de se vautrer dans le luxe... Car c'est ce à quoi ont menée ces huit années de paix. On voit bien les limites de la logique : pourvu que rien ne change, tant que l'on puisse faire des affaires. On a tous des défauts après tout...
La mauvaise foi, elle est du côté de l'amalgame des actualités. On le sent, on le sait, Nolan en voulant saisir le monde, s'est fortement inspiré de ce qui l'a marqué ou traumatisé cette dernière décennie. Le personnage de Bane rassemble à lui seul toutes ces peurs : il est le leader terroriste, fantôme du 11 septembre avec son armée souterraine qui fomente des attentats pour défier l'occident ; mais il est également l'anarchiste déluré, le révolutionnaire patenté qui invite les habitants de Gotham à se rebeller et à reprendre le pouvoir qu'ils ont confié à des institutions corrompues.
On cible bien le malaise ; en réunissant sous la coupe d'un même personnage les idéologies révolutionnaires pacifistes des mouvements comme Occupy Wall Street et les stratégies terroristes employées par des extrémistes islamistes, Nolan produit un bouillant amalgame qui détourne profondément les messages du premier pour en faire un objet aussi terrifiant que le second... Cette peur est palpable : Bane s'attaque, comme les "indignés américains" aux symboles du capitalisme contemporain. Il attaque la Bourse, il détruit un stade (symbole d'un sport devenu à la fois marchandise et divertissement)... Mais il le fait avec les armes, les convictions et l'aveuglement d'extrémistes religieux. Le début du film est éloquent à ce sujet : alors que Bane et des hommes de main détournent un avion, il informe l'un d'eux, main sur l'épaule, qu'il faut qu'il reste dans l'avion pour s'écraser avec lui. Le sbire choisi le regarde droit dans les yeux, fier d'être comme un "élu", heureux de se sacrifier pour la "cause".
Les méthodes "révolutionnaires" de Bane sont donc d'une violence inouïe et, selon Nolan, c'est la volonté révolutionnaire qui est génératrice de violences. A cela deux choses : la première est qu'il faut rappeler que Bane est à la solde de Daggett (trublion capitaliste arriviste) mais surtout de Miranda Tate (Marion Cotillard). Autrement dit, cette pseudo révolution est menée par deux capitalistes animés par des ambitions toutes personnelles : l'un veut la tête de Wayne et l'autre... veut également la tête de Wayne. Ensuite, il n'est pas inutile de rappeler ce qu'expliquait Adorno dans Problèmes de la philosophie morale : la violence est l'arme de ceux qui détiennent le pouvoir, afin de maintenir la croyance dans des valeurs collectives qui s'étiolent. La violence est en réalité un anachronisme : elle est la manifestation présente d'un passé qui ne veut pas disparaître.
Et ce passé qui ne veut pas disparaître, c'est certainement le faible d'un scénario terriblement cyclique et à qui il manque la radicalité du deuxième opus. Les éléments qui permettent de clore la saga sont étrangement redondants et font preuve d'un enfermement très paradoxal. The Dark Knight Rises achève un cycle mais semble en ouvrir un autre qui répète le schéma du précédent. La paix est de retour à Gotham, mais elle est à nouveau bâtie sur un mensonge, celui de la mort du Batman ! Cela nous fait donc revenir huit ans en arrière, à l'époque de la paix "Harvey Dent"... A un mythe y succède un autre, comme s'il n'y avait que l'opium de la mythologie pour maintenir l'espoir d'une population qui, contrairement à ce qu'affirme Nolan, ne veut visiblement pas que la tranquillité, mais aussi une petite dose de changement. De fait, Nolan semble n'apporter aucune solution et accrédite les propos de son vilain personnage Bane : cette ville est "irrécupérable".
Irrécupérable, c'est bien le dénouement de ce dernier volet. Nolan a visiblement dû céder aux impératifs des studios, refusant de faire mourir dignement son Batman et l'envoyant vivre une retraite heureuse et mièvre en Toscane. Cette fin somme toute logique aux vues des impératifs narratologiques américains (ne surtout pas déranger le spectateur dans ses petites habitudes et maintenir en vie un héros auquel il peut s'identifier) est bazardée dans un enchevêtrement de rebondissements tous plus abusifs les uns que les autres, d'autant plus choquants qu'ils mettent à jour aux yeux de tous l'artificialité d'un récit que Nolan voulait le plus huilé possible. Tout semble donc se refermer, même la subversivité dans une saga qui s'annonce comme l'une des plus importantes de ces dix dernières années... Seul signe d'ouverture ? La possibilité d'une nouvelle franchise consacrée à Robin qui permettrait à l'excellent Joseph Gordon-Levitt de tenir enfin un premier rôle digne de ce nom dans une grosse production hollywoodienne... On espérait bien mieux d'un tel film et d'un tel réalisateur...
