Ce mercredi est une journée spéciale pour moi. Pour la première fois, je ne vais pas être que spectateur de l'Etrange Festival, mais un petit peu acteur. En effet, l'Université de Saint-Denis organise, avec la BNF, un colloque sur le cinéaste Lionel Soukaz en décembre prochain. Il se trouve que je fais ma thèse sur ce monsieur... Il se trouve aussi qu'on a contacté l'Etrange Festival et obtenu une séance spéciale pour lui, lors de laquelle il a pu programmer quelques films de lui mais surtout d'autres réalisateurs et réalisatrices. Bref, la journée est partagée entre le stress de l'organisation de la séance (dont mon comparse, Stéphane, a eu la plus grosse charge) et l'Etrange Festival. Réunion de travail le matin avec Stéphane. Je récupère des tracts à distribuer lors de la séance. Je retrouve Lionel le midi à Arts et Métiers pour déjeuner un chinois affreux. On descend au Forum à pied, il a besoin de prendre l'air. L'approche de la séance l'angoisse, il lui faut de l'oxygène ! On parle de cul tout le trajet, comme d'habitude.
Arrivé au Forum, direction la salle 30, la plus petite, la plus intimiste des salles de l'endroit. Pour tout dire, elle est plus petite que le salon de mes parents et à peine plus grande que ma chambre (et vu que vous êtes tous déjà venus chez moi, ce sont des échelles de valeur qui vous parlent bien évidemment). Lionel n'était emballé par rien, j'espère que l'après-midi ciné va le détendre un peu... Pour commencer, quoi de mieux qu'un bon nanar 80's en VF ? La victime du jour s'appelle Blood Diner de la fameuse Jackie Kong (ouais, ouais...). Blood Diner est son troisième et avant dernier film, réalisé en 1987 (il a mon âge, snif). Avant cela, elle avait déjà commis The Being en 1983, un film de monstre avec Martin Landau et Night Patrol en 1984, un film de flic looser avec la formidable Linda Blair (la gamine de l'Exorciste de Friedkin, c'est elle ! Et son rôle dans Night Patrol lui a valu un des quatre Razzy Awards qu'elle a glanés entre 1982 et 1986... Autant dire une pointure du nanar comme on les aime !).
Autant dire que Blood Diner est un monument de mauvais goût cinématographique comme seules les années 80 pouvaient en offrir. Deux gamins voient leur oncle, un serial killer fanatique, se faire tuer par les flics. Il leur fait promettre juste avant de crever de tout mettre en oeuvre pour vénérer la déesse Shiraa, une obscure divinité sumérienne, et pour la faire revenir à la vie afin que son règne s'accomplisse. Vingt ans plus tard, les deux gamins tarés déterre le cerveau de leur oncle (si, si, toujours bien frais) et mettent en oeuvre son plan diabolique : il va falloir tuer de la vierge effarouchée et de la salope afin de récupérer des entrailles et nourrir la déesse ! A partir de là, tout est possible. Basé sur ce plot improbable, le film ne tarde pas à se barrer en couille.
Dès la séquence d'introduction en fait, avec l'oncle psychotique. Puis les séquences s'enchaînent sans temps mort et avec la verve la plus frapadingue. On est presque au bord de l'overdose de second degré tant c'est fou : plus machiste, plus homophobe, plus raciste, plus débile, y a presque pas. Mais tout ça pour le bonheur des oreilles et des yeux bien sûr, et sans jamais se prendre au sérieux. Le film de Jackie Kong est un de ces plaisirs coupables dont on raffole tous, cette merveille fauchée qui, plutôt que d'enfoncer les portes ouvertes, s'abandonne dans les bras d'un surréalisme pop, graveleux, potache, fun, érotisant et singulièrement baroque. Un bordel sans nom ou mysticisme et fanatisme riment avec végétarien... Si, si !
Changement de salle et de registre. Après l'étincelle drolatique, voilà un film bien plus sérieux, signé par Jeremy Saulnier. Saulnier c'est l'auteur du médiocre Murder Party, dont je vous avais déjà parlé en introduction de festival. Disons que lui aussi change radicalement de registre en s'attaquant à un drame sur fond de vengeance. Blue Ruin est un film âpre et tendu qui offre de fulgurants spasmes de violence et une réflexion approfondie sur l'autodéfense, la loi du Talion et le port d'arme. A vrai dire, c'est le film à conseiller à tous ceux qui sont en train de soutenir le bijoutier de Nice... Un clochard est averti que l'homme qui a tué ses parents vingt-ans plus tôt va sortir de prison. Ni une, ni deux, il se met en chasse pour le tuer. Une fois son acte de vengeance accompli, une implacable logique destructrice s'enclenche. Et le vengeur devient alors la proie de ceux dont il s'est vengé.
On est bien loin de l'esprit comique de Murder Party. Ici, le ton est lourd, même si quelques salves d'humour viennent parfois transpercer un ciel bien sombre et une violence sèche. Le ton moralisateur du film, notamment sur sa fin, pourra certainement en écorché plus d'un. Il n'empêche que Blue Ruin dégage quelque chose de puissant, de viscéral et de profondément touchant. En témoigne ces quinze premières minutes où le personnage principal, campé par le très bon Macon Blair, ne décoche pas un mot. Une poésie de l'abandon, de l'attente se dégage dans les yeux et dans la barbe hirsute de ce personnage reclus dans sa colère triste. Il n'y a même pas de haine en lui, mais une peur terrible, une lâcheté pathétique, une gentillesse profonde, une tristesse communicative. Blue Ruin marque les esprits, par la sobriété de sa mise en scène et l'humanité de sa réflexion.
Rapide break. Stéphane nous a rejoint au Forum, il reste sur place pour commencer à accueillir les invités de Lionel Soukaz et pour voir Alain Burosse, notre contact à l'Etrange. Avec Lionel on va prendre un verre, histoire de voir la lumière du jour une dernière fois. En redescendant, on croise René Scherer, éminent philosophe et ami de Lionel depuis 40 ans. Les amis sont là, les invités aussi. La salle 100 va être comble. Pire, une demi heure avant l'ouverture de la salle, la séance est déjà complète. Caroline, une amie, a fait le déplacement pour rien. Dix minutes avant le début de la séance, je monte faire la poule à l'entrée de la salle avec mes tracts que je distribue avec un grand sourire. J'ai jamais été une aussi belle potiche mais, quand j'y pense, j'aurais pu pécho une bonne douzaine de fois en à peine trois minutes...
La présentation commence avec du retard. Je suis derrière la caméra pour filmer les quelques mots de Lionel Soukaz (qui présente Guy & Co, documentaire et surtout hommage à Guy Hocquenghem), d'Alain Burosse (Poubell's Girls) et de Franssou Prenant (Paradis Perdu). Stéphane présente le colloque, il passe mieux que moi à l'image (il joue dans Guy & Co d'ailleurs...). Ca discute, ça déconne. On parle du FHAR (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire), des belles années de l'après 68, de liberté, de cinéma. Tout cela est teinté d'une douce nostalgie. La présentation s'arrête, je fais un panoramique sur la salle pleine qui applaudie. Les lumières s'éteignent, les murmures se dissipent. Je m'assoie dans les marches, à côté d'Alain et de Lionel. Il n'y a plus de place. On s'en fout. On est bien aussi, par terre, contre un mur. Tant que l'écran nous parle...
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