vendredi 30 septembre 2011

ENABLERS- Blown Realms And Stalled Explosions

Comme une époque révolue, tout le monde se précipite, ou du moins tout le monde parle de la réedition de Nevermind depuis une semaine, l'album évènement de Nirvana. On ne s'éternisera pas à débattre pour savoir si cette place d'album indispensable est justifiée ou pas (j'entends les pro-Bleach et les pro-In Utero déjà gronder), mais un sentiment étrange se dégage de la parade autour du disque au bébé nageur. C'est à se demander si aujourd'hui il existe encore des groupes de rock qui proposent quelque chose qui ne soit pas forcément jovial et nerveux, un groupe qui ne serait pas une énième relecture des Talking Heads ou des Gang of Four et qui serait archi influencé par les Strokes, les véritables salopios qui ont un jour poignardé ce que l'on appelait jadis le rock indé pour lui fournir ses tees trop court et ses coupes de cheveux interdites depuis la fin de 1987. Il y a un public là dehors qui ne se lasse de sacrer Cobain mais qui ensuite revient aux affaires avec du rock dansant un peu pute et un peu pénible.
Le rapport ? Aucun, mais quand tout ce cirque s'active, on se dit que foncièrement, un groupe comme Enablers devrait aujourd'hui, avec un LP de la qualité de ce dernier album, être sacré champion du rock, celui qui en impose un peu, celui qui fait crade, celui qu'on aimera toujours pour ses trouvailles, ses sonorités, ses audaces et son cran. Attention, je ne suis pas en train de dire qu'il n'y a qu'Enablers aujourd'hui. Si tu es un lecteur régulier, tu le sais, ce n'est pas le propos. C'est juste le temps. Quand on voit tout le génie du trio de base augmenté de Scharin (June of 44, autre groupe fascinant, ou encore HIM, projet non moins passionnant) à composer et produire une telle musique, on se pose des questions. La rythmique est extrêmement soignée, Scharin blinde la musique mais de sa touche et de sa frappe parfaite et créative, tandis que Goldring (Swans) gribouille des riffs absolument prodigieux sur sa 6 cordes - à genoux devant l'obsessionnel "Career", ni plus ni moins. Simonelli est un des attraits principaux et premiers du groupe, poête habité et passionné parlant de sa voix chaude et imposante sur les couches des trois autres. Par paresse, on songe à Slint, qui déjà marquait durablement mais discrètement le rock en ...91 (!!) avec son indépassable Spiderland. Les classe des patrons, simplement, gravé dans 10 morceaux parfaits et enfermés dans un packaging vinyle magnifique.

mercredi 28 septembre 2011

AFRICAN HITECH- 93 Million miles

Ouais, force est d'admettre qu'il y a des artistes qu'on aime. Pritchard est de ceux là. Je ne pourrais pas me vanter de tout connaitre du type, parce que je n'ai par exemple aucun disque de Global Communication. Issu de la dance music, Pritchard est un fou de matos et de sons uniques. On ne peut que recommander chaudement l'album qu'il a sorti sous le nom Haromnic 313, projet solo de dub digital issu de Harmonic 33, duo auteur d'un fantastique album à ranger pas loin des travaux plus calmes d' Alec Empire ou de Meat Beat Manifesto. Avec Harmonic 313 déjà, il faisait preuve d'une aisance certaine à jouer avec les sons 8bit et cheaptune autour de beats galactiques. African Hitech, groupe qu'il forme avec Steve Spacek (de Spacek... facile) mise là encore sur les sons digitaux et les beats denses, et l'association avec l'espace est encore plus précise (cf. le titre). Pourtant tout n'est pas entièrement électronique, certaines sonorités sont plus chaudes et classiques, notamment sur Cyclic sun. Autour, c'est de l'Amiga en folie qui bourlingue dans des échos d'un dub psychédélique, une bande son megadrive avec comme but ultime le dance floor en sub-bass. La production est limpide, peut-être même un peu trop. Bêtement, on aurait peut-être attendu quelque chose de plus lourd, plus massif encore, puisque le disque se présente ouvertement (cf. la promo sur bleep/warp) comme un album de Bass Music. Pourtant on ne se sent jamais menacé par celles-ci. Au contraire, la musique produite ici est plutôt confortable. Pritchard poursuit le chemin entamé avec ses précédents travaux, mais s'ouvre aussi vers l'avenir: Footstep et Out in the streets se rapprochent sans complexe du footwork/footstep (évoqué précédemment) mais ne s'enfonce pas dans une obsession qui pourrait devenir pénible. Un disque plutôt discret au sein du catalogue Warp qui présente pourtant une belle collaboration, qui gagne a être écouter plusieurs fois pour se découvrir.

mardi 27 septembre 2011

We need to talk about Kevin de Lynne Ramsay

Sort ce mercredi un film un brin revêche qui pose de drôles de questions comme "quelle est la part de responsabilité du comportement affectif de la mère dans la phase prénatale sur la santé mentale du futur enfant?" ou bien encore "comment, malgré toute l'affection que j'ai pu lui offrir, mon fils est devenu un psychopathe?". We Need To Talk About Kevin n'est pas forcément un film agréable, d'ailleurs on a bien du mal à rentrer dedans. Son découpage, inventif mais complexe, laisse parfois perplexe. L'incipit du film est embrouillée et les va-et-viens entre différentes périodes du passé et différentes périodes du présent (hum...) ne facilite pas une adhésion directe. Mais cette âpreté visuelle, si elle est particulièrement peu tendre avec le spectateur, sert finalement au récit et à son déroulement. 

Une fois les éléments posés et le montage stabilisé, tout devient limpide. Tilda Swinton campe une mère en proie à la difficile éducation de son fils. Depuis ses premières heures hors de son ventre, celui-ci lui en fait voir de toutes les couleurs, ne cessant de défier son autorité et de la pousser à bout. Le gamin, fort intelligent développe une toute autre relation avec son père auprès duquel il passe pour le jovial et agréable bambin puis pour le beau et grand ado. 

L'ado, c'est Ezra Miller, un jeune acteur au fort potentiel qui, lorsqu'il en aura finit avec l'ère du bouton disgracieux et se sera un peu épaissi, fera tomber les filles comme des mouches opiomanes. On l'avait déjà vu dans le rôle d'un jeune ado accro à sa caméra et aux sites pornos dans le film Afterschool d'Antonio Campos. Il crevait alors l'écran grâce à un jeu sobre et nuancé dans un rôle tout en intériorité. Ici, son regard est d'une sexualité et d'une perversité bouillonnante. Il excelle dans un registre qui a souvent couvert de louange de jeunes acteurs qui n'ont pas toujours eu la chance de percer après. L'effet Cannes devrait toutefois permettre à Miller d'enchaîner rapidement et, espérons le, dans un registre toujours aussi ambitieux. 

