samedi 20 avril 2013

The Place Beyond The Pines de Derek Cianfrance

De Blue Valentine, on avait retenu l'acuité folle d'un réalisateur qui disséquait sur le temps long les affres d'un couple de prolo de l'Amérique profonde, de la rencontre originelle à l'effondrement pathétique, bercé d'un espoir désespéré celui de repartir, de continuer, malgré tout. Sur ce film soufflaient deux vents contraires. Un vent chaud et doux, une brise volée et musicale, une drague maladroite au son d'un ukulele, des sourires... Et un vent glaciale, irrépressible chant d'un hiver sentimental qui couve, encore retranché dans les confins de leurs poitrails, mais qui, aux premières neiges, sonnera le glas, dans une chambre d'hotel plus sordide que romantique. Avec The Place Beyond The Pines, son second long métrage, Cianfrance se taille trois costumes qu'il porte à merveille.

Un cinéaste de l'attraction
A bien des niveaux, Cianfrance se joue de différents phénomènes d'attraction vis à vis du spectateur, le renvoyant à ses propres distractions et aux motifs de sa venue en salle. Le film s'ouvre sur un très long plan séquence qui n'est pas sans rappeler les rugissements de Drive, film auquel TPBTP est trop comparé alors qu'il tend à s'en détacher fortement. Certaines choses les rapprochent tout de même. Ce plan séquence donc, qui suit de sa caravane à sa moto un Ryan Gosling qui feind de camper le même personnage. Regard glaçant, jeu dangereux, distance frondeuse, négligé sexy. L'attraction se joue ici à trois niveaux. Tout d'abord il est difficile de s'extirper d'un plan séquence, encore moins quand il est mené de la sorte. La prouesse technique accroche l'oeil du spectateur et le mène d'un endroit à un autre, le balade gracieusement, du stress solitaire aux vrombissements compulsifs des bécanes. 

Le spectacle. Ces motos qui s'entrecroisent dans une cage, dans un vacarme assourdissant, fonctionnent comme un catalyseur électrique. Elles déplacent le regard du personnage à l'objet, et avec lui la tension du visage de Gosling à ce terrifiant jeu de triolisme frénétique. L'attraction n'est plus attirance, elle devient divertissement, un divertissement dangereux. Et de fait, elle détourne. Trop absorbé par l'emphase géniale de ce temps réel qui nous ape, on perd le protagoniste et on ne peut plus que l'imaginer tourner dans cette cage d'acier, cette prison de ferraille dans laquelle il est parti s'enfermer. Etrange paradoxe : c'est comme si Easy Rider venait d'être mis sous les verrous, le symbole de la liberté, de l'Americana, volontairement cloitré dans un espace ridicule, à faire le singe pour des pecnos. Et notre regard de se retrouver, à son tour, emprisonné dans ce plan terriblement libre qui nous présente une première chute. Celle de la liberté.

La chute de Gosling elle, viendra plus tard. Le chambardement effectué par Cianfrance au milieu de son film est fulgurant. Après avoir joué de son attraction, le mec de Drive, le ténébreux, l'acteur nouvellement bankable, il la dépose à la lisière du bois, et commence un autre film. L'attraction est brisée, comme un jouet, et les choses sérieuses commencent alors. Cianfrance nous assène deux coups : la perte de la valeur refuge et l'obligation de devoir continuer sans elle, de devoir affronter le futur sans cette gueule qui commençait tout juste à devenir attachante. Et c'est seulement que Cianfrance ouvre le coeur de l'Amérique...

Chantre de la middle class américaine ?
Déjà dans Blue Valentine, le réalisateur américain dépeignait le quotidien d'un couple tout ce qu'il y a de plus moyen, une sorte de couple témoin, dont la banalité était une violence à elle-seule. Cianfrance reprend cette ambition réaliste avec charge de détails et une recherche éprouvante pour coller au désenchantement d'une certaine classe moyenne, vaste concept mais concept vague, dont il tente une approche quasi historique en étirant son récit en trois temps. 

