Le dubstep, quoi qu'on en dise, aura eu au moins un mérite: celui de ramener un peu de méchanceté dans la musique électronique. On l'avait déjà envisagé lorsque Shackleton et son pote Applebim sortaient la dernière compilation Skull Disco, nous remémorant les travaux déviants de quelques artisans sonores belliqueux des années 90. Le lien avec le dubstep, loin et peu évident: une prédominance des basses et des rythmes obsédant refusant pour autant le kick systématique du 4/4. Skull Disco dessinait tranquillement une musique qui regardait sur les côtés, se voulant aussi bien essentielle pour les clubs que pour les diggers en quête d'un héritier de Coil ou ce genre de formation, où le sound design réfléchi pouvait aussi prendre le dessus sur le rythme. En quelques années, c'est toute une frange qui met la déconne, l'autotune ou le fluo de côté qui se manifeste, reprenant le flambeau de Scorn, Autechre, Muslimgauze, Kevin Martin, de Meat Beat Manifesto, de Laswell (inspiré), DJ Spooky, Panacea, Alec Empire, Porter Ricks, Maurizio, des compils Electric Ladyland, de Wordsound, de la musique industrielle qui ne se complaît pas uniquement dans le bruit ou la théâtralité glam du metal. Leurs noms: Demdike Stare, Raime, Vatican Shadow, Andy Stott, Kouhei Matsunaga, Regis, Actress, Shifted, Emptyset, Cut Hands, Shackleton (donc), et des écuries comme Modern Love, Raster Noton (logique), et Blackest Ever Black.
B.E.B. est la maison qui porte sérieusement le plus de projets actuellement excitants, sortant les disques obscurs de Raime ou vatican Shadow (on y reviendra), tenant un tumblr dans la plus grande tradition (c'est à dire une compilation d'images troublantes sans aucuns mots, au milieu d'annonces de soirées et de sorties vinyles) et remettant au goût du jour des sorties avortées et acclamées. Exemple donc avec ce Black Rain, lui aussi nécessitant une présentation. Issu de la foisonnante scène New Yorkaise des années 80 (no wave et consort, les débuts du hip hop...), Stuart Argabright s'écarte de son mythique projet Ike Yard à la fin de ladite décennie pour fonder Death Comet Crew avec Shinichi Shimokawa. Le duo se retrouve quelques temps plus tard autour du projet Black Rain (un quatuor dans un premier temps) pour lequel ils s'engagent à réaliser la trame sonore du livre Neuromancer et du film Johnny Mnemonic, tous deux issus de l'esprit (fertile) de William Gibson. Seulement, une fois le boulot finit le film avec Keanu Reeves se passe de la partition du duo et les bandes sont oubliés. Défini par le groupe comme de la Biotechno ou du Post-Indus, la musique de Black Rain est glorieusement redécouverte aujourd'hui et trouve logiquement sa place au milieu du catalogue Blackest Ever Black. Lentes progressions rythmique, les morceaux de Black Rain dégagent sans aucune difficulté le climat SF typé année 80-90. Le travail sur les ambiances, le sound design élégant, peuvent faire songer à un Lustmord moins grandiloquent, et qui assume aussi un côté plus humain, notamment dû aux samples de voix lointains, confus. Le disque reste néanmoins très rythmique, comme de longs thèmes où les stridences diffuses se mèlent à un minimalisme sombre, et des percussions obsédantes. On sent cependant que le disque fait son âge: les presets de percussions issus des machines utilisées par le duo ne sonnent pas de première jeunesse et ne bénéficient pas du traitement vintage qui plairait aux obsédé rigoureux du son des vieilles machines analogiques. On est dans l'émulation parfois cheap de percussions traditionnelles, couplé aux beats de BaR- en cohérence avec le thème des travaux, en plein dans le numérique. Reste quand même un disque qui se découvre avec plaisir au milieu des autres sorties du label, et qui vient également donner une certaine idée de paternité à toutes ces formations. Black Rain s'exhibe au bon moment, et Blackest Ever Black publie un objet qui fait honneur au travail du duo.
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