jeudi 29 mars 2012

BREACH-Godbox

A quelques mois de l'enregistrement de son chef d'oeuvre Kollapse, qui marquera également la fin du groupe, Breach publie Godbox, dernière salve purement sauvage avant la désintégration. Si les disques de Breach semblent tous construire l'édifice de sa légende, Godbox dispose d'un statut particulier, puisqu'il semble aussi être la production qui a permis au groupe d'évacuer ses morceaux belliqueux, peut-être trop breach pour le groupe lui même avant de passer en studio pour son dernier album, le plus ambitieux et remarquable de toute sa (trop courte) carrière. De fait, les deux disques se complètent parfaitement, même si chacun se suffit à lui même. Pour la première fois, Breach semble proposer un disque qui ne fait plus avancer sa mixture, qui regarde dans le rétroviseur avant de donner son ultime coup d'accélérateur.
En effet, Godbox se situe dans la continuité logique de l'etouffant Venom (sauf qu'il ne s'ouvre pas sur un rot mais sur un hurlement lointain), le disque qui a définitivement placé Breach sur la carte des groupes uniques et influents. On nage dans un hardcore dense et lourd, qui montre ses racines noise autant (si ce n'est plus) que metal, tout en imposant clairement une patte que l'on qualifiera bassement de "suédoise", notamment grâce à ce son organique et sa basse riche qui semble apte à tailler le bois. Le point le plus étonnant à l'écoute de ce disque est sa production. Le livret stipule que ces morceaux ont été capturés pendant plusieurs sessions de répétitions. On imagine alors le groupe poser les micros au milieu du local, puis laisser tourner autour de ses morceaux groovy et basiques, aux riffs énormes et à la rythmique quasi obsessionnelle. Le résultat est logique: le son manque de franchise, la batterie sonne complètement éloignée, la voix est sous mixée et presque inaudible. Redécouvrir cet enregistrement à une époque où le moindre petit groupe n'ose plus rien sortir sans avoir le son relapse est une source de joie pour les fanatiques (théorique) du son rugueux. En résulte 5 titres, presque monomaniaques, qui permettront (indirectement ? ) à Kollapse d'aller expérimenter sur d'autres terrains de jeux.
En 2000, c'est le label Chrome Saint Magnus qui se risque à sortir cet étrange disque, petit label allemand tenu par les mecs de Systral et Acme, qui produit d'autres groupes très proches dans l'esprit (Knut, Burst, Cave In...). Breach fait donc une infidélité à Burning Heart, label suédois surtout réputé pour ses signatures punk à roulette au milieu desquels les gars font surtout office de méchants tâcherons un rien psychopathes. L'édition vinyle aujourd'hui pressée par Apocaplexy Rds et Serene Rds permet de rectifier le tir quant à la version originale: le visuel bâclé au photoshop du CD est complètement refait, composé du même visage peint que sur It's Me God (le second LP du groupe), marquant une certaine unité avec le reste de la discographie, et complété par une photo du concert de reformation exceptionnel de 2007. Les notes intérieures précisent à nouveau que l'enregistrement provient de répétitions, mais ne reproduit pas l'étrange petit laïus sur un morceau qui ne figure pourtant pas sur le tracklisting (si quelqu'un a compris quelque chose à ça, d'ailleurs...) et qui est présent sur Venom. En revanche, le remaster ne change absolument pas le son du disque, et hormis le son traditionnellement plus chaud et rond du vinyle, on ne remarque aucun changement dans la production. Ne reste plus qu'à espérer qu'un label prenne le temps de presser une version vinyle digne de ce nom du magnifique Kollapse précédemment mentionné.