Son récit séquencé donne à voir l'évolution des WASP du nord-est américain sur presque deux décennies, loin des clichés ultra-xénophobes comme pouvait en véhiculer American History X, mais aussi très loin d'un confortable Wisteria Lane et des tracas presque mondains des Desperate Housewives ou du cynisme de American Beauty. La veine de Cianfrance est beaucoup plus empathique, plus terre à terre, plus brute. Ici le racisme est larvé, insidieux (voir le personnage de Ray Liotta). Ses personnages ne sont pas des paumés, ce sont des gens qui essaient de s'en sortir. Comme si une odeur de crise s'invitait dans chaque burger. Une crise qui dure... sur presque vingt-ans. L'aveu est presque terrifiant. Cette petite caste moyenne et blanche, déboussolée, qui se bagare, n'arrive pas à s'extraire d'où elle vient. Cianfrance raconte l'évolution sociologique de l'Amérique, le métissage et surtout la reproduction sociale sans fin des déclassés. 

C'est là que son découpage prend tout son sens. En étirant son récit sur la génération qui suit, celle des "fils de", le réalisateur achève l'idée d'un possible ascenseur social pour qui veut bien le prendre. Un seul a eu l'occasion de le prendre. C'est le personnage de Cooper, déjà un "fils de", et à quel prix ? Il s'est fourvoyé, il s'est corrompu. Les enfants de Cooper et Gosling repartent dans un affrontement figé, où la drogue et l'oubli sont les seules échappatoires, où l'arrogance du parvenu continue de molester la fragilité de l'orphelin. 

Peintre de l'effondrement des mythes
En réalité, Cianfrance dépouille les mythes fondateurs de l'Amérique. Il les élève puis les filme dans leur effondrement. La figure du père par exemple, cette place impossible à prendre, impossible à trouver, cet amour qu'on ne peut pas donner ni transmettre. Gosling échoue à être un père parce qu'il n'arrive pas à renoncer à l'adrénaline et à l'apparente facilité. Cooper renonce presque à en être un, par dégoût, par traumatisme. 

Plus belle encore est la chute du héros, ce personnage dont les Etats-Unis raffole, symbole du sacrifice patriotique, du devoir accompli, d'un altruisme paradoxal dans une société qui loue l'individualisme plus que tout autre valeur. Le héros vire d'abord au fardeau, par excès de zèle. Puis le flic hardi devient politicien professionnel, aussi corrompu que ceux dont il a provoqué la chute et sur qui il a construit son ascension. De la banalité des paradoxes moraux : la louable action se transforme en calcul intéressé, en marchandage. Le héros n'est plus qu'un commercial comme les autres, un monnayeur de dette. 

C'est tout le fantasme de l'American way of life qui s'écroule devant nous. Après avoir achevé l'amour, Cianfrance achève les rêves et la liberté. Quoi que... Son final ouvre un chemin magnifique, la possibilité d'un nouveau départ, d'une nouvelle voix. Comme si tout n'était pas perdu, finalement, et comme si, par delà les montagnes, de l'autre côté de ces sombres pinèdes, il y avait encore des "mieux" à conquérir et à bâtir. L'Easy Rider est sorti de sa cage et reprend la route, peut-être à nouveau libre...

lundi 15 avril 2013

Warm Bodies de Jonathan Levine

Il y avait dans Warm Bodies, quelque chose de potentiellement culte, quelque chose qui aurait pu transcender à la fois les genres (horreur et comédie) et les âges. Unir pourquoi pas, une génération nourrit aux films de Romero et qui a vu lentement péricliter le zombie de mort vivant révolutionnaire à contaminé réactionnaire, à une autre plus geek, plus inconséquente, qui fanfaronne devant les Paranormal Activity et drague sur Twilight. Bref, un film synchrétique, capable d'initier une voie à Hollywood, une voie comme il n'en existe plus...

En cela, le choix du réalisateur Jonathan Levine est loin d'être une mauvaise idée. Il s'est déjà fait les dents sur le saignant Tous les garçons aiment Mandy Lane et s'est clairement glissé dans la vague Apatow en faisant ronronner Seth Rogen et Joseph Gordon Levitt dans 50/50, buddy movie sympathique mais loin d'être détonnant, autour du cancer. Un réalisateur polyvalent, jeune et pas trop mauvais, bien ancré dans son temps, bercé de culture pop et de références 90's. 