We Need To Talk About Kevin pose beaucoup de questions (parfois douteuse, comme la première que j'ai pu énoncer plus haut) et présente minutieusement l'évolution d'une famille dont les membres ignorent les maux des autres. Le père, John C. Reilly, nie l'évidence, berné par son fils qui joue avec machiavélisme de sa crédulité. Il en vient à accuser la mère, à rejeter la faute sur elle, sur sa patience, sur sa santé mentale. Swinton elle, oscille entre le doute qui l'habite dans la période prénatale, l'irrépressible envie de bien faire et de construire une relation stable avec son fils et la culpabilité. Le gamin lui, est une purge à lui tout seul. Méchant, manipulateur, vicieux, il est le parfait stéréotype du vilain petit psychopathe. Il fait en cela penser au Joshua de George Ratliff, en pire... 

Ramsay, elle, a le sens de la mise en scène. Elle manie parfois avec brio un humour cruel qui met mal à l'aise. Elle habille son film d'un symbolisme bien vu, posant un jalon récurent qui annonce l'inéluctable drame à venir. Swinton ouvre le film dans une bataille de tomates, baignant dans un rouge sang. Ce rouge, on le retrouve dans le supermarché, sur les murs de sa maison etc. Le règlement de compte entre les deux personnages ne trouvera sa réponse qu'après le passage à l'acte. Viennent alors d'autres questions: comment vivre avec cette responsabilité de mère, comment faire le deuil, comment pardonner et surtout, pourquoi? Ramsay conclue d'ailleurs plutôt bien sur cette interrogation. Un film glaçant, dérangeant et implacable: un Cannes gagnant.  

GROUP HOME- Livin' proof

Alors on en est là. Exercice quasi imposé par commerçant de proximité, une sorte de rançon à payer, type, on cause mais ça se paye: un bifton dans ton salon de thé, entre report d'un concert de metal et une critique d'un obscur film. Au son du beat on est au milieu de New York, dans les batîments rouges qui bordent "Money Making" Manhattan, qu'on voit sous le pont direction Brooklyn. Pas de repos jusque là. Primo à la prod, l'improbable beat maker fou qui orne avec talent les longs du Damaja et de Gangstarr. Pourquoi fou me demande-t-on ? Parce que comme le soulignait DJ Mehdi (RIP), Primo fait la musique de la même manière qu'il y a 20 piges. On a inventé des tas de trucs pour lui simplifier la vie. Primo pourrait avoir la main pleine de bagouzes en train de cliquer sur son mac pour créer son beat mais non, Primo découpe ses vinyles à la MPC, et fait son rythme en frappant les pads. C'est quoi le rapport ? Quand Livin proof est sorti, l'ordi le plus remarquablement à la mode fonctionnait sous windows 95. Retour, era bonnet vissé sur la trogne, baggy et pompe de rando (en plein NYC, quoi de plus normal). Une traversée des rues de Paris pourrait s'apparenter à une sortie du coté de l'east Village sauf qu'il est plus simple de voir la lumière du jour à Paris qu'a New York passé 16 heures (en moyenne). C'est la refléxion que je me faisais en allant donc un jour chez un petit dealer de livre Parisien. Ce dealer lanceur de défi donc, me parle d'un disque, mieux que "the sun rises in the east". Le meilleur. Ok, je note. Mais je traine. Un jour que je suis encore en train de fouler les planches de son parquet imbibé, il me relance sans nommer le truc. Un type, accoudé sur le zinc (enfin presque) demande de quoi on cause, le dealer et moi. Le dealer précise et le type ironise "un truc neuf quoi". Merde. Je me rend compte que sur les quelques centaines ou milliers de disques qui trainent dans mon domicile fixe, je ne pourrais pas tout connaitre. Jamais. J'aurais du demander "toi l'indien, as tu écouté le dernier album de MoHa! ?". Mais je me suis abstenu. Après tout, moi non plus je n'ai pas écouté le dernier MoHa! et c'est toujours pas prévu. On en était où ? Ah oui, on balance des bonnes idées et en revanche on paye son petit mot. J'aurais donc aimé mettre la main sur une copie vinylique dudit objet, mais c'est pas le genre évident et certainement pas couplé à la qualité de la noire matière qu'on est en droit d'attendre. On se contente du CD. Triste. Le laser lance la découverte, puis te pousse à rappuyer sur "play". Le beat est brumeux, la caisse claire sur le premier vrai morceau est étouffée, y a un peu de fumée entre les doigts de Primo et les pads de sa MPC. Comme souvent au cour de ce trop court album. Enfin ramassé, du moins. A part un morceau qui fait penser à du Mantronix ralenti, ça sonne hip hop classique qualité certifié par les plus acharnés diggers du monde. Pianos monotouche en répétition, synthés discrets et optimisés sur basses profondes. Bêtement, on pense à Nas et Illmatic pour l'ambiance général. Comme dirait un ami, ça a un "p'tit goût de reviens-y". De toute évidence mon dealer a de bons conseils à offrir.

jeudi 22 septembre 2011

My Winnipeg à la Maison Rouge


Installation Vidéo de Guy Maddin (2011)
Voilà une exposition dont j'aurais dû vous parler depuis bien longtemps. Sachant qu'elle prend fin ce dimanche pour partir au tour du monde, il ne vous est certainement pas permis de faire autre chose que d'y aller si vous avez un peu de temps ce week-end. Alors direction la Maison Rouge, pas très loin de Bastille pour découvrir le premier volet d'une exposition des plus stimulantes!


Le concept est simple: il existe de grandes villes dont personne ne parle parce qu'elles n'intéressent personne. Pourtant, des gens y vivent tous les jours et y développent des formes d'art tout aussi passionnantes qu'à Berlin, Tokyo ou New York. C'est le cas de Winnipeg, ville perdue au milieu de l'Etat du Manitoba au Canada, à 8 heures de route de la première grande ville d'influence comparable, Minneapolis de l'autre côté de la frontière.



