Journée de tous les émois ou vendredi ordinaire de festivalier qui commence à avoir sérieusement mal aux jambes à force de rester assis huit ou dix heures par jour ? Le programme s'annonce plutôt pimenté en cette fin de semaine avec de grosses attentes (le dernier Sono Sion et le documentaire de Richard Stanley) et des "habitués" de la 19e édition, avec un nouveau film proposé par Jello Biafra et un Sayadian pour finir la journée. J'attends Arnaud à l'entrée du forum (pas celui du 6e jour, un autre Arnaud). Guillaume passe par là, il a deux heures à perdre avant d'aller voir le Sono Sion avec moi. On revient encore une fois sur Confession of Murder. C'est le running debat de la dizaine. Arnaud n'arrive pas, je lui prends sa place, il m'appelle, il fume son clope. Son élégante et longiligne silhouette se dégage enfin de la place Carrée, un grand sourire aux lèvres, une barbe de deux ou trois jours qui le rend plus avenant que jamais... C'est le genre de garçon qui a les yeux qui pétillent aussi fort que bat votre coeur et qui, en un plissement de fossette, vous transforme en flaque d'eau. Bref, va sérieusement falloir se concentrer sur le film pour ne pas passer la séance à le regarder (si mes articles se transforment un peu trop en journal de Bridget Jones, frappez moi...).
Salle 500 donc, L'Autre Monde, le nouveau documentaire de Richard Stanley, qu'on avait vu très rapidement l'an dernier dans le film à sketches A Theatre Bizarre (dont il réalisait un segment), a tout pour plaire sur le papier. Il s'agit d'une descente mystique dans les tréfonds du sud de la France, autour des légendes et des histoires médiévales qui font tressaillir les touristes. Le tout sur des images du génial Karim Hussain... Alors qu'il passait des vacances tranquilles avec sa femme, Stanley a vécu une expérience surnaturelle au Chateau de Montsegur, endroit réputé pour les forces magnétiques qui y règneraient. A partir de là, Stanley s'est dit "putain si j'en faisais un film ?". Bah oui, après tout, ce ne serait pas le premier à faire un long métrage à partir d'un film de vacances... Du coup, il embarque femme et amis (Hussain donc, mais aussi le compositeur Simon Boswell) du côté de Rennes-le-Château et d'autres bleds comme ça, pour un road trip ésotérique dans le sud de la France. Autant le dire tout de suite, on se marre beaucoup pendant le film de Stanley, à défaut de croire une seule seconde à ce qu'il nous raconte ou d'entrer dans l'univers surnaturel qu'il essaie de nous décrire. Il faut dire que la construction scénaristique de son documentaire ne tient pas la route. On est plutôt dans une logique de rencontres, de "va comme je te pousse", d'accumulation d'étrangetés qui ne sont jamais vraiment liées les unes aux autres.
C'est la très grosse faiblesse du documentaire : à force d'avancer sans savoir où il va, sans chercher à décortiquer quoi que ce soit mais en allant d'un récit d'expériences à un autre, Stanley avorte - plus qu'il n'accouche - d'un objet bâtard, dont la bizarrerie tient plus à l'hétérogénéité des sources interrogées (le clodos à cheveux gras qui trace des traits sur des cartes comme ça au pif et qui en déduit des trucs d'une divine évidence... comme ça au pif) qu'à l'hypothétique crédibilité de ce dont il parle. Si son enquête avait été menée avec un tant soit peu de sérieux, on aurait évité les superpositions d'insignes mystiques sur des montagnes inquiétantes et des commentaires hors sujet du maire du village du coin où il s'est passé un truc chelou il y a cinquante ans... A vrai dire, on a de la peine pour Stanley car il donne l'impression de ne pas vouloir comprendre ce qui s'est passé, de ne pas chercher l'origine de ces légendes (le flou artistique magistral sur les Cathares...), mais se contente de retranscrire de manière sensitive ce qu'il a pu ressentir ce fameux soir à Montsegur... Sauf que le dispositif d'interviews qui vont du vague au complètement ubuesque (le mec qui ne veut pas qu'on le film et qui ne dit rien pendant 3 minutes en agitant ses mains...), ne sert absolument pas cette démarche.