Mais un réalisateur sans surprise. Et pas génial scénariste. Son histoire d'amour entre un zombie et une humaine encore saine s'avère d'une fainéantise à couper le souffle. Warm Bodies s'ouvre pourtant sur quelque chose d'assez convaincant : sans voix dans le monde, nous ne partageons les pensées de R (Nicholas Hoult) qu'à travers sa voix off. L'introduction lui est consacrée, elle dépouille les us et coutumes d'un zombie de l'ère nouvelle, entre cannibalisme intransigeant, grognement au comptoir de l'aéroport et errance diurne. La nuit, notre épouvantail à capuche se réfugie dans son avion et écoute des vinyl... Bah ouais, notre petit zombie est un produit anachronique qui cultive une certaine nostalgie douce et prévisible à souhait. 

Comme tout réalisateur qui souhaite se démarquer des produits culturels low cost à gros budget, Levine cherche des racines, ancre son personnage dans un passé culturel glorieux, un avant qui avait du sens. Ce petit coin de verdure joue incroyablement sur les clichés, les clichés musicaux bien évidemment. R écoute Bob Dylan bien sûr (plus "révolté symbolique" tu meurs), mais aussi Bruce Springsteen, Scorpions ou Guns N' Roses... Rien d'inattendu, rien de miraculeux. Levine subit les lois du marketing, de la mode, et tente des ponts improbables, avec M83 (???) ou encore Bon Iver. Ici, là bas, hier, maintenant, ceci, cela... Peu importe à vrai dire qu'il y ait une quelconque cohérence, une quelconque filiation : il fallait brasser large. Le seul absent de cette BO qu'on pourrait appeler "révoltés d'hier, endormis d'aujourd'hui", c'est David Bowie, tant Levine joue sur une ressemblance physique un peu louche entre Hoult maquillé et Ziggy Stardust...

Brasser large jusque dans l'humour donc, et dans la simplicité du récit, qui multiplie les raccourcis et balaye d'un tour de main les difficultés comme les incohérences. Ainsi, notre petit R se met à parler comme tout le monde au bout de 25min de film, alors que cette incapacité aurait pu regorger de miracles scénaristiques limpides et jubilatoires. Nos deux amoureux font un tour en voiture sur les pistes de l'aéroport... Question : pourquoi n'en profitent-ils pas pour se casser de ce trou de zombies affamés ? 

Warm Bodies échoue à faire le lien, à rénover un genre zombie qui passe pour éculer et une comédie qui cherche trop la facilité, même quand elle veut à tout pris à se démarquer de "la comédie de maman". La séquence clin d'oeil à Pretty Woman, aussi éloquente soit-elle, n'a fait hurler de rire ni ma mère, ni moi d'ailleurs... Le film de Levine manque d'audace à tous les niveaux. Trop pop pour être irrévérencieux, trop fun pour être incorrect, trop chaste pour être piquant. Il est en fait, le produit que l'on pouvait attendre d'un réalisateur de cette nouvelle génération qui déboulent à Hollywood : un mashup inconséquent qui cherche la drôlerie et le clin d'oeil à tout pris, au dépend du symbole, au dépend du contenu. Si vous voulez voir une comédie romantique de zombies un peu plus remuante, chercher Otto de Bruce La Bruce... Ca au moins, ça a du mordant...

