Il était plus que temps de revenir sur la dix-huitième édition de l'Etrange Festival qui s'est déroulée au début du mois dernier au Forum des Images à Paris. Une nouvelle fois Frédéric Temps et toute son équipe se sont pliés en quatre pour nous offrir quelques surprises mais surtout un panorama de ce qui se fait à travers le monde en matière de cinéma de genre. Des déceptions bien sûr, j'aurai l'occasion de revenir sur certaines d'entre elles plus tard, des réussites, des "pépites" et des incongruités comme seul l'Etrange est capable de nous en offrir. Pour débuter cette petite rétrospective de ce qu'il y avait à voir (ou pas) cette année, je ne pouvais passer à côté du film de clôture, le peu engageant remake de Judge Dredd, symptomatiquement rebaptisé Dredd et porté par Karl Urban.
J'ai vu ce remake vierge de toute velléité nostalgique, n'ayant pas vu l'original habité par Stallone et réalisé par Danny Cannon en 1995 et ignorant tout de la bande dessinée. Je n'avais donc pas d'appréhension particulière, si ce n'est celle suscitée par la bande annonce qui mettait en avant les effets de la drogue Slo-Mo avec des ralentis hérités des Wachowski et une image scintillante ultra léchée mais loin d'être sympathique à l'oeil. Que vaut donc ce remake, indépendamment mais aussi en comparaison avec son prédécesseur ? Le film est, à plus d'un titre, assez révélateur de la tournure ultra-réaliste qui s'est opérée dans une partie des blockbusters récents mais aussi d'un manque criant de recul par rapport à l'idéologie exposée dans le papier dont il s'inspire.
J'ai depuis visionné le premier Judge Dredd. Cet original est étrangement un produit des années 90. On sent pourtant dans son esthétique une très forte influence de ce qui a fait les années 80. Cette omniprésence de jaune dans les paysages rappelle le Dune de Lynch, les armatures des soldats celle du Robocop de Verhoven. Bref, on pourrait citer également Terminator ou Blad Runner, voire Star Wars, notamment pour la séquence d'ouverture où le vaisseau arrive dans la Mégalopole. Judge Dredd convoque cet esprit qui mélange bricolage, imagerie baroque et théâtrale, grandes bâtisses et gros efforts pour transformer les fantasmes futuristes en architecture post-stalinienne. Dredd n'a pas grand chose du film de science fiction tant son esthétique s'inspire du monde contemporain. Images carrées, comme la ville de Mega City One d'ailleurs, imposante forteresse quadrillée et géométrique d'où sortent d'immenses tours d'habitation, des "phalanstères" (dont Wagner et Ezquerra ignoraient visiblement la signification fouriériste...). A part ces détails architecturaux gigantesques, le reste de la ville rappelle toutes les métropoles un peu chaude, humide et en décomposition sociale de notre globe actuel. Dredd, comme son nom l'indique, fait dans le minimalisme. Il ne s'agit pas d'imaginer une cité futuriste détachée du temps et de l'espace, mais bien d'imaginer notre futur dans des conditions extrêmes. En cela, la démarche du film (et je dis bien la démarche seulement) s'approche de celle du District 9 de Neil Blomkamp : là où le sud-africain imagine la réaction ségrégative des êtres humains face à l'arrivée d'une espèce extraterrestre qu'ils ne souhaitent pas intégrer, reproduisant ainsi un nouvel apartheid, le film de Pete Travis imagine notre monde renonçant à exercer la séparation des pouvoirs, empêtré dans des crises sociales sans retour et décidé à se débarrasser des mafias qui ont pullulé sur les cadavres de l'Etat déchu.
Un homme donc, le juge Dredd, incarné par le peu sémillant Karl Urban, dont on ne voit jamais le visage (augmentant l'idée d'une justice sans visage, froide, robotique et respectant ainsi les choix de la BD), répand la loi à grand renfort de turbo-cartouches perforantes et autres inventions militaires désarmantes. A côté de lui, le Judge Stallone passerait presque pour une Bridget Jones pleurnicharde. Dialogues ciselés, automatiques, froids et minimalistes, cette réduction drastique est carrément salvatrice dans un monde où les blockbusters aiment à surcharger leurs héros d'une conscience morale et d'un verbiage navrant. Le Judge Urban est impassible, il parle peu, mais son flow est efficace et va droit au but. C'est appréciable. D'ailleurs, le film est relativement appréciable. L'action est enlevée, quoi que répétitive, mais Pete Travis déploie avec maestria son sens du spectaculaire et sa maîtrise de l'espace. Dredd est à coup sûr un de ces bons films fascistes à qui il est difficile de dire non alors qu'on sait bien qu'ils sont dégoûtants.
