mardi 19 avril 2011

Tomboy de Céline Sciamma

C'est la réalisatrice à suivre. Et on espère déjà, alors que ce n'est que son deuxième film, que les chemins sur lesquels elle nous mènera seront toujours aussi lumineux et touchants. Céline Sciamma est sortie de la section scénario de la Femis avec le scripte de Naissance des pieuvres sous le bras. Ce premier essai dans le terrain miné de l'adolescence et de la sexualité naissante fut un brillant succès, notamment pas son écriture toute en nuance et par le talent de ses jeunes actrices et acteurs.

Tomboy nourrissait donc de grosses attentes. Il suffisait de voir l'émulsion dans la salle de projection avant que les lumières ne s'éteignent. Tout le monde trépignait, parents et enfants... Car oui, malgré son sujet à fleur de peau, le film a su convaincre des parents qui auraient pu se laisser dérouter par la troublante ambiguïté qui l'anime.

Laure, des yeux de rêves et la tignasse taillée court, vient d'emménager dans une nouvelle ville avec ses parents. Lorsqu'elle sort pour la première fois de son appartement pour aller jouer avec les enfants du quartier, Laure se fait passer pour un garçon. Elle se fait dès lors appeler Mickaël, ce qui ne va pas sans troubler Lisa, une jeune fille qui tombe amoureuse de ce gamin un peu différent.

Céline Sciamma continue son exploration des genres, quittant l'adolescence et ses turpitudes pour un âge encore plus obscur, où notre corps n'est pas encore dans le mouvement immuable du temps, où l'on s'imagine peut être qu'il évoluera aux grès de nos envies, de nos désirs. Ici le désir d'une jeune fille de s'habiller, de jouer au foot, de cracher, de se battre et de s'amouracher comme un garçon, dans l'illusion qu'il n'y aura pas la moindre conséquence au mensonge. Seulement le corps est là et on ne peut le braver indéfiniment. Laure aura beau y rajouter un penis de patte à modeler, l'altérité, la norme, le genre, seront toujours là pour rattraper cette bravade et pour lui rappeler les limites que son corps lui inflige.

Une scène magnifique illustre tout ce trouble. Lisa décide de maquiller Mickaël/Laure en fille. Jeu d'enfant. Celui-ci se laisse faire et Lisa de lui dire: "Tu es beau en fille. Ca te va bien". Et voilà qu'alors que Laure semble s'épanouir dans ses nouveaux attributs, le miroir (Lisa, une autre fille) la renvoie à la dure réalité biologique.

Tout en douceur, tout en subtilité, le film de Sciamma distille une énergie enfantine électrisante. Trouvant des profondeurs de champs incroyables, des lumières fabuleuses, composant des plans d'une infinie beauté, la réalisatrice étreint son sujet et ses acteurs dans un écrin bourgeonnant et feutré comme rarement on a pu le voir. Cette rayonnante exploration doit beaucoup à la fraîcheur folle de tous ces jeunes interprètes. Les jeunes Zoé Heran et Malonn Lévana sont deux des plus beaux brins de soleil dans ce printemps qui semble pourtant s'être déjà mué en été.

Tomboy confirme le talent de sa réalisatrice qui n'a rien perdu de sa fine écriture. On est à la fois rassuré et subjugué. On est surtout ému par la grandeur et du questionnement et du traitement, qui abouti sans violence mais avec la plus grande délicatesse, à ce que chacun puisse s'interroger sur le carcan du genre. Un délice loin de toute gravité et de toute morosité, drôle et splendidement filmé.

lundi 18 avril 2011

BLUT AUS NORD- 777 Sect(s)