L'occasion est belle de découvrir un peu cette ville industrielle et souvent enneigée dont le porte drapeau est le cinéaste Guy Maddin. Pierre angulaire de cette exposition, le réalisateur y présente son dernier film, My Winnipeg, faux documentaire semi-fantasmagorique et autobiographique sur sa ville, ainsi qu'une installation de 11 vidéos diffusée simultanément. C'est une nouvelle preuve de l'implication de Maddin dans les circuits artistiques alternatifs: il avait en effet déjà présenté l'un de ses précédents films, Cowards Bend The Knee, dans une galerie d'art à Toronto sous une forme originale. Le film, découpé en chapitre, était diffusé à travers de petits hublots vers lesquels il fallait se pencher, un peu à l'image des peep show. Une volonté de forcer les gens à se mettre dans une position inconfortable pour regarder des choses personnelles, Cowards Bend The Knee étant son "autobiographie".

Il est intéressant d'ailleurs quand on connaît le travail de Maddin, de découvrir les artistes qui l'ont influencés et ceux qu'il a lui même influencé. On pense notamment au travail de Marcel Dzama, emprunt d'une même volonté de cartographier la mythologie d'une ville oubliée. Car Winnipeg est une ville étrange aux confluents de plusieurs fleuves et de plusieurs cultures (indienne, anglaise, française et islandaise). On identifie alors sur la carte de Dzama des endroits, des mythes évoqués dans le cinéma de Maddin. La ville s'est construite des légendes autour du somnambulisme, de la télépathie, des fantômes. Un rapport étroit semble s'être tissé entre une dimension imperceptible, iconoclaste et une nature figée et inquiétante.

Winnipeg Map de Marcel Dzama (2007)

On découvre une ville innovante. La première salle est une prise de contact tout à fait intelligente, elle nous permet de mieux cerner certaines légendes urbaines, certains faits marquants de l'histoire de la ville. Puis l'on s'enfonce dans l'imaginaire de ses habitants, on pénètre dans cette omniprésence de la mort, de l'étrange, de l'incongru, de la famille et de ses turpitude. On s'enthousiasme devant les travaux si personnels et déroutants de Sarah Anne Johnson par exemple qui traite de la maladie mentale de sa mère avec une grande intelligence.
Untitled de Sarah Anne Johnson (2008)

Voilà, ce ne sont que quelques lignes assez rapidement écrites mais elles transcrivent un peu ce que l'on ressent dans cette exposition. Un enthousiasme décontenancé devant la multiplicité des supports et des oeuvres, choses que l'on n'aurait pourtant pas soupçonné une seule seconde lorsqu'on entend le nom de Winnipeg. A signaler pour les pornocrates une salle un peu chaude au sous sol, juste après l'installation de Maddin, où l'étrangeté et le malaise atteignent leur paroxysme.

mardi 20 septembre 2011

DÄLEK- Untilted (Latitudes)

Presque l'arlésienne pour le duo, alors en pleine période de tournées européennes incessantes à l'époque: nous sommes en 2005, Dälek & Oktopus sont en train de s'inscrire comme un des groupes les plus décisifs et important de l'ère en cours. Le hip hop indé est en train de se désagréger en pleine course, Anticon ressemblant plus à une amicale de post rockeur en manque de beat et Def Jux étant incapable de retrouver sa superbe, égaré avec les indépassables Cannibal Ox. Dans ce climat le duo Américain sort un second LP, mémorable, fou, "absence", se sépare de son DJ (quoiqu'on en dise, quel dommage pour leurs prestations live même si le groupe n'a jamais été décevant par la suite) s'engage dans des collaborations prometteuses avec Zu et promet un disque pour la série, des "Latitudes", micro label de Southern (tout court, UK), tout en sillonant l'europe, et surtout la France- 4 passages parisiens en moins de 6 mois, à croire que Will Brooks et Alap Momin avaient une maison du coté de Melun.

Si le projet avec Zu n'a toujours pas vu le jour (il semblerait bien que ce ne soit pas pour tout de suite puisque Oktopus se concentre désormais sur MRC Riddims, et Dälek sur IconAclass) l'enregistrement pour Latitudes voit enfin le jour, 6 ans après son enregistrement, en juillet 2005 à Londres (à lire, d'ailleurs, la petite histoire allant avec le disque et mettant en relation la gestation du disque et les attentats du métro à l'époque). La série a déjà vu un nombre respectables de formations importantes oeuvrer pour elle: Shit & Shine, Miasma, Grails, Ginnungagap, Alexander Tucker, Master Musicians of Bukkake, Blood & Time, Circle et d'autres.

L'essai de Dälek est concluant. Le duo s'est laissé aller à une seule longue composition, se déroulant lentement, passant d'un minimalisme drone à quelques élans rythmique discrets, abstraits, se démarquant en roue libre, alors que les larsens lointains et les samples se chevauchent et se répondent continuellement. C'est finalement un rythme quasi martial qui s'impose et accompagne un semblant de riff, donnant à la composition, lezardée de voix rares un aspect Godflesh-ien qui se serait muté en fanatique de Muslimgauze. Le climax du titre est principalement orienté autour de cette marche improbable, où échos lointains et guitares s'organisent autour des timbales abïmées. Le premier jet s'éteint sur une descente, piano et samples de voix refaisant surface comme autour d'un souvenir, d'un paysage abandonnée. L'orchestre se relance sous une pluie de guitares distordues, de samples méconnaissables, et mené par une batterie nette, rappelant l'excellent Forever Close My Eyes du premier album pour à nouveau se disloquer lentement, la voix se manifestant une ultime fois au milieu de samples et de sons agonisants. Si cet enregistrement pour Southern restera un disque "secondaire " (cf. sa discrète sortie, sa disponibilité limitée...) Dälek propose, au même titres que de nombreux participants, une longue composition qui restera comme une audace bien menée par le duo, moins frontal que leur production habituel mais intelligente et préfigurant partiellement Abandoned Language.

dimanche 18 septembre 2011

22nd of May de Koen Mortier

On connaît Koen Mortier pour son premier film, le sulfureux Ex Drummer, poème brûlant et provocateur sur la déchéance complète d'un mauvais écrivain. Le film ayant connu un grand succès international, s'étant très bien vendu dans les différents marchés du film à travers le monde, le réalisateur belge était attendu au tournant et on se demandait bien ce qu'il allait pouvoir livrer dans ce second long métrage. Mortier est donc arrivé à l'Etrange Festival avec ce 22 Mai (en français) qui s'est révélé être l'une des meilleures surprises de la dizaine. 

