mardi 12 août 2008

THE PRODIGY- more music for the jilted generation


Album cultissime chez les anglais, chauvins comme des français après une coupe du monde gagnée (ça n'arrive qu'une fois), Prodigy est une gloire nationale et chaque réapparition, même foireuse, est toujours perçue comme une célébration d'un héros. Et précisément, y'a de quoi. L'engouement outre manche pour les re-édition de ce second LP des gars de l'essex est justifiable tant ce disque et ce groupe ont secoué en profondeur l'Angleterre et représente une pierre angulaire de la culture anglaise (et plus) des 20 dernières années. Etonnament, ce n'est pas le disque au crabe qu'on celebrera encore et encore, mais bel et bien ce poussiéreux album aux sons datés et datables (?) mais à la construction remarquable.

Jilted generation seul album politiquement marqué d'un groupe qui ne s'arrêtera pas là pour les scandales (parfois malencontreux, comme cette pochette représentant un voiture écrasée pour l'hypothétique "Smack my bitch up" Ep qui devait sortir fin aout 97, je vous laisse chercher dans vos mémoires ce qui s'est passé à cette époque et qui empêcha la sortie de ce maxi) qui s'oppose fermement au criminal justice (loi anglaise visant à interdire les rassemblements de jeunes autour de musiques répétitives, Autechre a aussi réalisé un audacieux EP à ce sujet), en revitalisant une scène rave totalement fermée sur elle même après que Liam Howlett, dégouté de cette dernière ait découvert le rock lors d'un voyage aux USA. Prodigy signe en 94 son deuxième album et un chef d'oeuvre absolu de la musique électronique. Certes, l'écoute actuelle, avec 14 ans dans les dents, ne rend pas justice au disque. Mais le travail titanesque de Howlett, l'âme et seul maitre de l'hydre à 4 têtes va boulverser la musique moderne. Clairement envisagé sous un angle vengeur et agressif, Howlett après avoir lancé un morceau obscur en white label, anonymement à quelques DJs influents à Londres qui le diffuseront largement en soirée, ré-habilite son groupe sur les pistes de danse les plus obscures après que son groupe ait été accusé d'avoir tué les raves avec "Charly" ( "did charly kills rave parties?" titrait la presse) quelques années plus tôt. L'album s'ouvre sur le constat que désormais, il ne sera fait aucun cadeaux, "I've decided to take my work back underground... to stop to falling into the wrong hands" et le beat vengeur, haineux de "break and enter" d'ouvrir le disque. 7 titres durant, Howlett qui réalise presque seul son disque, se sert allègrement dans le repertoire rock (en usant du Pop Will Eat Itself sur son "their law") et pillonne allègrement l'euro dance alors montante qu'il ridiculise en empruntant les gimmicks pour les noyer dans sa cathédrale rythmique. Car là est la force de Liam Howlett. Il est un créateur rythmique hors pair, un savant sculpteur de beats "rouleaux compresseurs", efficaces et inimitables. Personne ne dresse de murs de batteries comme lui. Il utilise son amour du hip hop pour en dessiner les grandes lignes puis les gonfles d'attributs uniques, dont il a seul le secret. Bien des suiveurs s'y casseront les dents, mais de sa trempe il reste le seul. Son autre force c'est son unique approche des claviers. En reprenant les machines de tout bon studio qui se respect alors (101, 303, Minimoog, Jupiter et autre), il utilise ses claviers comme des instruments rythmiques ou comme des guitares, leur donnant des riffs et lignes inédites, sans jamais se faciliter la tâche. Si l'aspect premier de Prodigy est remarquable par ses énormes basses et ses beats puissants, c'est dans le détail de la confection que le travail devient splendide.

Le 7eme morceau se pose comme une sorte de résumé de l'album : la première partie de "the heat" est composé d'un gimmick electro-rave totalement écrasant pour finalement se transformer en une sorte de monstres méconaissable, Howlett déformant un peu plus son jouet au fil des cassures. La fin du morceau ressemble à une oeuvre de dance mauvais goût et boîteuse où les voix sont coupées, n'ayant plus le droit à la parole. Et la suite du disque de reprendre le schéma du morceau. La pépite du disque est d'ailleurs juste après. "Poison" est un morceau complexe dans son approche tant il sort de toute définition musicale. Impossible à décrire, il faut écouter ce morceau au moins une fois. Prodigy redéfini sa musique ici avec un nouveau vocabulaire, fait ingurgiter de force à sa musique une dose d'inconnue, de territoires soniques jamais foulés jusque là. Le hip hop primaire, couplé à quelques phrases malaxées par les effets-ou pas- croisent le fer avec une base dub et industrielle obsédante et novatrice. Après deux replongées rave, Howlett conclue son disque avec une trilogie audacieuse et magnifique qui clôt le disque en résumant ce qu'il sait faire. Il y détourne ses influences, transforme la matière sonore et lui donne un aspect charmeur englué dans une vase haineuse et dangereuse. Aussi, après avoir transformé son groupe sur disque, il va le transcender sur scène, et c'est bien cela que le second disque de cette riche re-édition va démontrer.

Quiconque a dèja vu Prodigy sur scène sait de quoi il en retourne : probablement une des plus respectables bêtes de scène encore en activité, un monstre qui sur son passage écrase tout. L'aspect mad max-esque de sa musique en devient terrifiant, Howlett laissant place par dessus sa complexe architecture à un groupe sauvage accompagné de deux éructeurs dont le plus surprenant n'est clairement pas Keith Flint, ex-double crêtes emblématique des années 90 mais bel et bien son compère, Maxim, vosciférant colosse transformant la scène en réel ring où tous les coups sont permis. Deux morceaux tirés d'un show pour Radio 1 mémorable ouvre les bonus. Le trio ( Leeroy Thornhill étant partit au début du siècle) y réinterpréte deux classiques, "poison" et "voodoo people" qui samplait nirvana se voient rajeunir par la force des choses. Même traitement pour break and enter qui redevient ce morceau d'ouverture tapageur, tiré des lives de la Brixton academy fin 2005 où Prodigy fêtait son anthologie. Après encore une bonus live avec du public cette fois, le groupe pose sur disque un ensemble de face B pas toutes extraordinaires, même si on saluera le remix soigné des Chemical Brothers (qui s'appeleaient encore les Dust Brothers à l'époque) ou "scienide", complément idéale et poisseux au Poison tiré du maxi du même nom.

Voilà donc l'occasion idéale de célébrer un disque qui a bien entendu vieilli, mais qui réveillera chez les adeptes bien des souvenirs tant ce disque parle non pas pour une génération mais bien pour une époque entière. Et même si le groupe est depuis tombé dans bien des pièges maladroits, il n'en reste pas moins une série de classiques morceaux essentiels, et surtout, le premier long jet historique de la techno - qui n'était pas qu'une compilation de 12" indigestes passé la demi heure - pour ne pas dire LE premier album.

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