Il m'a fallu un temps considérable pour apprécier et me familiariser avec MORT, album déroutant et complexe. Pourtant, ce n'est pas la laideur intrinsèque de la musique qui me repoussa, mais bien son acharnement à devenir anti mélodieux, et le son usant de ces boites à rythmes. Pourtant MORT représente la quintessence de ce qui me séduit chez BAN, à savoir son éloignement de territoires trop balisés, trop "BM", son regard continu vers d'autres formes de musique tout en développant son propre langage. Les lecteurs à bonne mémoire se rappelleront sans difficulté la chronique expéditive écrite dans un premier temps ici même. Pourtant, après quelques années, cet opaque disque ne m'apparaît plus comme une suite de sons ridicules (quoique) débouchant sur un résultat profondément amusant, mais une tentative musicale de changer sa grammaire. Ni plus, ni moins. Je ne crois pas d'ailleurs que la moindre ligne concernant Odinist ait été écrite ici, et je suis même certain que "Memoria II" n'est jamais arrivé jusqu'à mes oreilles.
777 est donc le nom d'une trilogie de disques (entre avril et novembre 2011) proposant un déploiement sonore dans la lignée de l'EP qui précéda MORT, pour probablement déboucher sur un projet à part entière (777 donc) qui sera porter sur l'abstract hip hop, le dubstep etc... Pourtant, ce premier volet n'est en aucun cas proche d'une telle démarche, ou en reste encore bien éloigné. Découpé en épitomes, l'ouverture sonne comme un morceau typique de Blut Aus Nord, soit une musique aux guitares sales et dégoulinantes, s'abattant sur la boite à rythme, toujours incarnée par ces sons un peu cheaps et ridiculement rapides. Ce premier épitome se mue progressivement en une sorte de dub électronique prenant et glacial. Le son est dès lors proche du Scorn era Gyral ou Zander, c'est à dire exactement comme sur "thematic emanation...". Malgré le travail remarquablement sérieux que BAN met dans sa musique à développer des climats incroyablement sombres, la formation n'arrive cependant pas encore à maitriser son vocable électronique à la perfection et l'oppression de sa musique n'est pas aussi importante lorsqu'elle est synthétique que lorsqu'elle demeure menée par une guitare. Si le groupe est désormais fait d'excellents techniciens et chercheurs sonores à la 6 cordes, ils restent encore timide derrière les machines. Leur recherche de nouveau sons, d'accordage à la guitare n'as pas encore su atteindre cette finesse aux claviers. Cela se mesure donc sur la production parfois un peu légère sur des passages se voulant probablement plus lourds, et sur la relative "gentillesse" des climats électroniques. On est loin de la terreur quasi palpable que Scorn, justement, atteint depuis quelques années (cf. Refuse, start fires). Pour autant, le travail sur la guitare reste aujourd'hui la principale force du groupe. Le deuxième épitome est une sombre mais lumineuse progression lente et lourde, où le groupe ne cache plus l'influence d'une scène industrielle sur sa propre musique, comme sur l'avant dernier morceau, où les guitares crissent non pas sans évoquer Birmingham. Cependant, n'oublions pas que BAN n'est pas une éponge ayant seulement récupérée des influences éparses. Ils sont une influence majeure pour bien des formations aujourd'hui, et l'entité Blut Aus Nord propose ici toute l'étendue de sa rayonnante personnalité. Sur les épitomes 3 et 4, le groupe fait progresser constamment sa musique, lui donnant une complexité de construction quasi Crimson-ienne, embrassant encore et toujours de nouvelle voix. Fouinant sur des rythmes instables, l'épitome 4 vient progressivement faire mourir son motif sur une longue agonie porter par une voix claire et lointaine, plaintive. Le groupe progresse, avance, creuse et demeure une incroyable aventure sonore se réinventant à chaque enregistrement. Si on ne peut pas tout apprécier ( certains choix de production, la voix...) BAN reste une formation passionnante ouvrant ici encore un chapitre vers une mutation probablement essentielle.

dimanche 17 avril 2011

Scream 4 de Wes Craven

Faut-il y voir un signe? En ce dimanche après-midi, dans un cinéma d'une ville moyenne de la grande couronne parisienne, il n'y avait que 8 personnes pour assister à la projection de la deuxième plus grosse sortie de la semaine (en nombre d'écrans): deux couples de quinquagénaires (au moins), un couple de trentenaires, deux ados, moi et ma soeur... Qu'apprendre de cette population pour le moins hétéroclite, vu le film et son genre? D'une qu'il ne déplace pas vraiment les foules... Ce que contredit relativement son box-office national. Secondement, que Scream ne fait plus peur à personne; ni aux gamins qui se gaussent devant tant d'hémoglobine inutilement déversée, ni les mamies qui viennent tester la viabilité de leur pacemaker et sortent en rigolant, elles aussi...

