lundi 8 novembre 2010

Rubber de Quentin Dupieux

Je ne sais pas si Eric Besson me considérerai comme un « bon français » si je lui avouais, presque honteux, que je n’ai jamais compris le mythe humoristique construit autour du film de Francis Veber, Le dîner de cons. Je parle bien de mythe, tant ce cadavre d’humour falot habite encore de nos jours, douze ans après sa sortie, l’inconscient collectif de millions de Français qui furent la proie du rire facile et du jeu de mot bêta sorti tout droit du bidet d’une chevrette neurasthénique. La génération post 98 a elle aussi été contaminée, balbutiant grassement la blague de « Juste qu’a pas de prénom », se gaussant frénétiquement en mâchant son Twix à 16h à la sortie du lycée, en écoutant le Caribou des Pixies, sans savoir « c’est qui les Pixies » mais en trouvant quand même qu’ils ont drôlement pompé Damon Albarn. Symptôme d’une dispersion intergénérationnelle du mal, d’une dislocation prégnante de la classe moyenne et de l’omnipotence de sa subculture vaseuse, fruit du ravage des rediffusions de la dogmatique première chaîne.

Drôle de façon d’introduire Rubber me direz-vous. J’y arrive, lentement mais sûrement. Le drame risque de se perpétuer dans les générations futures et, pire encore, dans le monde entier. Si l’Amérique n’est plus le mythe qu’elle était, la puissance de son soft power correspond encore à une inondation hebdomadaire de films US dans les salles de cinéma. Et voilà donc que débarque, ce mercredi 10 novembre, The Dinner remake de notre boutade française, porté par (l’excellent) Steve Carell. Comprenez mon angoisse : des milliers de gens, nostalgiques pensant se remémorer un mauvais film qu’ils ont tant aimé, patriotes trop fiers de voir la France rayonner par procuration, jeunes poussés par l’inertie de groupe qui vont se laisser happer par l’effet de masse… Autant de victimes innocentes (naïves… niaises… pire…) qui vont très certainement se priver d’un monument d’absurde, de subtilité et de dérision, j’ai nommé RUBBER !

On apprend jamais aux enfants ni aux promeneurs à se méfier du pneu qui dort dans les sables silencieux. Et pourtant, à en croire Quentin Dupieux (aussi musicalement connu sous le pseudo de Mr Oizo), il y aurait de quoi. Rubber est la douce balade à travers le désert d’un pneu télépathe à la recherche de son passé et d’une fille dont il s’est entiché. Perchés sur une colline, amené là par un drôle de flic et un couard en costume, un panel de spectateurs observe, à travers des jumelles le spectacle qui se déroule sous ses yeux en temps réel. Comprenez que ces zigotos voyeuristes sont un peu comme dans une salle de cinéma à ciel ouvert. Ils y demandent le silence, ils défendent leur place, mais plus étrange, ils y dorment, ils y mangent et ils y meurent. Bref, c’est un petit condensé d’ironie sur les merdes que nous, spectateurs, sommes souvent amenés à voir et sur l’industrie qui les produit, qui nous empoisonne.

Dans sa lente course mélancolique, bercé par de chaudes lumières, notre pneu fait éclater quelques têtes, se contemple dans un miroir, découvrant son corps, découvrant qui il est, mate la superbe Roxanne Mesquida sous la douche... Face à lui ? Une bande de flics déconfits qui surnage dans un bain d’absurdité, d’incompétence et d’incompréhension. La course poursuite est à la fois tranquille et jubilatoire, suave et décousue. On entre dans ce désert avec une paire de charentaises et un sirop grenadine, de grosses lunettes noires sur le nez pour contempler l’incontemplable et l’injustifiable, l’histoire d’un objet animé, solitaire et psychopathe, qui zigouille à tour de roue sans foi ni loi. Une sorte de condensé d’amour violent, sublimé par l’étonnante qualité des images du Canon 5D.

La liberté au bout de l’objectif, seul horizon possible à la création, à l'absolue, Dupieux livre un monument d’absurdité et de drôlerie, finement ciselé et parfaitement cadré, impeccablement mis en musique par lui-même. Son inspiration est une réjouissance de chaque instant, lente, savoureuse, palpitante et solaire. Pourquoi un tel spectacle ? Et bien pour rien. Stephen Spinella l’explique d’ailleurs à merveille dans une longue tirade d’ouverture hilarante pour les uns décontenançante pour les autres. Pourquoi ce film ? No reason. Et ça lui confère un charme fou.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

exeptionnel à voir sans attendre