Mes yeux ont eu moins de mal à se perdre dans ceux d'Arnaud que dans ce film dépourvu de structure et de volonté d'éclaircissement. La sortie du film est un déchirement, Arnaud ne me suit pas pour le Sono Sion... Une bise très amicale, un dernier sourire et un "au revoir" qui sonne comme un "à bientôt" (et vu que ça vous passionne, pour l'heure on en est encore au "au revoir"). Guillaume fait déjà la queue pour la salle 500. La séance va être pleine à craquer : le dernier Sono, c'est un événement puisqu'avant nous seuls les privilégiés de Venise et de Toronto ont eu la chance de le voir.
Et putain de bordel de sa grand-mère punk aveugle... Why Don't You Play In Hell ? est une tuerie, dans tous les sens du terme. Un yakuza veut tourner un film avec sa fille (actrice de publicité pour les brosses à dents) afin de remercier sa femme pour les années de prison qu'elle s'est sacrifiée à faire pour lui. Il va engager une bande de gamins fan de cinéma qui n'attendent qu'une chose, qu'on leur propose de faire le film qui changera leur vie. Ces petits cinglés amoureux du 35mm vont filmer l'affrontement entre deux clans de yakuza, et ça va saigner.
J'ai bien fait d'aller voir Bad Film quelques jours avant. WDYPIH s'inscrit directement dans la lignée de ce film bordélique et punk, centré sur de violents affrontements claniques. On retrouve cette passion viscérale de Sono Sion pour les chefs charismatiques à la tendresse drôle, pour les gunfights et pour l'humour décalé. Son dernier film est un magistral hurlement d'amour au cinéma doublé d'un bras d'honneur cinglant et trash à l'industrie du cinéma japonaise. En mettant en abîme sa propre volonté de faire des films (le gamin malade de ciné qui veut devenir réalisateur, c'est lui), il adresse un message de liberté bouillonnant à tous ceux qui désireraient brider ses véhémentes hystéries filmiques : messieurs, Sono Sion ne cessera jamais de faire ce qu'il veut, et d'ailleurs, il fait un film pour vous dire qu'il vous emmerde.
Why Don't You Play In Hell ? est un cri furieux et bandant, qui déchire les limites de la violence esthétique sans pour autant la rendre ni ringarde, ni superflu, ni malsaine. La force de Sono Sion c'est d'arriver à délivrer des poèmes punks ultra libérés et ultra jubilatoires sans jamais verser dans le nihilisme ou le cynisme. S'il invective les tenanciers de moral, s'il fait un bras d'honneur aux producteurs, s'il évoque à demi mot la censure (à travers la police qui débarque à la fin du film pour réprimer la tuerie... ne faisant au passage que rajouter de la boucherie sur la boucherie), s'il emmerde Kitano le has been et Miike le plus grand chose, Sono Sion livre surtout ici tout son amour du cinéma, quelque chose de furieusement enfantin et d'immensément grand.
La dernière demi-heure du film est un massacre inoubliable, d'une drôlerie fantastique. Niveau rythme, Sono Sion ne se trompe pas. Habitué à fournir des films de deux heures qui se perdent parfois en temps morts (dans Cold Fish par exemple), il remplit avec maestria les 2h10 de film, avec des bastons inclassables, une inventivité de mise en scène ahurissante et une dinguerie qui enchante chaque plan. Furieux. Déjanté. Une explosion tout bonnement magistrale.
Après deux heures de fight au katana sous acides, la retombée cathartique s'apparente plus à une descente d'organes qu'à une descente de lit... Je croise Jérémy dans la queue de la salle 100, il me présente Thomas, qui vient tout juste de rejoindre l'équipe de Panic Cinéma. On va voir un vieux film allemand de 1981, une bizarrerie de l'artiste Ulrike Ottinger. Je fais remarquer à Thomas qu'avec la présentation de Jello Biafra, il va devoir choisir entre la fin du film et le début de The Rambler... Ce qui est très dommage.