mercredi 28 mars 2012

PRIMUS au Zenith, Paris

Rien prévu ce soir, rien du tout qui se prépare et s'envisage. Jusqu'au moment où le téléphone sonne. Ce soir ? Rien. Primus ? J'arrive. N'ayant pas les moyens (ni vraiment l'envie) de mettre la rançon demandée pour voir le groupe, ça m'était sorti de l'esprit. Mais y a des choses qui rendent curieux. Primus en fait partie.
Etonnant une fois sur place de sentir qu'il n'y a pas foule, que les parisiens ne se sont pas déplacés en masse ce soir. L'an dernier, Primus blindait à ras bord la Cigale et affichait sold out bien avant la date, mais visiblement il ne manquait aucun fan sur cette première soirée. Le prix de la place aidant aussi à dissuader les curieux. Et le stand merch à l'avenant: tous les trucs sont horriblement chers ( 55€ le sweat, 10 le set de...stickers ...), et les moins chers ne peuvent être pris seuls, il faut un autre truc (donc plus cher) avec. Je peux ? Oui ? Voleurs !
Par contre, pour les fans, ce soir c'est grand soir, Primus régale son public comme promis: un premier set composé de vieux morceaux, le groupe assurant lui même sa première partie. La suite sera composé du dernier album en intégralité, après une pause.
Première partie donc pour chauffer le public. Déjà on mesure tout de suite le spectacle: la décoration. La scène est devant un écran égant diffusant des vidéos diverses et variées, allant du vieux film de SF à un reportage sur les castors, des effets visuels couplés à des clips du groupes, encore un bout de documentaire avec un écureuil radioactif et des homards prêt à déguster. L'écran est présenté par deux bonshommes géants, en fait deux astronautes en ballons gonflables sur lesquels sont projetés le visage d'un homme au niveau de la visière, qui semble scruter le public, ou veiller à ce que tout se déroule bien.
Devant l'écran Jay Lane, batteur des touts débuts du groupe qui n'a pourtant jamais enregistré la moindre note pour le groupe (jusqu'à l'an dernier) tient les baguettes. Les Claypool n'a pas été avare en compliment à propos de son ex acolyte, avec lequel il semble ravi de repartager la scène. Et c'est surtout son jeu de batterie qui fait l'objet des louanges de Colonel Claypool et de toute évidence, on comprend vite pourquoi. On est assez éloigné du jeu plus metal de Brain et plus aérien que celui de Tim Alexander (je tiens à préciser: tous deux d'excellents batteurs !!) et son jeu est ouvertement inspiré du groove, du funk au hip hop en passant par le reggae. Il valse entre les toms avec une aisance certaine, mais c'est surtout son approche des cymbales et des charleys qui laissent admiratif. Mais c'est aussi rapidement le gros point noir de la performance: obsédé par ses quelques gimmicks obsessionnels au charley, on se lasse assez vite de ses pirouettes, même si le talent demeure impeccable.
Sur la gauche, Larry LaLonde, sans doute le frère de Brice, assure les parties de guitare de Primus qu'il compose depuis 20 ans désormais, alliant lui aussi un mélange de riffs puissants et de passages plus psychédéliques, vaporeux, ou également très rythmique et tout en retenu (ici aussi, on songe parfois à des moments pratiquement reggae). Les Claypool, à droite, est le chef, le meneur et probablement le seul réel décideur de Primus. Mais son autorité trouve aussi toute sa légitimité tant son approche de l'instrument est incroyable. Claypool est probablement un des bassistes rock les plus talentueux, et sa maitrise des 4 (minimum) cordes est un spectacle qui force le respect. Entre nappes lourdes à la contre-basse électrique ou les passages slappés à la rythmique complexe, on s'incline devant l'aisance du monsieur. Pendant une bonne heure, le trio s'amuse donc à revisiter ses fossiles, bien souvent en les renforçant de jams qui tendent à s'éterniser, partant dans le space rock ou le jazz fusion psychédélique. L'impression alors de regarder un groupe qui prend plaisir à s'entendre jouer prend le dessus sur l'impression d'un éventuel spectacle. Quelques longueurs puis s'en vont. 4 épisodes de Popeye diffusés pour faire patienter le public (quelle audace ! ) et revoilà le trio cette fois pour jouer le Greene Naugahyde, dernier enregistrement produit par le groupe, et donc le premier sous cette forme. Lane est cette fois sur son propre répertoire et peut donc pleinement user jusqu'à l'excès de ces gimmicks. Claypool le confirme jusqu'au dernier morceau du rappel: de son côté, en plus d'être un technicien hors pairs, il est aussi un artiste appliqué. Si il aime étendre ses morceaux une fois sur scène, il sait aussi reproduire à l'identique ses enregistrements. Et si un morceau propose un certain son, sur scène, il en sera de même. On retrouve donc les mêmes variations sonores de la basse, bien souvent avec cette sensation étrange de notes liquide, renforcée bien sur par la fluidité du jeu. On reste tout de même circonspect face au son que produit le zénith ce soir. On l'a déjà dit, la salle est capable de rendre de très belles choses. Mais le son est étrange ici. La batterie manque parfois de dynamique, d'impact. Il manque souvent le petit truc d'énergie qui ferait la différence. La caisse claire, par exemple, semble parfois largement sous-mixée (alors que le kick est imposant à excès). La guitare de LaLonde semble elle aussi parfois nager dans les basses, et le tout prend alors un aspect un peu boueux et imprécis dans le rendu.
Mais arrivé au bout du set, les codes Primus déroulées sans honte pendant presque 2 heures 30, l'impression d'écouter un seul et même long morceau commence sévèrement à se faire sentir. On ne peut que rester admiratif devant la performance, intense, sans fautes, mais on se fatigue de ces tricotage de charleston et de ces slaps incessants. Reste alors le rappel, expédié en quelques minutes: My Name is Mud où la basse de Claypool sonne comme un m16 en action, et Jerry was a race car driver, qui se conclue sur son simili refrain quasi hardcore avec les guitares de LaLonde (enfin) blindées de distortions. Un trip SF psyché baroque proposé par une bande d'escrocs un peu long mais respectable, qui se finit dans la joie d'une déflagration rock sauvage.