22nd of May conte l'histoire tragique d'un agent de sécurité qui n'a pas pu empêcher un attentat à la bombe dans le centre commercial où il travaille. Envahi par la culpabilité et un intarissable besoin de comprendre, il est poursuivi par les fantômes des victimes de l'attentat et celui de son commanditaire, tentant dans une course perdue d'avance, d'éviter le terrible événement. 

Beaucoup de choses séduisent inévitablement à la vue de ce film qui bouscule quelques certitudes. Tout d'abord, et il faut le souligner, la très belle performance d'acteur de Sam Louwyk, pénétrant d'une tristesse froide, convaincant en vigile méticuleux et hanté par cette erreur traumatisante. Il irrigue son personnage d'une humanité incroyable, d'une fragilité et d'une peur qui prennent aux tripes. Koen Mortier ouvre d'ailleurs le film sur lui dans un très long plan séquence qui dissèque l'intimité du gardien solitaire, organisé, rangé, silencieux. Le choc de l'attentat oblige son personnage à un travail d'introspection spectaculaire, à un voyage transcendantal entre le rêve et le monde parallèle, épique remontée dans le temps dont il semble refusé l'inanité. 

Surtout que ce personnage est lui aussi bousculé par le réalisateur. Les fantômes sont loin d'être conciliants et ils poussent le vigile dans ses retranchements. Chacun a d'ailleurs quelque chose à dire, quelque chose à apporter. Une maman, qui vient demander au vigile pourquoi il a fuit, pourquoi il les a laisser périr à l'intérieur. Un photographe qui lui aussi veut comprendre, veut lutter et empêcher le kamikaze de commettre son forfait. Un homme obsédé par une vendeuse, qui se masturbe dans les cabines d'essayage, et cette vendeuse qui ne sait que lui dire, qui préfère appeler un policier à son secours. Et ce policier, qui découvre peu à peu le lien qu'il a avec le kamikaze. Et ce kamikaze alors, qui brise tous les stéréotypes: jeune homme blanc, motivé par des raisons uniquement personnelles, petit voleur à la tir aux prises avec une relation maternelle troublée. 

Koen Mortier croise toutes ces routes dans une tragique parade qui ne trouve ni salut, ni rédemption. La compréhension des faits ne résout rien, elle ne fait qu'asseoir le passé comme irréfutable et irréductible, les fantômes se révélant être tout aussi impuissants que le seul survivant de ce massacre. Tout s'est joué à des détails, et ce sont ces détails qui, dans une construction un peu alambiquée et alourdie de quelques effets de style parfois répétitifs, apportent une saveur âpre et douloureuse à ce récit tonitruant, violemment ancré dans les questionnements et les tourments de son époque. Un film brillant, en salle le 2 novembre. 

mercredi 14 septembre 2011

Drive de Nicolas Winding Refn

Winding Refn est rarement là où on l'attend et cela l'amuse très certainement. Drive en est une nouvelle preuve. Après avoir mystifier le film de Viking, genre un peu perdu et désuet auquel il a donné une vigueur occulte et christique incroyable, après avoir transformé la vie de Charles Bronson (le prisonnier le plus dangereux d'Angleterre) en livret pop, imbibé de culture gay et de flash 80's, NWR va frustrer plus d'un amateur de bagnoles. Ryan Gosling y interprète un cascadeur qui, pour arrondir ses fins de mois, sert parfois de chauffeur à des braqueurs. Il tombe amoureux de sa voisine de palier, une jeune mère au foyer qui doit élever seule son fils en attendant que son mari sorte de prison. A sa sortie, ce dernier est embarqué dans une embrouille. Pour épargner la jeune femme et son fils, le cascadeur décide de l'aider dans un dernier casse qui va mal tourner.

A ceux qui attendraient de ce pitch musclé une petite bombe d'action, de course poursuite et de gunfight ultra stylés, vous pouvez aller vous coucher. Refn est plus malicieux que ça et a su transformer cette histoire de coursier de nuit en tout autre chose, de bien plus riche, tant sur le plan esthétique que narratif. A tel point que Drive se transforme en un véritable travail sur la frustration. Sur le rythme tout d'abord; Winding Refn fait tout pour casser le rythme et nourrit son récit de travelling longs et de ralentis serrés, broyant la testostérone au profit d'une esthétisation de la tension et du suspens.

Ensuite parce qu'au lieu de faire la part belle à l'action, il donne le primat à l'histoire secondaire qui lie le personnage du cascadeur à sa voisine. Il ménage de longs temps de transition qui en deviennent d'ailleurs des temps riches et importants, constitutifs de l'évolution du personnage de Gosling, à cet amour naissant, à cette complicité mutique avec le jeune enfant... En réalité, ce que Refn redéfinit ici, ce sont les contours d'une certaine virilité. Gosling est un personnage silencieux, droit dans ses bottes et dans sa tête, généreux et sans histoire (du moins en apparence). Et c'est cet homme là qui s'extrait de la faune sauvage qui l'entoure : le mari de la voisine, bad boy latin dont on sent le sang chaud et le manque cruel d'esprit derrière une sincère envie de se rattraper, est expédiée en peu de temps. Ce type de mâle n'a pas la classe requise aux yeux de Refn.

Il n'a pas de charisme non plus, contrairement à Gosling. Ses yeux bleus tendres cachés sous ses lunettes noires, il habite un personnage qui fait souvent penser à Steve McQueen, mauvais garçon au grand coeur et aux gants de cuire qui crissent lorsqu'il serre le poing. C'est cette virilité là qui renaît dans Drive, un mâle encré dans les 70's, au charme ravageur logé dans son regard naïf et son aphasie sensuelle.

Mais le mâle de Refn n'est pas qu'un bon gars venu de la campagne. Il est aussi une bête à la violence extrême. Dans des élans incontrôlables, notre cascadeur se déchaîne sans la moindre pitié à coup de grolles sur le visage de ses ennemis. Car ne l'oublions pas, Drive est aussi un film de mafia, bercé dans une ambiance 70-80's (si les looks sont 70's le générique d'ouverture, par son rose clinquant et volontairement kitch, fait plutôt référence aux films de genre des années 80) et donc dans la violence inhérente à ce milieu. Et comme dans Pusher, les écarts sont sauvagement réprimés. Assurément le visage d'ange de Gosling détonne au milieu des visages cabossés et réjouissants des Ron Perlman, Bryan Cranston et Albert Brooks.