La philosophie de Dredd se résume dans la description qu'il fait de la figure des Judge : "They were the police, jury and executioner all in one". Les pouvoirs judiciaires, policiers et exécutifs sont ainsi concentrés en un seul et même être surpuissant, dont le statut le protège d'absolument tout. Il n'existe pas, du moins le film n'en propose pas un qui soit légal, de contre-pouvoir. Exit le tribunal des Judge qui permettait de contrôler les agissements des militaires justiciers dans le film original. Ici plus rien ne contrôle les Judge si ce ne sont d'autres Judge. Exit aussi le contre-pouvoir populaire : dans Judge Dredd, un journaliste mène une enquête visant à dénoncer les dérives totalitaires d'un tel personnage, des manifestants hurlent leur haine au pouvoir despotique. Ici rien. Le Judge a deux adversaires: la mafia et ses propres collègues corrompus par celle-ci.
Les deux films ne retirent pas la même substance du comic d'origine. Judge Dredd est un anachronisme. Dans une période de détente internationale relative (fin de la Guerre Froide depuis plus de cinq ans, gouvernement démocrate, diminution des dépenses en armement...), le film de Cannon surfe sur un éventuel réveil fasciste, sur les peurs de la manifestation de rue, de la bombe atomique ou bien du clonage. Autant de thématiques qui se justifiaient dans les années 70 dans une Angleterre en proie à une grave crise sociale, dans laquelle une certaine Margaret Thatcher faisait ses premiers pas en tant que ministre de l'éducation et des sciences (1970-1974) et dans un monde pris dans l'étau nucléaire... Moins dans un film des années 90, sauf pour le clonage (Dolly est clonée l'année suivante, en 1996). L'intrigue est basée sur la rivalité entre Dredd et son frère/clone Rico, le côté obscur du justicier, et sur la solitude du personnage de Stallone. Toutefois, le film de Cannon garde une distance assez forte avec l'idée de toute puissance du Judge, ne valorisant que peu l'idéologie fasciste critiquée dans la BD.
La nouvelle version de Dredd n'a aucun recul vis à vis de cela et semble prendre le propos des dessins au premier degré. Souci d'épure minimaliste, la réflexion politique est ici complètement nulle et la violence hyper-valorisée. Non seulement elle est la réponse implacable mais elle est aussi, par l'abondance de gadgets, par l'invincibilité du Judge, par cette constante association idéelle au jeu vidéo, un objet de désir et d'amusement. La comparse de Karl Urban dans le film, Olivia Thirlby, est d'une confondante complaisance. Censée apporter un contre-poids humain à la froideur expéditive de Dredd, elle n'en fait quasiment rien et, pis, sombre à son tour dans l'explosion de violence, assurant ainsi la victoire fasciste sur sa naïveté humaniste. Son détournement de la fonction de Judge, au final, n'apparaît qu'être un leurre qui appellerait une suite (suite qu'il ne devrait pas y avoir étant donné les résultats catastrophiques du film au BO américain).
De fait Dredd est certainement plus proche de l'esprit du comic anglais mais passe complètement à côté de sa réflexion politique sur l'univers carcéral, sur la répression, la collusion des pouvoirs et le fascisme. Son ultraviolence semble être un rempart à toute réflexion, la déliquescence extrême de la société une justification ultime à son utilisation. Comme bien souvent les adaptations qui ont refusé d'épouser (ou du moins de mettre en avant) le contexte de production et la réflexion politique de l'oeuvre originale se sont cassées la gueule, Dredd passe à côté de son sujet, glorifiant la virilité démesurée de son justicier-canonnier. C'est honteusement fun, horriblement bien fait, dangereusement efficace... Le film n'a pour l'instant aucune date de sortie en France.