Il faut relever également le traitement de la justice dans le film. Lors de l'assaut des policiers sur la mairie, l'inspecteur Foley (Matthew Modine) dit "Il n'y a qu'une seule police dans cette ville". Si c'est effectivement ce que tente de démontrer Nolan, il montre également qu'il existe deux justices dans Gotham. Tout d'abord celle du Batman, justice quasi divine qui s'abat sur la ville de façon tout à fait arbitraire, animée par un souci de rédemption et qui n'est justifiée par rien si ce ne sont des motifs personnels, tout le monde ignorant qui est le Batman. Et puis il y a la justice de l'institution policière, dont la légitimité est basée sur un mensonge, celle de la bravoure et du mérite de Harvey Dent. Ces deux justices, bancales l'une comme l'autre, ont toutefois le même but : que rien ne change. Les huit années de paix qui ont suivi la mort de Dent doivent continuer, malgré l'iniquité des lois qu'elle a engendrées. Là encore, le film rejoint un idéal tout à fait réactionnaire : la sécurité, ambition bourgeoise par excellence. Sécurité d'entreprendre, de commercer, de devenir riche et de se vautrer dans le luxe... Car c'est ce à quoi ont menée ces huit années de paix. On voit bien les limites de la logique : pourvu que rien ne change, tant que l'on puisse faire des affaires. On a tous des défauts après tout...
La mauvaise foi, elle est du côté de l'amalgame des actualités. On le sent, on le sait, Nolan en voulant saisir le monde, s'est fortement inspiré de ce qui l'a marqué ou traumatisé cette dernière décennie. Le personnage de Bane rassemble à lui seul toutes ces peurs : il est le leader terroriste, fantôme du 11 septembre avec son armée souterraine qui fomente des attentats pour défier l'occident ; mais il est également l'anarchiste déluré, le révolutionnaire patenté qui invite les habitants de Gotham à se rebeller et à reprendre le pouvoir qu'ils ont confié à des institutions corrompues.
On cible bien le malaise ; en réunissant sous la coupe d'un même personnage les idéologies révolutionnaires pacifistes des mouvements comme Occupy Wall Street et les stratégies terroristes employées par des extrémistes islamistes, Nolan produit un bouillant amalgame qui détourne profondément les messages du premier pour en faire un objet aussi terrifiant que le second... Cette peur est palpable : Bane s'attaque, comme les "indignés américains" aux symboles du capitalisme contemporain. Il attaque la Bourse, il détruit un stade (symbole d'un sport devenu à la fois marchandise et divertissement)... Mais il le fait avec les armes, les convictions et l'aveuglement d'extrémistes religieux. Le début du film est éloquent à ce sujet : alors que Bane et des hommes de main détournent un avion, il informe l'un d'eux, main sur l'épaule, qu'il faut qu'il reste dans l'avion pour s'écraser avec lui. Le sbire choisi le regarde droit dans les yeux, fier d'être comme un "élu", heureux de se sacrifier pour la "cause".
Les méthodes "révolutionnaires" de Bane sont donc d'une violence inouïe et, selon Nolan, c'est la volonté révolutionnaire qui est génératrice de violences. A cela deux choses : la première est qu'il faut rappeler que Bane est à la solde de Daggett (trublion capitaliste arriviste) mais surtout de Miranda Tate (Marion Cotillard). Autrement dit, cette pseudo révolution est menée par deux capitalistes animés par des ambitions toutes personnelles : l'un veut la tête de Wayne et l'autre... veut également la tête de Wayne. Ensuite, il n'est pas inutile de rappeler ce qu'expliquait Adorno dans Problèmes de la philosophie morale : la violence est l'arme de ceux qui détiennent le pouvoir, afin de maintenir la croyance dans des valeurs collectives qui s'étiolent. La violence est en réalité un anachronisme : elle est la manifestation présente d'un passé qui ne veut pas disparaître.
Et ce passé qui ne veut pas disparaître, c'est certainement le faible d'un scénario terriblement cyclique et à qui il manque la radicalité du deuxième opus. Les éléments qui permettent de clore la saga sont étrangement redondants et font preuve d'un enfermement très paradoxal. The Dark Knight Rises achève un cycle mais semble en ouvrir un autre qui répète le schéma du précédent. La paix est de retour à Gotham, mais elle est à nouveau bâtie sur un mensonge, celui de la mort du Batman ! Cela nous fait donc revenir huit ans en arrière, à l'époque de la paix "Harvey Dent"... A un mythe y succède un autre, comme s'il n'y avait que l'opium de la mythologie pour maintenir l'espoir d'une population qui, contrairement à ce qu'affirme Nolan, ne veut visiblement pas que la tranquillité, mais aussi une petite dose de changement. De fait, Nolan semble n'apporter aucune solution et accrédite les propos de son vilain personnage Bane : cette ville est "irrécupérable".
Irrécupérable, c'est bien le dénouement de ce dernier volet. Nolan a visiblement dû céder aux impératifs des studios, refusant de faire mourir dignement son Batman et l'envoyant vivre une retraite heureuse et mièvre en Toscane. Cette fin somme toute logique aux vues des impératifs narratologiques américains (ne surtout pas déranger le spectateur dans ses petites habitudes et maintenir en vie un héros auquel il peut s'identifier) est bazardée dans un enchevêtrement de rebondissements tous plus abusifs les uns que les autres, d'autant plus choquants qu'ils mettent à jour aux yeux de tous l'artificialité d'un récit que Nolan voulait le plus huilé possible. Tout semble donc se refermer, même la subversivité dans une saga qui s'annonce comme l'une des plus importantes de ces dix dernières années... Seul signe d'ouverture ? La possibilité d'une nouvelle franchise consacrée à Robin qui permettrait à l'excellent Joseph Gordon-Levitt de tenir enfin un premier rôle digne de ce nom dans une grosse production hollywoodienne... On espérait bien mieux d'un tel film et d'un tel réalisateur...
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