jeudi 9 décembre 2010

Tea Time en compagnie de Chris Morris et de Sam Taylor-Wood


Vous l'aurez certainement compris vu le jour que nous sommes, je n'ai pas eu le temps de tenir mes délais. Il faut dire que quand on passe son mardi soir à bosser pour son mémoire et son mercredi soir dans sa voiture, coincé par la neige et le verglas, on a pas forcément le temps d'écrire les billets qu'on aimerait. C'est donc avec un léger retard que je vous invite à une séance anglaise, bordée de ce côté-ci de la Tamise par la comédie satirique Four Lions et, sur l'autre rive, par le biopic Nowhere Boy en compagnie de John Lennon.

Chris Morris est loin d'être un inconnu outre Manche. C'est même un agitateur public à qui la BBC Radio Cambridgshire doit certains de ses plus beaux moments d'antenne. Après sa carrière d'animateur radio, Morris a expérimenté son humour noir à la télévision britannique, notamment avec son fameux The Day Today qui fait de lui l'une des stars de la chaîne BBC2 et aide au lancement de la carrière d'un autre grand comique anglais, Steve Coogan.

C'est tout naturellement alors, après un BAFTA du meilleur court métrage en 2002 pour My Wrong #8245-8249 & 117 (produit par Warp Film), que Morris atterrit au cinéma avec une comédie qui a généré un sacré débat de l'autre côté du Channel. En effet, Four Lions (ou We Are Four Lions) raconte l'histoire de 4 individus vivant dans le nord de l'Angleterre et désireux de fomenter un attentat pour faire valoir la cause islamique. Ce synopsis rigolo est très vite monté à la tête de beaucoup de gens qui y ont vu non pas une satire mais une adaptation parodique des attentats qui ont eu lieu à Londres en 2005. Ces mêmes personnes, généralement des familles et des associations de victimes, ont donc tenté d'interdire le film et ont manifesté leur désapprobation devant les salles de cinéma.

Peut-on rire de tout? C'est la sempiternelle question que l'on se pose dès lors que l'on aborde un sujet un peu tabou, qu'on égratigne les immaculés, les nantis ou les despotes. Si l'on en croit la triste chronique faite par Télérama, l'initiative de Morris est "stupide". Pourquoi? Parce qu'il est "stupide" de faire croire que l'acte de terrorisme est l'oeuvre de gens idiots, de grands enfants benêts, ignares, maladroits...

C'est un peu comme si Télérama reprochait aux Monthy Python de faire passer le Roi Arthur et ses chevaliers de la table ronde pour des abrutis libidineux ou des couards dans Sacré Graal. Morris ne fait rien de plus que de reprendre un fait existant et tourner en ridicule la cascade des événements, l'enchevêtrement des attitudes de chacun, les atermoiements incertains d'une bande de non-initié qui veulent se faire plus roi que le roi. Certes, il prend ici un événement peut-être trop récent et qui a profondément meurtri l'Angleterre. Certes, il prend comme héros des terroristes islamistes et se moque d'eux. Mais il ne les rend pour autant ni détestables, ni inhumains, ni injustes. Au contraire, le film de Morris n'est jamais ni raciste, ni insultant pour la religion musulmane. C'est une force incroyable. Morris peint une bande de débiles qui s'imaginent à la hauteur d'une cause qui les dépassent complètement, dont ils ne cernent pas vraiment les enjeux, bref qui veulent faire parti d'un combat pour lequel ils ne sont pas armés.

Four Lions s'inscrit directement dans la lignée du succulent In The Loop de Armando Iannucci (sorti en 2009), que Morris a côtoyé à la radio au début des années 90. L'image est sale, et son traitement esthétique n'a aucune importance, bien au contraire. Elle est le témoignage d'une réalité laide et du regard laid qu'on porte sur elle. Alors pourquoi faire de belles images avec ce genre de choses? On est quelque part entre le réalisme social d'un Ken Loach et la délirante inventivité des Monthy Python.

Morris instigue l'absurde dans la moindre de ses scènes, dans le moindre de ses dialogues, dans la préparation des quatre amis comme dans leur intimité. En témoigne cette scène surprenante en famille, où Omar (génial Riz Ahmed), fatigué de se débattre avec autant de tocards, est réconforté par sa femme et son fils, tout deux au courant de ce que fomente Omar, comme si tout cela était tout à fait normal... On est interloqué, on est hilare, on est séduit. Cette comédie franchement irrévérencieuse est le petit cadeau anglais au pied du sapin de Noël.

Autre film et toute autre ambiance. La réalisatrice Sam Taylor-Wood tente de mettre en scène un scénario d'Anton Corbijn (réalisateur du génial Control) narrant les années lycée de John Lennon, sa rencontre avec la musique, avec Paul McCartney et Georges Harrison, le tout jusqu'à ce qu'ils embarquent pour Hambourg.

Sam Taylor-Wood rate en parti son film en berçant trop souvent dans une sorte d'euphorie teen déplacée qui fait plus penser à la naïveté de façade des films de Jacques Demy qu'à une bio tranchante (voire trop) comme on a pu y avoir le droit avec le récent The Runaways. Trop joyeux, trop propret et trop sage; Nowhere Boy manque cruellement de relief et ne réussit à s'échapper du mélo qu'avec les quelques morceaux d'époques... Et encore, on est là encore dans ce qui se fait de plus commun lorsqu'on pense vintage, retro etc.

Finalement ce qui est le plus intéressant et ce qu'elle réussit le mieux à cerner c'est la complexité des liens familiaux entre John, sa mère et sa tante (incarné par Kristin Scott Thomas) qui l'a élevé. Cette relation ambiguë, déchirante parfois, donne un peu d'épaisseur au personnage campé par un Aaron Johnson un peu à l'étroit dans une veste qui n'était à l'évidence pas taillée pour lui.


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