lundi 26 mars 2012

BURIAL-Kindred

Burial a atteint un statut particulier au sein de la caste des créateurs cachés derrière un laptop: celle des grands. A vrai dire, le garçon pourrait produire n'importe quoi aujourd'hui qu'il passerait à travers les mailles du filet de la critique. Qui viendrait aujourd'hui lui reprocher de ne plus avancer ? Personne, car on cherche chez Burial ce qu'il a déjà fait, mais en neuf. Stagnation. Juste, du neuf. Les idées, on verra. Preuve de l'adoubement suprême ? Le prix de son EP avec Massive Attack, sold out en moins de 24 heures, et qui se revend actuellement jusqu' à 500€ sur le net. Folie pure. Bref, tout ce qu'il touche vaut de l'or, aussi bien d'un point de vue financier que "moral", dirons nous. "Kindred" est donc le énième EP qui fera attendre le troisième album, celui qui permettra de crier au génie ou à l'imposture. Pourtant, sur ce disque raz la gueule (3 morceaux dont 2 dépassant les 11 minutes), on sent que l'anglais après avoir joué avec les limites du mauvais goût via les usages de samples vocaux répétés à outrance se tourne de plus en plus dans les soirées du sud de Londres et semble définitivement vouloir passer en club. On dirait que c'est fait pour danser, et c'est toujours aussi moite. Et si il n'y avait pas ses craquements et ses brûlures sonores, ses sons poussiéreux, on penserait presque avec ces claviers lumineux (rappelle toi The Orb) et ses beats 4/4 que c'est uniquement fait pour cartonner en soirée.