A contre courant, prenant son monde à revers comme il en a la coutume, Nicolas Winding Refn livre avec Drive un pur moment de divertissement cinéphilique. Fort d'une mise en scène qui prend son temps sans jamais ennuyer, de quelques scènes musclées suffisamment fortes pour ménager les amateurs, Drive refuse la surenchère. Et il le dit très bien à l'intérieur d'une scène qui défini typiquement ce vers quoi Refn refuse d'aller: sur un tournage Cranston dit à Gosling que la production aimerait bien qu'il en rajoute en faisant un tonneau avec une voiture. Et ça c'est tout à fait ce qu'on ne voit pas dans Drive.   

RAS G- Down 2 Earth

Encore un dont ce n'est pas la première apparition ici, mais c'est la première fois qu'un album complet se trouve dans ces pages. Auteur de quelques maxi, 12", mix et album en tout genre, on avait déjà parlé de son ep précédemment, et également de sa participation au film Secondhands sureshots au coté d'autres beatmakers. Ras G ne se réinvente pas en profondeur sur cet album, prolonge ce qu'il exécute depuis quelques années maintenant, soit un hip hop basé sur d'énormes beats et une opulence de sons recueilli lors de trips sous verdure et déployant probablement l'ouïe. Ecole J Dilla, mais pas seulement. Ras G fait probablement parti des endeuillés lors du décès du patron en 2006, et l'obsession d'une quête sonore similaire perdure sur cet album. Mais avec cette recherche du son cosmique et des strates de bruits divers, Ras G semble complètement obsédé par le dub et le reggae. Les basses sont profondes, telluriques, et les milliers de petits bruits se répercutant dans le Space Echo laissent imaginer un King Tubby Californien adepte de la MPC plutôt que de la table de mixage. Les craquements de vinyles et autres trouvailles l'éloignent du minimalisme dub pour le rappeler vers un beat making qui se nourrit aussi de guitares psychédélique et autres dérives rock d'un autre âge. Pourtant, il y a un élément qui vient quelque peu saborder l'affaire: Ras G dans sa quête ne peut s'empêcher de foutre un sample de voix qu'il colle à chaque morceau, parfois plusieurs fois par morceau, un peu comme Madlib et son sample de sirène. Ce sample (une voix qui semble l'appeler au loin) est de fait assez éreintant et gâche l'écoute d'un disque qui pourtant se tient dans son ensemble. Une idée récurrente regrettable.

dimanche 11 septembre 2011

Joyeux Anniversaire

Ce mois ci c'était l'anniversaire d'un des Monsieur qui compte dans mon monde de la musique. Vu qu'un blog c'est d'abord son propre monde à soi, il convenait de rendre hommage à l'évènement, et surtout de dire merci au bonhomme. Sur son blog, Florian invitait les gens qui le souhaitaient à littéralement poser avec un vinyle, voire toute leur collection, et d'expliquer pourquoi un tel choix. J'ai au début voulu participer à l'invitation. Ce furent donc quantités de vinyles qui passèrent sur la platine, en essayant de faire un choix. Impossible de dégager une envie du moment: un orchid, car j'aurais grandi avec? A saucerful of secrets des floyd, car j'aurais encore plus grandi avec? Encore un prodigy? Ni le hardcore, ni le progressif, ni l'industriel ne me faisaient envie pour cet evenement. En soi c'est l'anniversaire de flo, et donc de ce qu'il a crée. Ce billet d'humeur est là pour le lui souhaiter, et le remercier. Je ne prétends pas être un proche, ni même une conaissance, et je ne le prétendrais toujours pas aprés ce billet. Florian est quelqu'un que j'ai croisé sur le net, à différents endroits, et à différents moments. J'ai toujours apprécié son ironie, son coté buddy satan (son mister hyde du net) mais aussi sa gentillesse et sa capacité à se sortir les doigts du cul lorsqu'il s'agit de te rendre un service en rapport avec sa passion: disques, création, promotion et soutenir les gens qu'il aime. Un type généreux en somme, aussi curieux que passionné, aussi boulimique pour soi que pleins de conseils pour les autres.
A coté de la vie sur le net, (et celle qu'il possède en vrai, bien entendu, pour laquelle je laisse le soin à ses proches de le hugger bien fort), c'est aussi des années de création musicales qu'il commence à laisser derrière lui (loin de moi l'idée de le traiter de vieux). Parmi ses groupes, projets, l'ironie a fait que l'un des groupes qui m'a le plus cogné dans mes années lycées est un groupe où il officiait: Dead for a minute. En haut à gauche sur la photo donc, le split 10 pouces entre dead for a minute et submerge, une des étapes les plus prolifiques avant la fin du combo hardcore avec deux titres rempli de hargne, de rage adolescente comme il en était plein, de lignes de chant sorties de nulle part, mais surtout de cette touche qui faisait que dead for a minute était et restera à mes yeux le combo français de cette époque le plus passionnant. Un combo venu et parti avec ces envies de guerre et feu, en avancant au gré des collaborations, concerts et tournées et reparti avec le sentiment d'avoir à peu près tout dit ensembles.

Le deuxième projet de flo représenté sur cette image est Meny hellkin, avec deux splits 10 pouces (the bunch et meth & goats) puis le Lp final amputation day (dont on avait parlé en son temps ici même). Meny hellkin est encore une fois une collaboration entre flo et son comparse de toujours (geo, dont on reparlera d'ici peu avec son album solo sorti chez kito kat recemment). Le besoin se faisait sentir, d'aller toujours plus loin, de manière plus fine. Toujours les mêmes fascinations, avec un brassages d'influences bien plus large, et des dénonciations moins frontales (et moins adolescentes pour le coup). Flo y va de ses textes (et même d'un texte sur le 10 pouces avec the bunch) de manière beaucoup plus introspective et se permet de hausser le ton en osant chanter et en laissant de coté les cris. Un combo qui n'est peut etre jamais arrivé à temps ou alors arrivé trop tard, avec ce crossover rock n roll pleins d'expérimentations, de digressions de tatonements, ces sonorités cristallines mélangées à des lignes de basses presque post punk, et ce besoin urgent de tout condenser pour unifier le tout. Il en ressort de belles collaborations, des morceaux de bravoure, et une discographie sans fautes. Un projet fonciérement punk dans l'âme.
On ne voit pas apparaitre ici la collaboration entre dog bless you et meny hellkin, sortie bien aprés le split de ces derniers, reprenant le set the controls for the heart of the sun des floyd dans un morceau épique évoquant savage republic tout simplement car elle est sortie en cd (chez kito kat bien entendu) et que c'est l'anniversaire de flo.

