Comme beaucoup d'autres albums importants, voilà que le premier Massive Attack a droit à une nouvelle édition, à l'occasion de ses 20 ans. Le temps ne passe plus vite, il en devient juste effrayant. 20 ans déjà que ce disque mythique se posait sur les platines de quelques curieux à travers le globe pour transformer le paysage musicale naissant des années 90. C'est une décennie de fusions, de mixages, de mélanges, d'audaces et d'aventures qui s'ouvrent, sous toutes ces formes. Du rock, de la soul, de l'électronique, du jazz, du reggae, du hip hop, de l'industrielle, tout ça sera amené à se croiser. Rage Against The Machine, Pop Will Eat Itself, Tricky, Renegade Soundwave, Tortoise, Beastie Boys, Godflesh, Prodigy, Terminal Cheesecake, Ice, Björk et tant d'autres, autant de groupes à la notoriété variable ayant opéré dans des sous-genres variés pour créer et définir les sonorités transversales des années 90 dont Massive Attack s'avère un des groupes les plus emblématiques.
Au milieu des années 80, s'organise un collectif rassemblant DJ et MC à Bristol composé de producteurs en devenir (Nellee Hooper, membre de Soul II Soul, futur metteur en son de Björk, U2, Madonna...), chanteuse soul à succès imminent (Neneh Cherry) artiste-peintre (Robert Del Naja, en train d'influencer un certain Banksy, de Bristol également, via ses murs) et autres musiciens amateurs. De ce soundsystem mélant R&B, reggae et punk se dégage le trio formé par Del Naja (3D) s'essayant au rap, Vowles (Mushroom) et Grant Marshall (Daddy G) aux platines pour sortir sur leur propre structure, Massive Attack Records, un single nommé Any Love. Le mari de Neneh Cherry, Cameron McVey, croit suffisamment au jeune trio pour les pousser à produire un album entier, qu'il aidera largement à mettre en place et à enregistrer. Massive - privé temporairement de son "attack" pour cause de guerre du golf - s'impose en 91 avec Blue Lines, un album totalement mircaculeux, et ce à plus d'un titre.
Avant tout, c'est la force improbable de ce collectif original qui marque. Car Massive Attack n'est pas un groupe au sens classique, et sa généalogie s'affirme à chaque morceau. Si on parle de trio et que ce sont bien 3 personnes qui se mettent en photo au dos du LP, l'identité des 3 est pratiquement impossible à déterminer. Massive Attack délègue et s'arme d'une troupe conséquente. Cette façon de faire éclatera totalement sur leur troisième album, lorsque le groupe réalisera dans la douleur (réelle) un disque largement orchestré par Neil Davidge, producteur patient qui parlera du trio comme d'un groupe incapable de jouer du moindre instrument. Massive Attack sait s'effacer (y compris en live) pour laisser ses exécutants faire le travail. Mieux encore, la solidité de l'enregistrement semble particulièrement remarquable quand on sait les tensions et antagonismes "cimentant" ce collectif. Shara Nelson, chanteuse historique du groupe ne tardera pas à s'éloigner du trio après ce premier album, en larme, ne voulant plus jamais en entendre parler. Tricky, alors jeune prodige, ne tardera pas à suivre, alimentant régulièrement une rancune tenace notamment envers Marshall. Mushroom lui même finira par plier bagages dans la décennie. Marshall, incapable de travailler avec Del Naja s'isolera complètement de son propre groupe (un retrait studio temporaire en 2001 et une gestation en aparté pour Heligoland en 2009). McVey lui même, qui sera le manager et mentor du groupe se fera expulser quelques temps après la sortie de Blue Lines. Le chaos. Total.
C'est aussi le disque que l'Angleterre n'attendait pas, et qui sera vu (notamment en France) comme la preuve que la perfide Albion, incapable de produire une réponse au hip hop américain, créée son propre son avec ce "trip hop" - c'était bien mal connaître la scène d'alors, avec des groupes brillants comme Hardnoise, The Criminal Minds...
Miraculeux aussi car la période le prouvera à quelques reprises, Blue Lines s'inscrit dans la ligne de ces très grands albums, indépassable pour certain, dont la noirceur, l'exigence et l'indépendance ont permis un certain succès, tout en proposant une musique d'une grande beauté. A la production exigeante, ample, s'accole un travail d'orfèvre sur les samples, la matière première et dominante de ces 9 titres. Massive sublime ses échantillons, les manipule avec une aisance certaine et livre un canevas musicale luxuriant. Chaque morceau irradie par sa puissance mélodique et ses trouvailles soniques, pourtant loin de la méthode de la sur-couche qui fera la force de Mezzanine. Quand le collectif s'éloigne de ses sampleurs et claviers, c'est pour ajouter le vernis de véritables instruments. Là aussi, c'est avec une délicatesse remarquable que le groupe créée une alchimie ensorcelante : aux studios d'Abbey Road, ils concoivent (avec Will Malone) une partition impeccable de cordes pour le single le plus important du début des années 90, Unfinished Sympathy. Shara Nelson habite à la perfection ce titre de soul contemporaine, morceau pivot et essentiel de l'album. Loin de l'aridité du titre Any Love (disparu). C'est tout de même le hip hop qui tente de s'imposer sur l'album. Del Naja s'essaie au rap sans transcender le genre, au côté de Marshall, imposant une voix profonde et chaleureuse. A leur côté, c'est le tout jeune Adrian Thaws, surnommé Tricky Kid par ses pairs, qui impose de sa voix encore indemne des volutes d'herbe un flow monocorde. Alors convaincu que la gamine qu'il vient de découvrir, une certaine Martina, pourrait intéresser le collectif (qui rejette son idée), il s'apprête à commettre de son côté également un des albums les plus important des années 90... mais en solo. Ladite Martina finira par illuminer les prestations du groupe presque 20 ans plus tard.
Si on parle souvent de Blue Lines comme d'un album de "soul", c'est oublier la place considérable du reggae dans la mixture du trio. Obsédé par le dub, Massive Attack revendique son amour pour la musique jamaïcaine et offre un magnifique hommage sur cette première production. La preuve flagrante est la présence de Horace Andy, légende du style, au casting. Il incarne brillamment de sa voix si singulière les productions des anciens Wild Bunch pour en faire des chansons imparables. Avec une carrière en pleine stagnation, il profite du collectif pour ranimer la flamme de son indispensable Dance Hall Style, mythique album de 82 dont il présente lui même le fantôme en fin de "Five Man Army", impeccable titre mélant rigueur hip hop et lourdeur dub. Plus tôt, c'est une reprise du "Be thanksfull for what you've got", titre soul de Williams DeVaughn, déjà repris à plusieurs reprises par des artistes de reggae, en faisant ainsi un titre emblématique de Lovers Rock qui se distingue.
Un succès colossal à la clé, c'est aussi une carrière qui peinera à se démarquer de ce premier enregistrement qui attendra le groupe. Incapable de réitérer l'exploit, Protection aura du mal à convaincre, d'autant plus que les prestations scéniques du groupe sont calamiteuses. Il faudra attendre le glorieux Mezzanine pour que le groupe retrouve de sa superbe et s'impose comme une formation indispensable. Reste ce disque, Blue Lines, classique indémodable. C'est à l'occasion de ses 21 ans que le disque s'offre un lifting, avec une version remasterisé pour les oreilles les plus affutées. Dans un packaging faisant (enfin ? ) honneur au travail du groupe, voilà l'occasion idéale de (re) découvrir ce chef d'oeuvre, miraculeux premier albums assemblé par une bande de brillants désoeuvrés.
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