mercredi 21 mars 2012

UNSANE- Wreck

20 piges qu' Unsane envoi la purée en gros maintenant dans les oreilles d'assemblées que l'on saluera autant pour leur endurance auditive que pour leur résistance aux douches buccales assurées par Mr Spencer en live, le non-chef glaviotant du trio mythique de New York. Non-chef car la force du groupe depuis la moitié des années 90, c'est de s'être imposé comme un trio, où chaque membre est aussi important qu'un autre. Les absences des uns et des autres l'ont démontré à plusieurs reprises: Unsane sans Curran, c'est pas Unsane, et Unsane sans Signorelli, c'est encore moins Unsane. Pourtant, Unsane, c'est Unsane depuis "Unsane", le premier LP d'Unsane en 91-duquel groupe il ne reste que Spencer.
On s'étonne tout de même que le trou d'activité du groupe soit aussi important: 5 ans depuis le dernier album en date, le magnifique Visqueen. C'est à dire que même quand le groupe s'est séparé en 2000, il a été silencieux moins longtemps (même si de fait, il y a 7 ans qui sépare le dernier LP d'alors avec l'album du grand retour). A vrai dire la pérennité du groupe a même été sévèrement remise en question quand Spencer s'installa en Allemagne et se pointa avec Celan, en assurant qu'il n'y avait absolument aucun plan avec le trio. Un EP digital et une série de concerts l'été dernier nous permettaient tout de même d'y croire à nouveau.
C'est Alternative Tentacle qui se charge de publier ce nouvel enregistrement, et on ne peut que féliciter le groupe de n'afficher que les plus prestigieux labels rock à son actif: Amphetamine Reptile, Man's Ruin, City Slang, Matador, Relapse, Ipecac, Sub Pop... Carte de visite impeccable. Jello signe donc les patrons du noise rock made in NYC pour un album impeccable. Impeccable car on retrouve Unsane comme on les a quitté. Et à vrai dire, ce q'on finirait presque par redouter chez Unsane, c'est un changement brut... encore que. Parce que nouveauté, Unsane s'est ouvert (plus que la main) pour ce nouvel album. Un morceau à la construction presque retenu, que certains désignent déjà comme un héritage de Celan se place directement en seconde position. Choc. Le monde change. Mais c'est presque un épopée mélodique, progressive qui s'offre à nous. Devant le talent, on s'incline, tout simplement. Sur l'autre face, deux autres surprises. La première est une reprise de Flipper qui conclue l'album. Si le groupe a toujours clamé son admiration pour le hardcore, le morceau, ne faisant pas tache, marque une réelle rupture dans le déroulement de l'album. On sent que ça ne riff pas comme d'habitude chez Spencer, tout comme on sent Signorelli se laisser aller à plus d'évidence. La véritable surprise de l'album s'appelle Stuck. Pour la première fois de son histoire sur album, si ce n'est l'introduction d'Alleged il y a 17 ans, Unsane se... calme. Spencer chante, et la guitare se fait tout en slide. Un blues grave et impérial. On s'incline, encore, devant la densité, tandis que Curran conduit de sa grosse basse cet improbable morceau, même quand la voix de Spencer semble se barrer. Pas d'autotune. Mais croire qu'Unsane n'enclenchera pas sa pédale RAT est une erreur et le morceau se termine comme un (grand) classique du groupe. Rat, d'ailleurs, c'est le morceau d'ouverture. Parce qu'il faut parler des autres morceaux, ceux qui ne sont pas hors norme. Et si on mentionnait le premier LP du groupe plus haut, c'est aussi à lui qu'on viendra se référer pour saisir une partie des morceaux Unsane pur jus de ce nouvel album. Rat semble une version moderne des premiers enregitrements: on sait que Signorelli est un patron de la rythmique aux toms, et des percussions tribales- d'ailleurs, sa participation aux Swans est créditée ainsi, il n'a jamais été mentionné en tant que batteur. Les trois semblent s'éloigner d'une formule plus traditionnelle de leur musique, moins 4/4 qui s'était vigoureusement imposée depuis Scattered, Smothered & Covered. La logique est maintenue sur Roach, ou sur Metropolis. De l'autre coté, on conserve le Unsane direct, qui tâche salement avec Curran qui tronçonne de la buche comme un goret à coups de 4 cordes malsaines (goret qu'il s'avère aussi incarner à la perfection quand il prend le micro), Signorelli qui frappe avec grâce et lourdeur en même temps (l'animal !!) le tout taillé dans les riffs les plus remarquables, les arpèges épiques (Pigeon) ou l'harmonica dégueulasse. 10 titres pour un album ramassé, mais sans fautes, qui présente encore Unsane comme les glorieux empereurs du rock sale, étouffant et qui fait toujours la différence à l'arrivée grâce à une alchimie des trois, un savoir faire et une intensité magistrale, au milieu d'une production qui peine à aligner des sorties convenables. Un très grand Unsane.

