D'apparence, Harry Brown a tout du film réactionnaire que l'on s'empresse de cataloguer dans la sordide galerie des films à tendance xénophobe. Il est vrai que la trame de ce film de vengeur urbain a de quoi alimenter les logorrhées incendiaires : un papy, ancien militaire de l'armée britannique ayant officié en Ulster, décide d'éradiquer la terreur par la terreur suite à l'assassinat de son meilleur ami par une bande de jeunes.
Des vengeurs, le cinéma en a connu une tripotée. De Charles Bronson à Clint Eastwood en passant par Kevin Bacon, les personnages d'hommes meurtris n'ayant plus confiance dans les institutions coercitives de l'Etat ont toujours eu le regard vide de ceux qui n'ont plus rien à perdre. Récemment aussi, on a vu naître le genre de la vengeance fun et rigolote... Il faudra m'expliquer ce qu'il y a de plus "fun" dans le discours réactionnaire de Kick Ass que dans ce lui de l'Inspecteur Harry... La couleur des collants peut-être... Harry Brown, lui, vient de perdre femme et ami. Il ne lui reste qu'une boule au ventre dès qu'il sort de son appartement et des larmes pour pleurer ceux qu'il a aimé. Ses souvenirs de soldat, il les a enfouis, terrés bien loin dans sa tête.
Et contrairement à ces terminators d'os et de chaire, le personnage interprété par Michael Caine est rempli d'une douloureuse indolence. Son charisme est hoquetant, entaché par son âge et sa maladie. Le roublard cockney interprète d'ailleurs à merveille ce vieil homme qui lui ressemble un peu. Lui qui fut membre de gang, puis militaire en Corée, semble livré avec une peine sincère, un triste regard sur ce que deviennent les quartiers où il a grandi.
Personne ne remettra en cause la dignité du personnage de Sir Michael Caine même si toutes ses failles en font un faux héros presque trop inoffensif. Ce qui choque certainement, c'est cette mise en avant profonde, telle une entaille, d'un fossé intergénérationnel qui semblerait ne pas avoir de fond. Papy gâchette contre p'tits cons en mobylette en somme. Une rengaine que tout le monde connaît bien, qu'on a souvent vu et qui alimente les débats sociologiques des piliers de comptoir.
Et Daniel Barber ne fait pas dans la dentelle quand il dépeint cette jeunesse aux abois, qui crame, vole, tue sans pitié ni discernement, sans émotion et sans la moindre notion du bien et du mal. La scène d'introduction est d'ailleurs assez éloquente. Les scènes d'émeute dans la cité ont un écho tout particulier. On pense à Villiers le Bel, à Sarcelles... A cette mobilisation violente et ulcérée qui apparaît comme incompréhensible quand on n'en détient pas les codes et les enjeux. Pourtant pas question de faire de parallèle entre ici et là-bas, le contexte ne le permet pas vraiment.
Harry Brown, malgré ses défauts, n'est pas le simple film de vengeur libérateur. Tout d'abord parce qu'il apparaît bien plus comme un cri d'urgence dans le marasme social et urbain que connaissent aussi les quartiers pauvres de Grande-Bretagne que comme une rance et violente envie de tuer du jeune pour restaurer le calme. Le film dénonce cette avalanche de violence, digne d'un film apocalyptique et parfois d'un western, et questionne tant sur la réception de la violence légitime de l'Etat que sur l'incapacité de ce dernier à offrir un avenir différent à ces jeunes anglais "de souche". Car oui, il n'est pas question ici d'origine ethnique. Les jeunes sont tout ce qu'il y a de plus britanniques dans le nom et le faciès (lire un article de Rue89 sur le film), substituant donc l'axiome "étranger mal intégrés/violences exacerbées" par un plus subtile "relégation sociale/violent désespoir/délinquance et rejet des valeurs traditionnelles".
Ensuite parce que le beau ciel qui se lève au terme du film, est d'un bleu amer et moins porteur d'espoir qu'il n'y paraît. Cette vengeance, ce massacre et ces émeutes ont changé le quartier, certes, mais pour combien de temps? Et à qui a vraiment servi ce bain de sang? Si le climat semble plus serein, la condition sociale des habitants du quartier n'a pas changé et leur dénuement reste total. Tout, ou presque, reste donc à faire, Mister Brown.
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