Un homme donc, le juge Dredd, incarné par le peu sémillant Karl Urban, dont on ne voit jamais le visage (augmentant l'idée d'une justice sans visage, froide, robotique et respectant ainsi les choix de la BD), répand la loi à grand renfort de turbo-cartouches perforantes et autres inventions militaires désarmantes. A côté de lui, le Judge Stallone passerait presque pour une Bridget Jones pleurnicharde. Dialogues ciselés, automatiques, froids et minimalistes, cette réduction drastique est carrément salvatrice dans un monde où les blockbusters aiment à surcharger leurs héros d'une conscience morale et d'un verbiage navrant. Le Judge Urban est impassible, il parle peu, mais son flow est efficace et va droit au but. C'est appréciable. D'ailleurs, le film est relativement appréciable. L'action est enlevée, quoi que répétitive, mais Pete Travis déploie avec maestria son sens du spectaculaire et sa maîtrise de l'espace. Dredd est à coup sûr un de ces bons films fascistes à qui il est difficile de dire non alors qu'on sait bien qu'ils sont dégoûtants.
La philosophie de Dredd se résume dans la description qu'il fait de la figure des Judge : "They were the police, jury and executioner all in one". Les pouvoirs judiciaires, policiers et exécutifs sont ainsi concentrés en un seul et même être surpuissant, dont le statut le protège d'absolument tout. Il n'existe pas, du moins le film n'en propose pas un qui soit légal, de contre-pouvoir. Exit le tribunal des Judge qui permettait de contrôler les agissements des militaires justiciers dans le film original. Ici plus rien ne contrôle les Judge si ce ne sont d'autres Judge. Exit aussi le contre-pouvoir populaire : dans Judge Dredd, un journaliste mène une enquête visant à dénoncer les dérives totalitaires d'un tel personnage, des manifestants hurlent leur haine au pouvoir despotique. Ici rien. Le Judge a deux adversaires: la mafia et ses propres collègues corrompus par celle-ci.
Les deux films ne retirent pas la même substance du comic d'origine. Judge Dredd est un anachronisme. Dans une période de détente internationale relative (fin de la Guerre Froide depuis plus de cinq ans, gouvernement démocrate, diminution des dépenses en armement...), le film de Cannon surfe sur un éventuel réveil fasciste, sur les peurs de la manifestation de rue, de la bombe atomique ou bien du clonage. Autant de thématiques qui se justifiaient dans les années 70 dans une Angleterre en proie à une grave crise sociale, dans laquelle une certaine Margaret Thatcher faisait ses premiers pas en tant que ministre de l'éducation et des sciences (1970-1974) et dans un monde pris dans l'étau nucléaire... Moins dans un film des années 90, sauf pour le clonage (Dolly est clonée l'année suivante, en 1996). L'intrigue est basée sur la rivalité entre Dredd et son frère/clone Rico, le côté obscur du justicier, et sur la solitude du personnage de Stallone. Toutefois, le film de Cannon garde une distance assez forte avec l'idée de toute puissance du Judge, ne valorisant que peu l'idéologie fasciste critiquée dans la BD.
La nouvelle version de Dredd n'a aucun recul vis à vis de cela et semble prendre le propos des dessins au premier degré. Souci d'épure minimaliste, la réflexion politique est ici complètement nulle et la violence hyper-valorisée. Non seulement elle est la réponse implacable mais elle est aussi, par l'abondance de gadgets, par l'invincibilité du Judge, par cette constante association idéelle au jeu vidéo, un objet de désir et d'amusement. La comparse de Karl Urban dans le film, Olivia Thirlby, est d'une confondante complaisance. Censée apporter un contre-poids humain à la froideur expéditive de Dredd, elle n'en fait quasiment rien et, pis, sombre à son tour dans l'explosion de violence, assurant ainsi la victoire fasciste sur sa naïveté humaniste. Son détournement de la fonction de Judge, au final, n'apparaît qu'être un leurre qui appellerait une suite (suite qu'il ne devrait pas y avoir étant donné les résultats catastrophiques du film au BO américain).
De fait Dredd est certainement plus proche de l'esprit du comic anglais mais passe complètement à côté de sa réflexion politique sur l'univers carcéral, sur la répression, la collusion des pouvoirs et le fascisme. Son ultraviolence semble être un rempart à toute réflexion, la déliquescence extrême de la société une justification ultime à son utilisation. Comme bien souvent les adaptations qui ont refusé d'épouser (ou du moins de mettre en avant) le contexte de production et la réflexion politique de l'oeuvre originale se sont cassées la gueule, Dredd passe à côté de son sujet, glorifiant la virilité démesurée de son justicier-canonnier. C'est honteusement fun, horriblement bien fait, dangereusement efficace... Le film n'a pour l'instant aucune date de sortie en France.
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