VLADISLAV DELAY- Vantaa

Comme un songe prolongée au coeur d'une longue nuit hivernale. Vladislav Delay, élève appliqué de l'école Basic Channel, auprès de laquelle il se produit d'ailleurs en intermittent sur scène, sort un album ovni chez Raster Noton. Si le label a l'habitude de produire des albums froids et cliniques, Delay propose un son plus humain, presque chaud (si on compare aux errements et cliquetis digitaux qui règnent en maitre chez Alva Noto, Pixel ou SND). Et le label a d'ailleurs marqué le coup en cassant sa palette graphique: ici pas de blanc éclatant, mais un beige recyclé. Un album terreux, orné d'une sorte de blason cuivré. La musique suit exactement la logique du détachement visuel, donc. Vladislav Delay chauffe les habitudes du label. Basses profondes, on est directement dans la lignée de Maurizio ou de Porter Ricks, entre nappes épaisses et échos spatiaux ramenés sur terre. Un trip lointain trainé dans la boue techno dub et roulé dans les graviers de l'electronica propre. Froide, la musique l'est tout de même, lézardée de nappes lointaines et de rythmiques dont on ne distingue plus que les résonances, mené par ses beats sans évidences, ses synthés granuleux et parfois étouffant. Le voyage conduit sur un morceau étonnament brut, "Lauma", à la tension inattendue se dématérialisant dans un bain d'échos, pour déboucher sur une plage dub ambient lumineuse, vive. Une sorte d'écart pour Raster Noton, et une production solide d'un genre riche en réussite ces derniers temps.

vendredi 16 mars 2012

TRENT REZNOR & ATTICUS ROSS-The Girl With The Dragon Tattoo

En attendant de remettre sur pied NIN (on l'avait dit, et visiblement ça se confirme: le groupe ne restera pas mort bien longtemps), Reznor et son fidèle acolyte Ross re-signent pour Fincher une BO. De mémoire, c'est la première fois que Fincher reconduit une équipe pour signer deux fois de suite la musique de ses métrages- et peut-être d'avantage si la trilogie se réalise. Et il paraît difficile de l'accuser de se planter, puisque les disques enregistrés sont bons.
Le duo a été particulièrement ambitieux (ou alors totalement laxiste en prévision, justement, des 2 suites probables) sur ce projet puisqu'ils ont enregistré une somme considérable de morceaux, s'étalant sur un triple album. L'objet s'ouvre et se ferme sur deux reprises: la première est une version d' Immigrant Song (Led Zeppelin) chantée par l'efficace Karen O (Yeah yeah Yeah), qui illustre l'hallucinante et très visuelle séquence d'ouverture comme l'a souligné Mr Cinéma, alors que la conclusion est une reprise de Bryan Ferry, interprétée officiellement par How To Destroy Angels, c'est à dire miaulée et maniérée par Mme Reznor. On passera rapidement sur ces deux morceaux insignifiants, pour se concentrer donc sur ce qui se trouve au milieu de ses deux extrémités -vite oubliées- et faisant, heureusement, le gros de l'oeuvre.
On sait que Reznor est un homme qui s'applique, qui s'est construit un studio solide, rempli de machines incroyables, et qui s'avère même être un homme de goût lorsqu'il sait s'écarter de son rock pour stade millimétré. On songe forcément à sa proximité avec Coil lorsque son association avec le producteur Ross (qui avait notamment travaillé avec Bomb the Bass dans les années 90 en signant une partie des beats de l'album Clear) donne des résultats comme Perihelion- pour n'en citer qu'un. Fond synthétique dense alors que des souvenirs de notes semblent s'effondrer aléatoirement autour. L'association des deux s'inscrit dans la continuité parfaite du travail précédemment fourni, Social Network. La partition remplit le cahier des charges. L'audience est mené dans un tunnel de morceaux, de petites représentations sonores basées sur le climat, l'ambiance. Et Fincher a été formel puisqu'ayant proposé au duo d'être juste "froid". L'exercice de style plait au duo. Les obsessions au piano de Reznor se repercutent dans sa quête du son synthétique. Ils y mèlent ainsi une trame électronique franche et parfois discrète à un ensemble plus organique, traditionnel. De fait, les codes de la bande originale moderne sont scrupuleusement respectés. Mais les deux savent cependant être pertinent tout en restant dans le cadre- si on excepte la longueur du disque, finalement.
Ross et Reznor ont articulé leur partition sur le mariage des pianos, des sonorités métalliques, des cordes et autres sonorités acoustiques avec l'armada de synthétiseur et d'effets en tout genre. Le Swarmatron, synthé à ruban qui a largement été utilisé sur Social Network mène encore la danse sur quelques titres. L'impression de chute, d'instabilité mais aussi d'un bourdonnement effrayant se distingue à plusieurs reprises. Les nappes de claviers, d'une épaisseur et d'une propreté remarquables accompagnent les sons cristallins et les cordes légèrement pincées. L'illustration sonore du film est impeccable: entre la tradition de l'exercice, et l'opression climatique conduite par les machines. Et là où l'album s'avère réussie, c'est que si en accompagnement du film il est à sa place, il ne manque pas d'intérêt sans son support d'origine. Même sa longueur excessive n'est pas un point négatif. Reznor y développe thèmes et motifs progressivement, pour parfois déboucher sur des morceaux au rythme tribal et aux guitares saturés bienvenus (A thousand details, Oraculum et ses claquements secs...). Le Reznor de studio, méticuleux , et bien accompagné par Ross signe une réussite, publiée sur le cultissime label Mute, comme une sorte de refuge légitime pour le leader de feu (plus pour longtemps) NIN.