Jello Biafra a vu Freak Orlando à sa sortie dans un cinéma allemand tout pourri, sans aucun sous-titres. Bien évidemment, lui le californien, n'a rien compris. L'Etrange Festival ayant retrouvé une version sous-titrée en anglais, c'est l'occasion pour Jello d'y comprendre quelque chose... Ou pas. S'il fallait un film "What The Fuck" dans cette édition, ce serait bien celui là. Ottinger livre une sorte de long voyage aux sens métaphoriques parfois impénétrables, dans lequel des personnages circulent de sketches en sketches, dans la drôlerie ou dans la gêne la plus totale. On n'arrive jamais à comprendre tout ce que l'artiste allemande veut dire, ni même si elle veut dire quelque chose, certaines séquences s'inscrivant dans un onirisme si puissant qu'il serait vain de vouloir y déceler quoi que ce soit. N'empêche, il y a quelques symboles phalliques qui reviennent de temps en temps. Et puis il y a cette princesse barbue, crucifiée en plein centre commercial qui hurle un opéra à mourir de rire. Et cette évocation glaçante d'étrangeté des déportations et du nazisme, à base de nains que l'on met dans des cadis accrochés en wagon...
C'est déstabilisant. La poésie d'Ottinger est tantôt cruelle, tantôt surréaliste. Elle tangue d'un monde à l'autre, toujours avec une idée de poursuite, de voyage infernal dans un monde où l'absurde a envahi des territoires curieusement très habituels (le centre commercial donc). Freak Orlando s'inscrit véritablement dans la veine des plus étranges Jodorowsky (même si à l'époque il n'a pas encore réalisé Santa Sangre, on y pense beaucoup). Comme on pense évidemment à Todd Browning, le titre du film y faisant allusion, mais aussi à Arrabal, à Kenneth Anger ou encore, à Schlingensief (plus tardif lui par contre). Un long poème très inégal qui réussi parfois à être envoutant.
On finit la journée au café... Ou plutôt avec Cafe Flesh (humour...) du désormais bien connu Stephen Sayadian. Je retrouve Lionel en salle 300. Il retourne le lendemain à Marseille, il faudra que je l'emmène à gare de Lyon. Ca veut dire un réveil à 7h... Ca va être une très très longue journée samedi. Revenons en à Cafe Flesh, film porno d'anticipation de 1982. Dans un café lugubre de l'après catastrophe nucléaire, les négatifs, ceux qui ne peuvent plus avoir de rapports sexuels, viennent jouer aux voyeurs et mater les positifs qui sont obligés de se donner en spectacle dans des jeux sexuels chorégraphiés. Attardons nous un petit peu là dessus : des négatifs, des positifs, des gens qui ne peuvent plus baiser sous couvert de se tuer... Alors qu'on est au début des années SIDA, le film de Sayadian fait froid dans le dos et son ambiance sombre laisse présager un certain pessimisme.
Cafe Flesh surprend par le peu d'intérêt qu'il porte aux scènes de sexe. Il doit y avoir trois séquences pornographiques dans le film, toutes trois filmées selon un protocole extrêmement similaire, en trois temps s'il vous plait : fellation, pénétration vaginale, cumshot sur la chatte touffue de madame. Ce qui est inventif, c'est l'emballage, la mise en scène, tout ce qui entoure ces scènes porno. Pas aussi brillant que son Dr Caligari, ce premier film (chronologiquement) a le don de créer une ambiance, de rendre ses personnages crédibles, humains, d'insuffler une complexité peu habituelle dans ce genre de production dont le premier rôle est de faire jouir, et vite. On comprend très bien que le film ait été hué lors de sa sortie dans les salles porno : les séquences crues sont chiches, l'ambiance est pesante, intelligente et parfois grotesque, la réflexion de mise. Rien de bien bandant avant 15 à 20 minutes de film ! Mais un peu de culot dès les premières minutes...
Demain samedi fou. Je dois choper Lionel pour l'emmener à la gare. L'après-midi cinéma est surchargée avec cinq films au programme. Et il y aura la nuit Divine... Je vais repartir pour dix-sept heures de film... Allez, du courage, c'est bientôt fini. Je cours au RER, mon lit est encore loin. Trop loin.
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