Il y a deux semaines de cela se déroulait au Forum des Images une sorte d'automne du film Québécois, réunissant une trentaine de films sélectionnés parmi la foisonnante production de la Belle Province. Des films aux couleurs sombres et graves, abordant sans détour de nombreux sujets délicats qui sont de véritables angles morts dans le cinéma français. Âpre, sans détour, complexe et parfois très violent (voir Les 7 jours du Talion de Podz) ce cinéma propose une alternative intéressante à ce qui envahie de façon hebdomadaire nos salles notamment parce que son financement (assuré quasi exclusivement par l'Etat du Québec) lui donne de grandes latitudes.
Une oeuvre atypique s'est sortie de cette sélection. The Trotsky, second film de Jacob Tierney, est en effet un petit boulet rouge iconoclaste pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce que comme son nom l'indique, Jacob Tierney est un québécois anglophone. Ca ne semble rien comme cela, mais comme nous l'a confié le réalisateur, la communauté anglophone du Québec est bien souvent assimilée à une communauté étrangère ou plutôt non-québécoise. Du même coup, il est d'une assez grande rareté qu'un film québécois soit écrit et produit en anglais, joué avec des acteurs canadiens anglophones et francophones...
En soit Tierney a mis le doigt sur quelque chose d'assez sensible dans la société québécoise: la cohabitation entre les deux cultures. Fort de ce bilinguisme, le Québec n'en reste visiblement pas moins le théâtre d'une opposition ou, tout du moins, d'une cordiale ignorance entre les deux communautés. Au grand dam de Tierney qui fait dire à un moment du film à son héros qui répond alors à son frère qui lui reproche de faire chier toute la ville avec ses conneries: "La moitié de la ville, je crois que les francophones n'en ont rien à faire de nous". Triste reproche...
Secondement, The Trotsky est une comédie. Là encore, rien d'extravagant mais, aux vues de la programmation, c'est une petite bouffée de jovialité. Non pas que les choses graves me rebutent, ce serait mal me connaître, mais à un moment, ça fait du bien de lâcher ses zygomatiques.
Sous ses airs de grand adolescent maladroit, veule et introverti, Léon Bronstein (alias l'excellent Jay Baruchel) a une certitude: en plus d'être son homonyme, il est la réincarnation de Léon Trotsky. Rien que ça! De ce fait, Léon a tout un planning pour réussir sa vie, autrement dit, coller à celle de son illustre prédécesseur. Il mène ainsi sa première grève dans l'entreprise de son père en mobilisant les salariés contre leur patron qui ne respecte pas la pause déjeuner. Mais cette grève est un échec. Léon voit l'occasion de se réaliser lorsque son père, pour mettre fin à cette obnubilation qu'il trouve ridicule, l'inscrit dans une école publique dirigée par deux tyrans "fascistes" (comprenez strictes et autoritaires) interprétés par Domini Blythe et l'impeccable Colm Feore.
Que retenir de tout ça? Au premier abord, ça apparaît un brin falot et on voit mal comment Tierney va bien réussir à se dépêtrer d'un sujet aussi barbant que l'éventuelle réactivation du communiste trotskiste au XXIe siècle dans le milieu estudiantin canadien. Et pourtant... Avec une véritable intelligence de ton, il parvient à toucher exactement le spectateur en posant une question fondamentale. Partant du constat que rien ne va plus, que l'injustice scolaire a pris le pas sur le devoir fondamental de l'école qui est celui de former l'esprit critique de ceux qui la fréquentent et de leur permettre d'utiliser ces connaissances pour construire ceux qu'ils seront demain, Tierney, se demande si, "la jeunesse" d'aujourd'hui, celle de Facebook et du rock acidulé, est bercée dans un ennui profond d'où elle pourrait sortir pour mener la Révolution ou si elle est plongée dans l'apathie, latente et immuable inertie, incarnation de l'immobilisme et de l'impuissance.
Et la question est plus que pertinente à l'heure où le nihilisme l'emporte (Notre jour viendra de Romain Gavras) et où les socles du capitalisme sont interrogés dans leur fonctionnement et dans leur utilité quant au bien être des individus et leur épanouissement (si tant est que cela eut été un des buts du capitalisme...). Tierney choisit bien sûr une issue positive à cela, respectant l'esprit du teen movie dont il a su jouer des codes durant presque deux heures.
Car avec son personnage programmé comme une machine de guerre, tout devient très vite un bouillonnement d'idées saugrenues et pourtant pas totalement absurdes, qui joue à la fois sur la jolie candeur de Léon, sur cette tendance presque schizophrénique à vouloir être absolument un autre ou encore sur son intense conviction dont il ne démord jamais. Le résultat est donc un monumental chahut gentiment gaucho, débordant d'énergie, tant dans la mise en scène que dans les dialogues extrêmement percutants.
Malheureusement, et c'est le cas pour la grande majorité des films diffusés lors de cet évènement, The Trotsky ne devrait pas sortir en salle en France. Peut-être en dvd, si le film a la chance de connaître le même sort que Pontypool. Et c'est quand même terriblement dommage de se priver de ça sur grand écran, tant le film instille une bonne humeur communicative et politiquement décalée... Bon allez je m'arrête là, il faut encore que j'écrive un truc sur Four Lions et Nowhere Boy avant mercredi...
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