Tout avait pourtant bien commencé. Kevin Williamson, scénariste de la trilogie précédente, nous donnait un avant goût intrigant d'un des sujets du film à savoir le renouvellement dans la continuité ou comment bouleverser les règles d'un jeu auquel on a trop joué. Passionnant sur le papier, plutôt bien vu tant les 10 premières minutes du film sont déroutantes. On y tacle savamment l'idée même de saga, on tranche dans le trash-porn façon Saw, reprochant à cette nouvelle façon de voir l'horreur de ne pas suffisamment donner chaire à ses personnages et de ne pas prendre au sérieux son intrigue. Tout cela doublé d'une dose d'humour, le scénariste insérant cette réflexion dans une mise en abime que Scream 3 avait déjà ouverte (l'intrigue se déroulait sur le tournage de Stab, l'adaptation des meurtres de Woodsboro au cinéma). Bien vu, Monsieur Williamson.

L'interrogation est pertinente et feint à merveille l'humilité: comment dépasser les codes, transcender un genre éculé, surprendre le spectateur en l'attaquant là où il ne s'y attend pas. Craven et Williamson mettent en avant ce qui semble être la principale innovation de la décennie 2000: l'internet et le 2.0. Cela change le but du (des) tueur(s). Ca ne change presque en rien ses pratiques. Le tueur cherche désormais la gloire et il sait que c'est par le net que cela s'obtient.

Deuxième thème génial : la célébrité, son obtention. Les deux hommes semblent lucides là dessus. Le web permet à quiconque de devenir quelqu'un, non pas parce qu'il est doué mais parce qu'il lui est arrivé quelque chose. Merveilleuse idée bien sûr de faire porter cela à la disparue Neve Campbell qui ne tourne plus nulle part et qui pourtant, le mériterait presque tant elle n'a rien perdu ici.

Ce n'est pas le cas de David Arquette, plus mauvais et hideux que jamais. Aucune de ses expressions faciales n'est interprétable de façon univoque. On ne comprend rien aux sentiments qu'il ressent... Et son personnage est grotesque. Et c'est bien là que le bas blesse. Ils ont beau se moquer du Saw de James Wan et de ses séquelles parce qu'ils sont putrides et que leurs personnages sont creux, mais que dire de ceux développer dans Scream?

Que dire aussi de ce traitement parodique qui écrase toute possibilité d'effroi? Pas l'ombre d'un frisson, pas l'aune d'un tremblement... Rien. Scream, s'il a voulu surprendre, à choisi de le faire en se rapprochant non pas des slashers ou des rap and revenge modernes qui tendent vers plus de réalisme (comme l'excellent The Horseman, vu samedi soir à l'ex-Absurde Séance rebaptisée Panic!Cinéma) mais de ses parodies. On a donc le sentiment d'être plus souvent dans Scary Movie qu'ailleurs, les vannes foireuses ponctuant des moments de tension délicats. Et en choisissant l'auto-parodie, le clin d'oeil forcé à sa propre "légende", ce Scream 4 perd pied complètement et rate complètement son créneau : l'effroi.

"New decade. New rules" titre pompeusement l'affiche US. Et bien non, les règles n'ont pas changé. Et pour preuve, je vais spoiler. Ceux qui ne veulent pas la suite sont priés de partir ou d'aller au dernier paragraphe. Craven et Williamson, s'ils avaient vraiment voulu surprendre et innover auraient mis un terme à une partie de l'histoire, auraient pris le risque de faire crever un des trois personnages historiques de la saga, voire les trois. Il n'en est rien. Ils nous le font miroiter à chaque fois mais n'ont pas les couilles de le faire. Du coup, ce sont tous les gamins qui en prennent plein la gueule, et cela nous ennuie.

Non, rien n'a changé. Si ce n'est qu'à trop se reluquer le nombril, Scream 4 en a perdu le sens de l'épouvante et qu'à trop vouloir simuler l'introspection volontariste qui mènerait au changement, il se vautre dans une pâle caricature. Dans le fond, la population de la salle reflétait bien ce qu'il y avait à voir. Les jeunes comme les vieux venaient voir comment on frissonnait dans les 90's et tous en sont sortis en riant. Bel enterrement.

