Je suis défoncé. Je viens d'enchaîner dix-sept heures de cinéma consécutives, quatre pauvres heures de sommeil et je suis reparti à l'attaque du Forum. Je ne sais pas comment j'ai fait pour tenir toute la nuit, avec presque rien dans le ventre en plus, mais bon... La journée s'annonce passionnante !
Les yeux piquent toujours. C'est un peu comme avoir la gueule de bois, sans l'odeur de l'alcool qui vous colle à la peau. Quoi de mieux pour se mettre en jambes et se réveiller qu'un bon vieux John Waters ? Rien, vraiment rien. Présenté dans la catégorie des pépites de l'Etrange, Desperate Living y a toute sa place. Après avoir tué son mari, une bourgeoise hystérique est obligée de fuir avec sa gouvernante obèse dans un village où les malfrats peuvent vivre à l'abri de la police, mais sous le joug de la cruelle reine Carlotta. Desperate Living décline des thématiques fétiches de Waters dans un style bordélique et coloré qui fait la part belle à tout ce qu'il y a de plus fou et déviant dans la nature humaine. Il ne faut pas s'étonner de sortir de la salle avec les oreilles qui sifflent : ici on ne crie pas, on hurle pendant 1h30, et c'est pour mieux débiter des insanités. Tout est poussé à son paroxysme, des costumes égrillards aux formes oblongues des femmes, en passant par ce saphisme drolatique qui atteint au fur et à mesure tout le monde. On assiste à un véritable carnaval, comme une fête foraine permanente, avec ses attractions, ses freaks et son château en carton pâte. Un Disneyland du pauvre, mais aussi du déviant, du méprisé, du reclus social. Car Waters n'en oublie jamais d'égratigner la société dans laquelle il vit, s'attaquant au fascisme, à la bourgeoisie et à l'inertie du luxe. Un bien beau bijou, pour le coup.
La salle 30 est quand même sacrément trop petite. Encore plus quand on y voit un John Waters... On file juste à côté pour Worm. C'est une des vraies bizarreries du festival, un film concept comme il y en a peu et qui, de fait, peut très bien s'avérer être une merveille comme un gros raté. Worm, réalisé par le clipeur Andrew Bowser, est un plan séquence d'une heure et demi tourné avec une caméra Go Pro. Imaginez que vous regardez "J'irai dormir chez vous" avec Antoine de Maximy harnaché de sa caméra qui le film tout le temps. Mettez tout ça en noir et blanc, ne faites pas de montage (un plan séquence) et enveloppé ça dans une sombre histoire de meurtre et de manipulation, mode thriller... Et bien, à la surprise générale, ça peut marcher ! Certes le film n'est pas dépourvu de défauts. Déjà techniquement, c'est dur de n'avoir qu'un seul point de vue pendant 1h30. Cela crée beaucoup de hors champ, parfois trop. On perd de l'informations, on distingue certains artifices (personne ne se baisse comme ça pour sortir d'une voiture, à moins d'avoir une caméra embarqué... ah bah oui, c'est ça), et puis on doit supporter la tête de Bowser (qui joue plutôt bien pour le coup). Le choix du plan séquence est lui aussi un pari couillu mais qui entraîne de nombreux temps morts à gérer, notamment les ballades en voiture ou en moto. Les artifices sont classiques : discussion au téléphone, monologue, répétitions... Mais ça tient bien.
Toutefois, le dispositif crée une telle proximité avec le personnage qu'il y a une empathie presque forcée qui s'installe. Emprisonnante même. Il faut dire qu'il en voit de toutes les couleurs le Bowser et qu'il a quand même fait en sorte que sa démonstration technique soit au service d'un scénario qui tient bien la route, enchaînant les rebondissements et les révélations. Worm, s'il n'est pas un film extraordinaire, marque le coup et offre un divertissement inattendu et soigné, les images de la Go Pro étant particulièrement belles.