Pour terminer, Florian partage Twin pricks avec son ami Geo, dans un duo plus intimiste, leur permettant de se retrouver entre potes sur scène et sur la route, et de rendre hommage à tous les groupes aux chansons d'amour qui les ont touchés, des get up kids à Mineral en passant par les postal service pour Geo. De beaux morceaux, sur ce 45 tours reprenant le premier et le dernier morceau de leur premier ep 5 titres "Young at heart" avec le magique fresh like death (dont on a déjà parlé). On parlera dans le prochain article du deuxième opus (cette fois ci uniquement en cd, donc bien evidemment retiré ici).

De beaux objets, du joli son, de la sincérité, du labeur, de l'amour, de la joie de faire, de la haine, du desespoir, c'est un peu un panel de toutes les émotions humaines qui se trouvent dans les galettes des projets de Flo. Elles illustrent le paysage musical avec brio, et surtout, font chaud au coeur. Elles ont aussi grandi avec moi, évolué lorsque j'évoluais et m'ont accompagné toutes ces années. Je suis sur que l'ami va revenir d'ici peu dans un nouveau projet, trop de choses le tracassent artistiquement pour ne pas assouvir cette boulimie de création et ce coté totale dans sa façon de faire. Il avait dit qu'il repartirait sur un projet bien violent d'ici peu. On le lui souhaite.
En attendant, on lui souhaite de fêter son anniversaire, et on le remercie encore. Sans lui, certains de ses billets n'existeraient pas. Merci Flo.

vendredi 9 septembre 2011

L'oncle de Brooklyn de Daniele Cipri et Franco Maresco

En voilà deux qui n'ont absolument pas peur de cracher à la gueule du monde et de dire "je vous emmerde" aux spectateurs comme au cinéma lui-même. Cipri et Maresco forment un duo à scandale en Italie qui malheureusement n'a jamais percé en France. La faute à des distributeurs frileux pour ne pas dire aveugles. Actifs depuis la fin des années 80, il faut attendre dix ans avant de découvrir Toto qui vécut deux fois (1998), brûlot scabreux, décadent, sale et particulièrement violent envers l'Eglise. Cette charge anticléricale leur vaudra d'ailleurs d'être censurés dans leur propre pays durant de longues années. 

L'oncle de Brooklyn date lui de 1995. Il est d'ailleurs dommageable de le découvrir après Toto tant il est une bonne introduction à l'univers si particulier des deux réalisateurs. Mais malheureusement, ED Distribution, qui s'est battu durant de longues années pour en acquérir les droits en France, n'a pas pu les sortir dans l'ordre dans lequel elle le voulait. Louons tout de même leur formidable persévérance! 

Dans un Palerme complètement vide et en ruine, deux nains mafieux confient à quatre frère un vieil homme aux cheveux long qui ne dit mot. Il vient de Brooklyn, il est censé être leur oncle. Est-ce utile de vous raconter cela? Pas vraiment. L'histoire ne tourne même pas autour de ça. D'ailleurs, autour de quoi tourne l'histoire? J'aurais du mal à vous en conter une ébauche... Le cinéma de Cipri et Maresco n'est pas tant dans le récit puisqu'ils refusent la narration conventionnelle à grand renfort d'interludes absurdes et scatologiques mais aussi en s'adressant directement au spectateur, en le bousculant, en l'insultant, en lui crachant dessus. 

Au début du film, un gros homme s'adresse à nous en affirmant que ce film est censé briser les idées reçues sur la Sicile et en montrant le vrai visage de Palerme, associant les autorités à sa confection. On en sort avec un rictus cynique tant ils se sont bien foutus et de nous et des "autorités". Tout ici n'est que mafia, perversion et délabrement. Le film serait le pendant extrême de la Grande Bouffe de Marco Ferreri et de l'Affreux, Sales et Méchants d'Ettore Scola. 

L'apocalypse que l'on suppose à laisser un monde aux mains d'hommes (puisque même les rôles féminins sont joués par des hommes) à la virilité contrariée, obsédés par la luxure et la goinfrerie, éructant et pétant où qu'ils aillent, laids, gras, grossiers, irrespectueux. Les mères sont maltraitées, la figure du Christ est interprétée par un balafré difforme à qui il manque un œil, les ânesses sont prostituées (mémorable scène de sodomie qui ouvre presque le film)... Le tableau qu'ils peignent de l'Italie est violent, discourtois, décadent. Pour autant, cette ironie noire et injurieuse est un bonheur de cinéma. Et si L'oncle de Brooklyn n'atteint pas l'irrévérence de Toto, il en laisse présager ses géniales qualités et ses quelques défauts (comme à l'accoutumée, la lenteur, les silences et la difficulté à saisir le sens du propos ou de l'histoire en déconcerteront plus d'un!). 

jeudi 8 septembre 2011

Visiblement...

...c'est la rentrée, et comme d'hab, on prend tellement notre temps pour parler de tout qu'on est encore un peu à la bourre pour causer de ça aussi. Bref, vous êtes rentré de vacance, vous avez repris le boulot ou l'école (pas encore la fac). Il est également temps pour nous de reprendre l'activité avec un peu plus de sérieux. Outre les projets qui se montent lentement (on y reviendra en temps et en heure), vous pouvez, vous, les quelques centaines de lecteurs quotidiens de ce site, nous suivre sur internet via d'autres pages:



*un compte Facebook, reprenant l'essentiel de ce qui s'écrit ici;

*un compte Twitter, qui est plus complémentaire et s'appuie plus sur l'actualité, les infos et autres qui fusent sur la toile;

*une page Youtube, où l'on proposera dans la mesure du possible des vidéos des concerts traités dans les reports, en MD ("Merdique Def", puisque nous n'avons ni matos ni carte de presse) et une sélection de vidéos musicales.