vendredi 8 avril 2011

MEAT BEAT MANIFESTO, Divan du monde

Meat Beat Manifesto, et plus particulièrement son chef, Jack Dangers, seul maître à bord depuis le début possède un CV des plus hallucinants: influence revendiqué de Prodigy, des Chemical Brothers, d'Autechre, de Scorn, de Nine Inch Nails, plus récemment de Hercules & love affair; collaborateur de Public Enemy, de Disposable Heroes of Hiphoprisy, de Consolidated, de The Orb, de DJ Spooky & Dave Lombardo (Slayer),remixeur d'Orbital, de Reznor, de Bowie, de David Byrne (Talking Heads), de Coil, de Depeche Mode, de Merzbow; il est aussi vu comme une influence majeure derrière la drum'n'bass et le big beat des années 90, désormais un père du dubstep (tu le sais lecteur, nous en parlons régulièrement). Sur scène, il est accompagné désormais uniquement par Ben Stokes, génie du VJaying (comme un DJ mais avec des visuels) qui a travaillé aussi bien pour la tournée de DJ Shadow avec Cut Chemist que pour Levi's. Et pourtant, MBM est loin, très loin de remplir une salle d'une taille ridicule comme le divan du monde. Heureusement, le concert sera sold out le lendemain à Londres. Ambiance de mort donc avec Norscq qui ouvre (en fait, et à la précision de ce dernier, Super Stoned, composé de Black Sifichi, Norscq et Sayoko Papillon sur un morceau), sympa et vaguement subversif, politisé comme une dissert de terminal L, un concert horrible pour les yeux, agréable pour les oreilles. En tout cas, c'est l'occasion de vérifier que depuis mon précédent (et jusqu'ici unique) passage pour la soirée Wordsound, la sono est dorénavant honorable. Accident pour le coup d'avant ?
Ca fait un peu plus de 10 ans que je connais MBM, et ça fait depuis aussi longtemps que je me dis qu'il faut que je vois le groupe sur scène. Le DVD de la tournée 2005 ayant longuement tourné chez moi, autant que les innombrables disques du groupe, je n'hésitai pas longtemps avant de prendre mes billets pour aller enfin découvrir ça sur scène. A la fin de la première mesure le constat est plié: si vous ne devez faire qu'un seul concert cette année, ruez vous sur MBM. Tarte phénoménale, Dangers et Stokes froissent méchamment les gencives avec leurs beats à la lourdeur dangereuse et leurs basses de truand. Entre les visites dans le passé ( Helter Skelter, Radio Babylon...) et le présent (Let me set, Spining around) MBM alterne rythmiques sèches, austères et breakbeats carnassiers faisant onduler samples vidéos des plus divers (Eric B & Rakim, Scanner, Lee Perry, films institutionnels, Série Z, Muppet Show, KRS One, Lynn Farmer -leur ancien batteur, Kubrick etc...) en créant la collision du bruit blanc et des synthés stellaires. Puissance et intelligence, de l'image et du son, peut-être un des très rares groupes à savoir utiliser correctement les éléments visuels. La beauté, une leçon à tous les niveaux.

PS: Merci à C. Caballaro pour la photo.
PS2: Visiblement, 4 morceaux étaient des inédits (Bass test, Acid test, Mic test et Drum Test, et donc pas de Hellfire comme il a été dit sur internet) qui figureront sur un prochain EP-Merci Mr Lelo J. Batista pour cette précision.

lundi 4 avril 2011

The Company Men, de John Wells

Voici un film anti-morosité qui se donne deux ambitions: étudier la crise du point de vue des nantis qui en ont payé le prix et édifier une théorie de la castration masculine.
Bobby, jeune cadre dynamique bien dans sa peau, bien dans son boulot et bien dans sa Porsch perd son job à cause d'un plan de restructuration (dont le seul but est de faire gagner des sous au méchant patron en faisant en sorte que l'offre de reprise d'un concurrent soit la plus haute possible). Il se retrouve donc comme une merde prolétarienne, voué à écumer les sites de recherche d'emploi et à se prendre des vents à chacun de ses entretiens d'embauche.

La première ambition du film est assez banalement traitée. Une tripotée de personnages, tous masculins, d'âge différent, de corpulence différente et de couleur de cheveux différente perd son travail. Du jeune beau gosse au vieux briscard qui a commencé comme soudeur et qui était le meilleur ami du patron, tous sont logés à la même enseigne, soumis aux fluctuations insaisissables du marché, suspendus au sacrosaint cours de l'action. La leçon est vite donnée: à trop vouloir faire les rois du pétrole avec de l'argent virtuel on finit sur le carreau à voir sa vie réelle perdre tout son sens. La rédemption? Le retour à l'économie réelle, à une économie de production et non de spéculation, à la petite entreprise qui respecte ses travailleurs et qui lutte pour faire vivre des chantiers (tout cela incarné en la personne de Kevin Coster, charpentier bourru et presque de gauche). Pas grand chose de neuf donc, Wells reprenant juste l'idée en vogue du moment, la relocalisation des activités primaires et secondaires.