Voilà venu un des films les plus attendus de la dizaine. The Rambler, de Calvin Lee Reeder. Le cinéma de CLR laisse d'abord dubitatif. Ceux qui ont vu The Oregonian savent qu'on sort du film plutôt en colère, tout du moins crispé, parce qu'on n'a rien compris, parce qu'on n'a l'impression qu'on ne nous a rien raconté, parce que putain mais c'est quoi ce monstre en peluche verte là ? Pourtant, plus on y repense, plus l'on constate que certaines images nous hantent encore, et que ce foutu Calvin nous a ouvert un univers onirique complètement dingue.
The Rambler adopte tout d'abord une posture moins surréaliste. Dermot Mulroney (qu'on peut voir aussi dans le dégueulasse Jobs, avec Ashton Kutcher) campe un type qui sort de prison et qui va retrouver le "monde libre". Cette sortie ne va pas se faire sans quelques déconvenues, poussant notre cow boy aux faux airs de Stallone a prendre la route et à aller vers l'Oregon (encore) pour y retrouver son frère qui y a un ranch. Si on m'avait demandé de faire un résumé de The Oregonian, je n'aurais pas pu. Ce que je viens de réaliser pour The Rambler relève donc presque de l'exploit. La route qu'emprunte notre Dermot n'est pas sans peine, ni sans bizarrerie. Il y croise tour à tour un scientifique un peu fou, un bookmaker qui l'entraine dans des combats de boxe perdus d'avance, une jeune femme (Lindsay Pulsipher, petite amie de Calvin dans la vie) avec qui il vit une étrange passion fantomatique.
Bien sûr, on ne comprend pas tout, mais l'imaginaire déployé dans ce voyage initiatique séduit par sa cruauté, l'étrange insensibilité de son personnage principal. C'est un peu comme visiter une Amérique qui serait devenue un vaste hôpital psychiatrique ou un film d'horreur à ciel ouvert. Comme un hommage ou comme une longue digression, on y croise d'ailleurs tout ce qu'il y a de plus typique dans le cinéma d'horreur US : la folle enchaînée, le scientifique barré, le fantôme, les morts violentes, le monstre sans visage... Reeber réuni un condensé de légendes du genre tout en se plongeant viscéralement dans une Amérique de plus en plus profonde, qui dégorge d'absurdité et de sordidité.
L'étrangeté n'atteint pas que le récit. Le montage et le matériau filmique sont eux aussi touchés. Les trois premiers plans du film, dans un montage très rapide, piochés à différents endroits du film, apparaissent comme un condensé annonciateur, sans qu'ils n'aient de rapport entre eux. Puis vient la prison, seul moment où le montage n'est pas affecté par l'étrangeté qui va régir le récit. Des grésillements, des répétitions très courtes de plan, des sauts dans l'image... autant d'artifices qui viennent montrer que ce qui se passe à l'image peut aussi se passer sur les images et dans leur enchaînement, le scénario n'ayant pas le monopole de l'expérimentation onirique, mais aussi que cette instabilité, cette insécurité permanente peut contaminer d'autres supports bien plus réels que le film lui-même.
Après ce passionnant voyage, voici le fameux Belenggu dont Guillaume m'a déjà dit tant de mal. Il est déjà 22h, j'ai les yeux qui pétillent, la tête qui flanche, le ventre vide mais quelques nouveaux amis de festival pour m'accompagner ! Je ne tirerai pas sur une ambulance, Belenggu est un film qui n'a clairement pas sa place en compétition. Dénué de toute sens du rythme, sa réalisatrice se perd dans de longs plans emphatiques et démonstratifs, singeant une poésie lynchéenne et des figures kellyennes qu'elle est bien incapable d'atteindre. L'image est léchée mais dépourvue d'âme, les acteurs en font des caisses jusqu'à la nausée... Cette production indonésienne donne l'impression de retomber dans ce qui se faisait de pire au début des années 2000. Et puis, pour tout dire, je me suis endormi... Le festival est encore long, fallait bien se reposer un peu !
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