jeudi 15 mars 2012

PORTER RICKS- Biokinetics

Mission de sauvetage nécessaire réussie pour Type, qui se colle à la réédition du mythique premier "album" de Porter Ricks, disparu des bacs à disque et renégocier à prix d'or sur le net depuis fort longtemps. "Album" en terme discutable car les morceaux présentés sur ce double LP sont plus la somme du travail du duo qu'un projet composé en tant que tel. Porter Ricks est un projet mythique de dub techno pensé et mené par Andy Mellwig (également occupé au sein d' EAR ou avec un membre de Monolake, également fondateur d' Ableton) et Tomas Köner, ayant ainsi fait avec cet enregistrement les belles heures de Chain Reaction (sous label de Basic Chanel). Si la première édition dudit objet était dans un classieux boitier métallique semblant rescapé d'un vieux film de SF, Type accorde cette sortie à son catalogue et ré-encartonne le tout en posant en couverture un paysage lointain et incertain. Deux albums et une collaboration avec Techno Animal et ce fut plié: Porter Ricks jeta assez rapidement l'éponge après avoir enregistré parmi les albums les plus influents et importants de leur époque.
Chez eux, une obsession devient assez vite évidente: l'eau. Est-ce d'ailleurs pour ça que Porter Ricks tient son nom d'un personnage de la série TV Flipper ? Probable. Outre les titres (nautical dub...), c'est l'impression d'immersion aquatique qui prédomine la musique produite par la paire et le traitement des échos et résonances. Lointaines, dégardées, mais lumineuses et confortables. Porter Ricks joue avec les impressions auditives, les va-et-vients de vagues synthétiques, les oscillations du son et les passages de rythme. Sur le premier mouvement "Biokinetics 1", le son s'apparente à un épais sable entourant la tête de l'auditeur, s'imposant avec force au milieu du sound design soigné. Sa suite est composé d'un beat à la profondeur troublante et assailli par des battements éloignés rempli d'un écho pesant. Ce second mouvement rappel légèrement l'exercice de style que constitua Salt Marie Celeste, sorte de cauchemar ambient naval produit par Nurse With Wound. L'effet d'omniprésence de l'élément aquatique est également renforcé par les magnifiques nappes qui habillent les différents morceaux. Epaisses et lourdes, elles dessinent au sein des non mélodies des éclairs d'une grande beauté. Les claviers y paraissent alors analogiques et instables. Leur traitement fait songer aux impressions soniques conceptualisées par Boards Of Canada pour illustrer leur couleurs et photos vintages. Les basses, infras, sourdes et lourdes sont les reines de l'album, même si elles sont parfois muettes. Elles se font élastiques et obsédantes pour la cloture de l'album sur Nautical Zone, conduit par des sonorités de bulles digitales et un début de mélodie aux claviers dubs lointains. Un morceau de conclusion qui, de manière surprenante, semble résumé l'ensemble des thèmes et évocations sonores mises en avant jusque là. Une nouvelle édition donc bienvenu d'un classique inépuisable.