Rien de neuf non plus niveau castration, si ce n'est qu'on est dans un bel étalage de ce qui se fait de mieux en ces temps-ci. Des hommes, maltraités par l'entreprise (la mère, la femme, au choix), délaissé par l'argent (la maîtresse), obligé d'abandonner leurs biens les plus précieux à l'image d'un Ben Affleck qui se sépare de sa virilité personnifiée par sa voiture avantl'émasculation ultime, le retour chez les parents, symbole d'infantilisation et d'effondrement de la figure paternelle. On félicite Wells pour cette belle apologie du paternalisme et pour ce beau croc en jambe fait aux femmes. Elles sont toutes insignifiantes. La femme de Affleck est cloitrée à la maison, il ne veut pas qu'elle travaille et son retour au boulot est un signe d'échec social. La femme de Cooper est malade et passe ses journées au lit, en plus elle lui en veut de perdre son boulot et le vit comme une honte tandis que celle de Tommy Lee Jones ne comprend pas que celui-ci ne veuille pas lui obtenir un jet privé pour aller faire du shopping...

Ah ces femmes, toutes aussi vénales et feignantes! Après tout, c'est certainement de leur faute la crise des subprimes! Ah j'oubliais, devinez qui est responsable des licenciements? Je vous le donne dans le mille, une DRH (Maria Bello)! En bon misogyne, je vous avoue que ça me fait personnellement rire... Pas sûr que ce soit le cas d'Isabelle Alonso... M'enfin, qu'elle se rassure, tout fini bien: l'homme et l'entreprise finissent par convoler à nouveau dans un monde où l'argent est réel et ils eurent plein de petits bateaux. Finalement, elle doit pas être si loin cette fin de crise...

MEAT BEAT MANIFESTO- Answers come in dreams

MBM vient reprendre sa semance depuis Autoimmune, on le sait, on l'a déjà dit: Jack Dangers est un coriace malin, homme de studio qui sans relâche, depuis plus de 20 piges cherche, approfondit, améliore sa grammaire. On sait surtout qu'après avoir évité ses origines en se tournant vers le jazz électronique, il se décide enfin à venir chercher sa récompense, celle d'un succès qui ne viendra jamais. Et il assume, contrairement à un Mick Harris qui refuse d'en entendre parler, la filiation avec le mot "dubstep", tout en continuant de chérir l'industrielle martelante des années 70 et 80 (SPK, TG...). Bref, cet "ACID" (acronyme peu malin) est la suite du précédent, mais retrouve la cohérence qui habitait par exemple "RUOK?" voilà presque 10 ans (déjà). ACID est moins éparpillé que son prédécesseur, plus monomaniaque, et se rapproche sans grande difficulté du récent et excellent "refuse: start fires" de Michou. Peu de variations dans le BPM, on tourne constamment dans le lent, le lourd, l'asphyxiant même. Dangers gave son album de basses étouffantes, comme si il venait s'asseoir lui-même sur votre cage thoracique, pour être bien sur que son cocktail sonore ne vous laisse que peu de chances de reprendre un peu d'air. Vous aurez bien une chance planquée entre deux missives, comme sur Token Words, plongée peu rassurante dans les entrailles de quelques oscillateurs belliqueux. La noirceure du tout ne sera pas relevée par l'épaisse basse de Let Me Set, véritable déclaration de guerre à votre système d'écoute et à vos intestins, qui évoque aussi le dub à la Wordsound avec ses samples rythmiques entêtants. L'ouverture d'album, (qu'elle soit sur Vinyle ou CD où le tracklisting n'est pas exactement le même avec 2 morceaux supplémentaires sur le CD) donne le ton, et le répis n'existe pas chez MBM pour cette nouvelle incarnation. Après le confort de quelques sorties (en gros, entre Subliminal Sandwich jusqu'a Automimmune), Dangers signe définitivement son retour à une musique brutale et pesante, qui trace une ligne droite directe avec "Storm the studio" et "99%".

samedi 2 avril 2011

Sucker Punch de Zack Snyder

La révélation que j'ai eu l'autre jour m'a fait du mal. Physiquement et moralement aussi. C'est un peu comme si ma dignité en avait pris un coup, comme si quelque chose qui s'apparenterait à un fluide corporel vital avait disparu, comme si ma mère n'était pas ma mère, comme si les femmes avaient une conscience politique autonome... Je suis sado-masochiste ascendant kamikaze curieux et désintéressé. Il paraît que c'est définitif.

