mardi 20 août 2013

KANYE WEST - Yeezus

Lorsque Beyond The Noize s'est lancé il y a un peu plus de 5 ans maintenant, je n'aurais jamais cru que je parlerais d'une poignée de truc, et Kanye West en faisait précisément parti. Les autres, on verra plus tard- si c'est pas déjà fait. Mais là, inévitable. Le contexte aide aussi.

Imagine qu'en 83, après avoir vendu des tonnes de Thriller (et encore plus pour les décennies à venir) Michael Jackson envoyait ballader son producteur en lui disant "tu me fais chier Quincy avec la Motown, je veux faire du Throbbing Gristle !". Le parallèle peut sembler rapide mais quand le dernier album de Kanye est sorti, les rapprochements avec le mythique album de bambi ont été assez nombreux. De fait, tout le monde ou presque a déjà oublié le débordant My Beautiful Dark Twisted Fantasy, opulent et ambitieux précédent LP. Marre du marché ? En tout cas, ni la paire de fesses la plus célèbre des USA ni sa gestation n'ont donné envie à Kanye de faire un album calme et familiale, mais plutôt d'aller à l'exact contresens. Et niveau invité, le type n'a pas fait dans la légèreté. Daft Punk se pointe et se montre bien plus inspiré que sur son propre album (peut-être la meilleure blague de l'année au final), Evian Christ issu de l'écurie Tri Angle vient aussi mettre son grain de sel, et au milieu de quelques anecdotiques français tendance, Rick Rubin est quelque part à la production, entre confident, inspecteur des travaux finis et manitou. Son nom, pas loin du logo Def Jam ramène quelques vieux souvenirs, entre Slayer et les Beastie Boys. Le visuel est à l'avenant, rappelant le premier LTNO ou le troisième Mos Def : conceptuellement inexistant.

Avec un impact un peu stérile, cet album est pourtant pas mal du tout. Il faut oublier les paroles et la réalisation (les interviews des participants sont délirants, racontant comment maman Kardashian vient parler Louboutin pendant que Kanye essai de mettre de l'ordre dans son palais Parisien pour y voir clair dans son manifeste du bruit), le vocoder et le 7è morceau, seul véritable tâche au projet. West demeure un MC classique qui a fait école (ie. tous les jeunes gaziers qui ont repris son flow vitreux et neurasthénique pour se lancer) mais capable d'aligner des phrases parmi les plus affligeantes au milieu de rhymes bancales. C'est purement le projet global et l'objet musical qui en ressort qu'il faut considérer. Et cet objet a pour mot d'ordre le chaos. Poli, on reste dans les beaux quartiers. Mais chaos tout de même. Entre ses sonorités dissonantes et ses riffs de claviers agressifs, ses beats typés Trap belliqueux, sa production dégueulasse avec des fréquences que le mastering n'a pas su gommer (attention vos enceintes, ça crépite une paire de fois) et ses samples placés n'importe comment, l'album est une sorte de bordel bien élevé et ramassé qui en quelques dizaines de minutes va prendre le temps d'imposer un Kanye West qu'on ne connaissait pas, teigneux. Pour les fanatiques de Death Grips, de Kevin Martin, de Saul Williams, de Food For Animals, de Company Flow, de Dälek, de Roll Deep ou pour les plus anciens de Mark Stewart, de Meat Beat Manifesto, tout ça aura un petit goût d'opportunisme. Mais vu le public de West, on peut se demander de quoi il s'agit vraiment. Pour ceux-là, voilà le truc le plus agressif qui arrivera dans leur Ipod cette année. Et donc, après ? Commercialement risqué (pourtant il cartonne), ce disque est-il une clé vers la suite, un écart isolé ou une excuse pour un album rédempteur à paraître d'ici deux ans ?