lundi 5 mars 2012

SHIT & SHINE- Le Grand Larance Prix

On a déjà largement parlé de $&$ sur ces pages, à plusieurs reprises depuis l'ouverture de BTN. Projet mystérieux de Clouse (Todd), l'entité s'est distingué par ses enregistrements farfelus s'organisant autour de la répétitions de motifs en tout genre, tout en créant un alter égo live maintenant le cap d'un rock noise et abrasif n'offrant jamais la moindre prestation sans au moins une paire de batteurs. Si Todd semble désormais de l'histoire ancienne- Clouse est visiblement retourné aux USA, formant un énième groupe avec le batteur des Butthole Surfers- Shit & Shine donne un signe de vie dans un élan d'une grande discrétion. "Le Grand Larance Prix", c'est son titre, est un album qui n'a bénéficié que d'un minimum de promotion, assuré par le label et non par le groupe (?) lui même puisque totalement muet. 180 copies du disque, distribué à quelques magasins de confiance aux yeux de Clouse, le tout composé d'un triple vinyle blanc uniquement (en attendant un second pressage pour les retardataires, rouge, celui ci). Aucun nom d'album, aucun crédit, juste le nom du label et le nom des morceaux tamponnés sur le rond centrale de chaque face.
Plus de deux ans après le dernier album de Clouse, que s'est-il passé dans le cerveau déjà bien abîmé du guitariste ? On savait depuis Cherry que $&$ s'éloignait sur ses enregistrements du rock au sens traditionnel pour s'orienter de plus en plus vers la musique électronique. Mais l'homme n'a pas pour autant été dans la simplicité et n'a pas créer une entité électronique moderne ou orientée dancefloor, mais s'est répandu dans la fange de la distortion, de la répétitivité également tout en améliorant son groove. Si le dernier LP avait été un album décisif dans l'exploration de la saturation, Le Grand Larance Prix est l'exact réponse inattendu de Clouse, et pourtant la cohérence du projet reste intact. En un sens, Shit & Shine signe son album le plus calme, et peut-être même son album le plus accessible. Mais cette facilité n'est recevable que hors contexte, car la musique de Shit & Shine reste singulièrement conçu, et donc profondément étrange et repoussante. A l'excès de distortion, Clouse a préféré l'exploration de la répétition inlassable via des outils nettement moins belliqueux. Synthés, samples, boites à rythmes et guitare ondulent dans une transe psychédélique déroutante. Les titres se passent la balle dans un élan malade, entre délire auditifs incertains et occurrences rythmiques obsessionnelles. Abstrait, le disque l'est. On pense parfois aux globes occulaires de San Francisco, on songe parfois à Lynch, et on se rappelle forcément des Butthole et des Boredoms. Sauf qu'on est dans une agression passive et non frontale, mais nous ne sommes pas non plus dans les nappes éthérées et les carillons japonais. On vire même parfois du coté d'une musique franchement plus europénne, quand Shit & Shine s'obstine: Faust ou Kraftwerk paraissent ici donner des idées à Clouse, obsessions mécaniques et synthés en roue en libre en guise de témoins. Le deuxième disque comprend notamment les faces les plus surprenantes de ce nouvel album. "Switchin 2 nite mode" développe comme un générique télé délabré, dont le retour maladif devient pesant et malsain. Par dessus, des voix samplées et parlées tentent de raconter quelque chose, d'incompréhensible, avant de virer vers une longue marche glorieuse mais exténuée. Malaise. L'autre face est dédié au long "French Automotive", morceau totalement improbable. Autour de quelques notes stellaires de synthétiseurs une nappe oscillante apparait timidement avant de s'éteindre. L'intention est étrange, le résultat rappelle immédiatement les anciennes gloires de la techno européenne: Comme une collision entre la manière d'un Tricky à ses débuts (Maxinquaye/Nearly god), expérimentale et à l'instabilité recherchée, et un Future Sound Of London, avec ses claviers vaporeux et enivrants, ou l'école Chain Reaction grâce à ses résonances électroniques.
Les différents projets de Clouse semblent aujourd'hui n'avoir aucun avenir certain (qui de Todd, vraiment, et qu'en est-il concrètement de $hit & $hine qui propose cet album de manière quasi officieuse ?!?), mais si nous avions déjà largement défendu ces entités, ce rare triple album ne se présentera pas ici comme le premier (et dernier ?) faux pas. Recommandé !