En attendant que les chroniques fusent à nouveaux comme dans nos jeunes années (déjà plus de 3 ans qu'on fait vivre ce site), vous pouvez retrouver les chroniques cinémas de CoS, qui proposent cette année encore une présentation complète de ses visionnages à l'étrange festival, véritable évènement d'un autre cinéma. Et en plus d'être invité à nous suivre sur les différentes pages présentées plus haut, vous êtes toujours bienvenus pour râler, insulter, approuver, préciser ou boycotter les articles de Beyond The Noize.

mardi 6 septembre 2011

DEATH GRIPS- Exmilitary

Comme Odd future, Death Grips brutalise le monde du hip hop avec force via, ici aussi, une mixtape à télécharger gratuitement sur leur site. A l'inverse d' Odd Future, il n'y a pas ici de subversion ado ni de bons sentiments planqué sous des vidéos provocs et des paroles composées majoritairement de "bitch", "weed" et "cock" , mais juste une expérience qui fait évidemment une certaine différence: l'âge pour consommer légalement de l'alcool est largement dépassé chez les 3 membres de Death Grips. Flatlander programme, Zack Hill (Hella, Team Sleep, Ladies, Goon Moon, Omar Rodriguez Lopez, Wavves...) bat la mesure, et MC Ride éructe. C'est surtout ce dernier qui attire l'attention. Avec une allure de clodo sataniste, on le croirait échappé d'un épisode de Bumfight. Dire qu'il rappe, qu'il parle ou qu'il hurle serait probablement mal interprété le propos: l'homme parle fort, crie, au mieux gueule, tandis que la paire restant s'efforce de lui fournir d'honorables beats. Certains canards, probablement par manque de curiosité, rapprochent ça au Tricky des débuts- comme à peu près chaque fois qu'une formation hip hop peu conventionnelle débarque. Le ton est ici plus usant, et la musique bien plus portée sur la distortion, la dégradation du signal audio. Avec son obsession du sample laminé, de la basse grouillante et du beat digital, on le rapprocherait plus volontier du travail d'un Thavius Beck, d'un Food for animals, d'un NMS ou d'un EL-P era Fantastic Damage, c'est à dire d'un hip hop largement construit sur l'assimilation du rock et du punk, de l'IDM et du Studio comme base de recherche. La production est rude, fait indéniablement penser au minimalisme de certains acteurs grime ou dubstep teigneux, la sauvagerie et l'absence de surproduction en guise de signature commune. Et puis au final, avec ses cris et son acharnement à broyer l'ouïe, on pense aussi pas mal à Black Flag, MC Ride comme un Henry Rollins du web 2.0.


lundi 5 septembre 2011

Confessions de Tetsuya Nakashima

Yuko Morigushi est professeur dans une école japonaise. Difficile de faire cours au milieu d'une quarantaine de bambins hurlants et dissipés qui s'envoient plus de textos et de boules de papiers qu'ils ne prennent de note. Au milieu du chahut et du brouhaha, Yuko leur annonce qu'elle se retire du monde professoral à la fin du mois et commence à leur expliquer pourquoi. La jeune femme est à bout depuis la mort de sa fille, Manami, retrouvée noyée dans la piscine de l'école. Un accident selon la police. Pas pour l'institutrice qui, au cours de sa démonstration, accuse deux de ses élèves qui sont rapidement reconnus par leurs camarades. Sur de son fait, Yuko va leur rendre la vie impossible.

Ce film de Tetsuya Nakashima est plutôt une bonne surprise comparativement à ce que l'on pouvait attendre de son sujet. De Battle Royal à La journée de la jupe, la délinquance juvénile et les problèmes systémiques des différents systèmes scolaires à travers le monde ont déjà donné lieu à de nombreux ouvrages intéressants, engagés et polémiques. Nakashima a pour lui deux atouts: une narration originale et une intrigue tendue.

Confessions s'ouvre sur un très long prologue ou plutôt, un très long monologue de l'institutrice Yuko. Elle fait face à sa classe, complètement hors de contrôle mais reste droite, stoïque, impassible face à la défiance permanente et au capharnaüm qui y règnent. Malgré sa longueur, cet incipit audacieux tient son homme car le réalisateur ménage le suspens à grand renfort de petits effets et d'une musique omniprésente. On pourrait s'en lacer, mais la tension qui règne et dont on cerne lentement les contours est plutôt réjouissante. Se met alors en route une implacable vengeance froide et tranchante qui se tait durant un bon bout de temps. S'enchaînent les "confessions" des différents protagonistes, distillant chacune leur tour, un lot d'informations et de précisions sur les intentions des enfants et sur la réalité des faits entourant la mort de la jeune Manami.

Bercée de pop anglo-saxonne, cette fable cruelle sur l'incapacité de l'enseignement à contenir une population nourrit par une violence distante et ordinaire se double d'une chronique oeudipienne du mal pré-adolescent. Les deux garçons meurtriers entretiennent en effet des relations plus que délicates avec leur mère respective: le premier a décidé de s'enfermer dans sa chambre sans dire mot et se met à hurler dès que sa mère se présente devant lui. Le second a été élevé dans une quête de l'excellence absolue qui a rendu sa mère violente à son encontre et incapable de tendresse envers lui. Tout deux sont à la recherche d'un équilibre qui n'existe plus, coupés de toute figure paternelle autoritaire et d'une mère qui pour l'un ne sait plus comment lui témoigner son affection et pour l'autre y a renoncé en s'éloignant de l'enfant à jamais.

Ces enfants cherchent en somme à exister et hélas, ce n'est pas par leur talent qu'on leur permet de le faire, la société préférant mettre en avant la violence quotidienne plutôt que les petites réussites ou leurs jeunes créations. Confessions a de quoi agacer par son maniérisme mais sa logique implacable et son crescendo final valent le détour. Premier bon filon du Festival.

The Divide de Xavier Gens

L'Etrange Festival s'est ouvert le 2 septembre dernier et ouvre, comme tous les ans, les festivités cinématographiques de la rentrée. C'est l'occasion de faire le tour des curiosités du monde entier, de découvrir des choses visuelles iconoclastes, de dévorer de bons vieux crus restaurés... Bref, l'Etrange Festival est incontournable à Paris pour qui cherche de la bizarrerie et un peu d'audace sur grand écran.

L'audace, ce n'est pourtant pas vraiment ce qui qualifie le film d'ouverture, The Divide de Xavier Gens, présenté en avant première française. Xavier Gens est un jeune réalisateur qu'on a très vite surcôté parce qu'il a été propulsé comme le tenant du nouveau cinéma de genre français lors de la sortie du médiocre Frontière(s) en 2008. Aussi parce que dans le même temps il tournait déjà aux USA une adaptation de jeu vidéo, le non moins mauvais Hitman avec Timothy Olyphant (mais là c'est la faute des studios). On se demande donc pourquoi The Divide apparaît ici, à l'Etrange, qui plus est en ouverture de festival...

La réponse ne vient jamais vraiment. The Divide raconte une fin du monde nucléaire: une attaque est lancée sur une ville qu'on suppose être New York, plusieurs individus se retrouvent enfermés dans la cave de leur immeuble, ne pouvant en sortir. Les personnalités de chacun vont peu à peu s'affirmer et s'animaliser, la bestialité conduisant à l’obscénité, la violence et autres logiques claniques qu'on pourrait associer au monde animal.