TOM TOM CLUB - Downtown Rockers


Pendant que David Byrne s’amusait à aller avant-gardiser sa pop audacieuse en samplant des bandes à tout va avec Eno, la section rythmique de Talking Heads allait également s’engager dans un projet parallèle, qui fera tout autant école que le projet du duo Byrne/Eno. De Mariah Carey à LCD Soundsystem en passant par tous les producteurs de hip-hop ayant samplé la bête, Tom Tom Club a marqué l’histoire de la pop et plus encore. Surtout connu pour leur premier album, articulé autour de deux morceaux clés s’étirant en longueur, Tom Tom Club resta longtemps un projet culte mais discret, Talking Heads représentant une référence bien trop importante pour permettre à ses artisans de s’imposer en dehors de ce projet. Tina Weymouth, bassiste chanteuse et Chris Frantz remettent ça 10 ans après leur dernier enregistrement, et sortent ce disque mi album mi maxi surgonflé, 9 titres composés d’originaux et de remixs. J’avais lu du bien de ce disque, la déception est quand même importante. Malgré les efforts que fait le duo pour imposer une certaine énergie et pour ne pas passer pour des vieux sur le retour, ce Downtown rocker a bon fond, mais n’ira pas beaucoup plus loin. Juste correct, sans marquer, sans vraiment laisser quoi que ce soit en guise de souvenir. Ca aurait pu être bien pire :  le disque entier aurait pu être du même type que le morceau d’ouverture, sorte de pop inodore flirtant avec la variét’ grabataire. Les remixs qui concluent le disque sont dans la même veine, totalement dispensables. On éjecte poliment le disque et on repasse Genius Of Love.

vendredi 5 avril 2013

THE BUG - Hardcore Lover / Goodbye

Et de trois ! Superbe série de 7" qui continue de faire son chemin, un dub hardcore hyper tendu qui va déboucher sur un truc encore plus violent, belliqueux, au vu du double 10" que concocte Martin pour mai. En attendant, on reprend le même principe que sur les deux premiers volumes, soit un morceau décliné en deux versions vocales différentes. Ce troisième chapitre est 100% féminin (vocalement) et voit le grand retour de Warrior Queen dans  le clan KMART, la patronne qui s'époumonait sur Poison Dart il y a déjà 5 ans. Basse synthétique poisseuse arpégée, caisse claire résonnante comme un coup de latte métallique en pleine caboche, hi-hat de 808 hystérique, le dub de The Bug reste ce truc passionnant et vénéneux. De l'autre côté, Miss Red, a visiblement passée le concours d'entrée avec succès puisque la revoilà déjà dans le studio analogiquement chargé du chef. Comme d'habitude, la série est magnifiquement emballé, et c'est Simon Fowler qui se charge de l'artwork, japanisant et délirant, pour ce troisième volume.

http://soundcloud.com/ninja-tune/the-bug-hardcore-lover-feat

jeudi 4 avril 2013

AL CISNEROS - Dismas / Teresa of Avila 7".

Il fallait que ça arrive, même si on avait pas vu le truc se présenter comme ça. Cisneros a franchi le pas et sort (enfin ?) le(s) disque(s) qu'on attendait de lui depuis cet obscur 7" sorti sur Sub Pop d'OM qui donnait le ton quant à ses goûts musicaux. On sait que le type est obsédé par le dub et le reggae, cela avait été confirmé via le cd/Mix que le groupe avait sorti en exclu au Souffle Continu l'an dernier avec son dernier album. Ce qui était moins attendu, c'est que ce soit Cisneros en solo qui se soit chargé de sortir un vrai disque de dub contemporain, qui plus est sur son propre label monté pour l'occasion.

Dismas est le premier disque sorti. Comme le suivant, un morceau décliné en deux versions sensiblement identiques, infimes variations dans les explorations de basses. Dismas est comme une sorte de suite logique à Advaitic Songs : basse ondulante et percussions arabisantes rentrent en transe, lézardés de samples vocaux pour ensuite se faire illuminer le groove par des sons qui rappellent les claviers oscillants et résonnants de Boards Of Canada.
Teresa Of Avila, sorti plus récemment, continu l'exploration, mais le rythme est cette fois-ci assuré par une boucle de batterie ralenti et éloigné. On regrette tout de même que les deux faces B proposent trop peu de changement par rapport à l'originale. Mais surtout, malgré l'enthousiasme qui entourent ces sorties, on songe méchamment à Wordsound. Avec toute la bonne volonté de Cisneros, on ne peut ignorer que cette musique était produite il y a 15 ans à Brooklyn et qu'elle hante depuis bien longtemps les disques de Slotek, Scarab, Laswell, Teledubgnosis et bien d'autres, et qu'elle n'a jamais dépassé le succès d'estime. A méditer (!) avant de passer en caisse.