L'élément décisif dans l'acceptation de cette part de personnalité trop longtemps enfouie en creux fut le dernier film de Zack Snyder, réalisateur très en vogue à Hollywood qui, après nous avoir gratifié d'un film flirtant avec l'ethnodifférentialisme (le nauséeux 300) et d'un documentaire Disney sur la vie des oiseaux de nuit (Le Royaume de Ga'hoole) nous revient toujours avec des jupettes courtes et de beaux oiseaux avec Sucker Punch.

Zack Snyder est pour moi une sorte d'énigme. Un mec qui se revendique de Kubrick, louant le sens de l'esthétique du maître, réalisateur d'un remake noir, cynique et très efficace du Zombie de George Romero en 2004 et de l'une des meilleures adaptations de Comics au cinéma avec The Watchmen. De belles références et une carte de visite pas dégueu non plus. Seulement Snyder semble avoir omis une chose assez importante. Kubrick, loin de se contenter des aspects techniques et de transcender les possibilités de la technologie sur chacun de ses films, savaient écrire des scénarios ou s'entourer de gens sérieux dont c'était le métier.

Quel est donc le scénario de Sucker Punch? Une jeune fille (la fadasse Emily Browning) est placée contre son gré dans un asile par son père après la mort accidentelle de sa jeune soeur. Pour s'évader de ce lieu sordide, la jeune fille s'invente des mondes et des aventures, rêve sa vie pour mieux échapper à la réalité.

On ne pourra que louer une nouvelle fois l'éblouissante technique de Snyder. Ses ralentis sont somptueux, le travail de post production est magnifique, les couleurs éclatantes. Deux plans marqueront particulièrement les spectateurs avides de technicité: la discussion entre les deux soeurs dans les loges, la caméra de Snyder défiant les miroirs, passant à travers et nous renvoyant à notre propre image, nos propres reflets ou encore le faux plan séquence de castagne dans le train, assez génialement monté. Malheureusement, on finit par se lasser de cet étalage de tout ce que le jeu vidéo peut (ou pourrait) apporter au cinéma. Une esthétique léchée, une multiplication des univers, des mondes... Il manque quelque chose, et ce quelque chose, comme dans de nombreux jeux vidéo, c'est une histoire qui tienne la route/en haleine (au choix).

Maintenant il est temps que Zack, s'il veut vraiment pouvoir un jour regarder Kubrick en face, se façonne peut être une personnalité intellectuelle forte. Car pour l'instant c'est le flou complet. Et Sucker Punch n'arrange pas grand chose à cela tant le vide intersidéral de son récit laisse pantois. Il suffit qu'une des nymphettes surmarquillées ouvre son bec pour que toute crédibilité s'effondre. Certains y voient un film féministe. Si c'est le cas, j'ai le cul plus bleu que le Bleu de Klein. Difficile de croire qu'une bande d'écervelées, customisées comme de grosses voitures, enrobées dans un ramassis de sous vêtements fétichistes, servent la cause d'un quelconque mouvement de libération des femmes. Cela n'est qu'un prétexte assez médiocre d'ailleurs, à une exaltation masochiste (on y revient donc), celle d'un homme soumis à sa domina de latex (c'est particulièrement flagrant lorsque la bande d'amazones déambule dans les tranchées parmi tous ces hommes à la tête basse qui n'osent les regarder).

Enfin, et ce n'est pas le moindre écart avec Kubrick, Snyder foire assez violemment sa BO en massacrant quelques morceaux que tout le monde connaît (connaît parfois trop). Si vous êtes un nostalgique de Eurythmics, des Pixies ou de The Smiths vous risquez de ne pas trop apprécier la ré-orchestration poisseuse et les gémissements plaintifs d'Emily Browning sur ces chansons, peu subtilement en phase d'ailleurs avec la naïveté du récit.

Bref, tant que Snyder s'obstine à rester un simple plasticien sans prise sur les sujets qu'il traite il ne pourra que regarder avec admiration l'exposition Kubrick à la Cinémathèque sans jamais pouvoir prétendre pouvoir figurer un jour à ses côtés.