Dans un décors en carton pâte on observe ces quelques survivants s'avilirent jusqu'à plus soif, débiter quelques méchancetés toute faites. Les cadres sont sans réelle personnalité, tout comme le choix de ce jaune fiévreux qu'on avait déjà vu dans Frontière(s) et tant d'autres films border line avant. Non, The Divine ne propose strictement rien de neuf, au contraire. Gens fonce tête baissée dans la tendance trashporn en multipliant les excès sadiques et pervers. Le tout dans un symbolisme banal.

Cette attaque nucléaire fait bien évidemment écho aux attentats du 11 septembre; le personnage de Mickey étant d'ailleurs un ancien pompier ayant oeuvré dans les décombres des Twin Towers, nourrissant par ailleurs une certaine xénophobie. L'antiracisme, thème fétiche du réalisateur, déjà central dans Frontière(s), remplit tous les critères du film américain classique: un acteur noir, un acteur (au nom italien IRL) légèrement basané, des prénoms passe-partout... D'autre part, Gens ne lésine pas sur un féminisme outrancier: toutes les figures masculines périclitent peu à peu. Seule l'héroïne, Eva (drôle comme elle a le même prénom que Eve dans un vieux bouquin avec un mec et un serpent...), garde la tête (et sa coiffure) sur les épaules, maintenant un peu d'humanité dans cette (petite) débauche de sexe, de violence, de bondage, de travestissement et d'alcool.

Toutes les figures masculines s'effondrent et finalement, ne surgit de la merde qu'une femme nouvelle et seule, défaite des chaînes du machisme et de l'asservissement sexuel avec un monde entier à reconstruire. Que c'est lourd et mal écrit. Drôlement réalisé aussi. Car dans ce huis clos, jamais il n'y a la sensation d'étouffement ou de claustrophobie. La faute certainement à des choix plus chic que logique, Gens multipliant les grands angles et les travellings dans tous les sens. Un joli ratage en guise d'ouverture, vite, séance suivante.

vendredi 2 septembre 2011

Melancholia de Lars Von Trier

Le dernier souvenir que l'on ait de Lars Von Trier est son fameux "dérapage" cannois, où nazion rimait avec admiration et circonspection mais aussi avec tradition puisque le réalisateur danois n'en est pas à sa première provocation, bla bla bla. Son nouveau film, Melancholia, n'a absolument pas besoin d'être jugé ou estimé à l'aune de cette anecdotique dérive. Un peu comme un enfant qui teste les limites, Trier s'est pris les pieds dans son propre jeu et l'a payé cash. Saluons le jury cannois qui a su faire la part des choses en remettant un prix d'interprétation à Kirsten Dunst.

Melancholia est à la fois dans la continuité de son travail récent sur la (sur "sa" en fait) dépression et les rapports homme-femme-mythologie/religion et un retour à une certaine idée du Dogme95, atrocement bourgeoise. Comme Antichrist, Melancholia s'ouvre sur un prologue de ralentis ultra travaillés à la beauté un peu toc mais évidente, sur une musique de Wagner qui annonce la prochaine apocalypse. Mélange de plans cauchemardesques et de visions astrales, il énonce les principaux enjeux du film: la solitude, la vaine fuite en avant du monde, le mal-être... Le tout noyé dans un symbolisme clinquant et parfois kitch.

Il établit également la principale dichotomie sur laquelle tourne tout le film puisque sa structure en chapitre y fait écho: deux femmes, deux perceptions du monde, deux influences astrales. Justine (Dunst) est sous l'influence de Melancholia, elle attend la fin, presque sereine, elle est incapable de profiter de son mariage, rongée par une peur qui se transforme peu à peu en un calme certain de l'inéluctabilité, désenchanté et sec, dépouillé de toute croyance mystique et de tout espoir. Claire (Gainsbourg) elle, est sous la tutelle de la Lune; personnage contradictoire, froid mais aimant, broyé lui aussi par la peur de mourir, la peur de tout perdre, par l'envie de se battre, pour son fils notamment.

Cette séparation au sein du genre féminin est une sorte de continuum du portrait hystérique et presque bestial que Von Trier dessinait dans Antichrist. Les femmes y sont plus complexes mais tout aussi insaisissables, comme ne répondant qu'à des logiques astrales inconnues (d'où l'exoplanète, qui ne respecte pas les rythmes connus du système solaire). L'homme, fort de ses certitudes scientifiques (Willem Defoe dans Antichrist, Kiefer Sutherland ici) est à nouveau bousculé par les forces de la nature et l'instinct féminin. Il connaît la vérité mais sa lâcheté le conduit à la cacher aux siens et à se voiler la face. Incapable d'accepter son échec et dans un acte de lâcheté final, il préfère se castrer (symboliquement) seul.

Von Trier maltraite en filigrane la croyance et la foi, en transformant son mariage en véritable carnage. L'institution religieuse est passée à la moulinette par deux personnages: le premier, la mère, jouée par Rampling, est haut en couleur et malheureusement trop rare sur l'écran. Elle déteste le mariage et promet déjà une fin douloureuse à l'idylle. L'autre, c'est la mariée elle-même, Justine, qui est saisie par cette mélancolie qui la rend incapable de profiter de ces instants de bonheur. Aucun temps n'est respecté, les invités sont de simples pantomimes qui ornent le luxueux décors. Tout cela en est ridicule tant le luxe abonde de façon inconsidérée. Le marié lui est fantoche: bercé d'une douce naïveté, il est renvoyé à son statut de jeune premier mignon mais inoffensif, contrarié dans sa sexualité passionnelle. Le mariage est sacrifié et c'est Justine qui l'achève sur le terrain de golf. Tout cela nous rappelle Festen, de Thomas Vinterberg, cofondateur du Dogme. Un repas de famille qui tourne au règlement de compte, où les vérités éclates, où les sourires de façade se fendent en de terribles déconvenues.

Ainsi va la dépression de Lars, d'un pessimisme sans beaucoup d’équivalent. Rien ne semble pouvoir sauver ce monde qui se ment, ni l'espoir, ni la science; ni l'homme, ni la femme. Et Wagner donc d'accompagner ce chant du cygne familial et terrien dans un final implacable mais loin d'être transcendant esthétiquement. La technique est une des limites de la démonstration de Von Trier, parfois maladroite et simpliste. Il n'empêche, pour une sortie estivale, Melancholia s'impose comme l'un des films les plus fascinants et dérangeants de l'année.