Belle surprise que ce dessin animé espagnol aux graphismes voluptueux et parfois osés qui rend un séduisant hommage au jazz cubain. Nous sommes à la fin des années 40, Chico, pianiste et séducteur rencontre par hasard Rita, jeune femme à la voix suave et enchanteresse. Il lui propose d'être sa chanteuse et de participer à un concours avec lui. La joie du concours gagné est rapidement emportée dans la tourmente des sentiments amoureux: Rita est abordée par un producteur américain qui lui propose de se produire à New York. Chico, jaloux, envoie chier Rita qui s'envole seule, le coeur déchiré.
Chico et Rita ne s'arrête pas là et c'est bien son plus grand charme. Sur ces airs de conte cubain un peu rétro, le film fait la part belle à un musicien, le gigantesque Bebo Valdes, légende perdue puis retrouvée du jazz cubain. Chico et Rita s'inspire en effet de la vie du légendaire jazzman : Chico porte le nom de Valdes, traverse l'histoire du jazz de New York à Paris et sombre dans l'oubli le plus complet avant d'être ramené à la gloire par la nouvelle génération (Bebo lui a disparu environ 30 ans, jouant dans l'anonymat le plus complet à Stockholm avant d'être redécouvert au début des années 2000).
Plusieurs choses séduisent indéfectiblement. Tout d'abord, et c'est une évidence, la musique composée par Valdes transcende chacune des scènes du film et permet en filigrane de remonter la pendule musicale dans tous les sens de l'Histoire. Elle est sensuelle comme les rondeurs de Rita, colorée comme La Havane, chiadée et sophistiquée comme ce New York grisâtre. Samba, be-bop, tout y passe. Le film emmerde royalement les enfants. Les corps se dénudent et s'enlacent tendrement et les références pleuvent. On croise tour à tour des monstres tels que Dizzie Gillespie et Thelonious Monk, Nat King Cole et Charlie Parker, Tito Puente. On traverse 50 piges de jazz avec un bonheur énorme, sans délaisser pour autant les péripéties de nos deux amoureux.
Ces deux jeunes gens ne traversent bien évidemment pas que le jazz, ils sont également les témoins d'un monde qui bouge, constamment. Trueba et Mariscal dressent également une petite histoire de Cuba: Chico quitte son île sous la dictature de Batista, alors que les clubs et les matelots américains fourmillent dans la capitale. Il y revient en pleine révolution castriste; les temps changent. Le jazz, musique d'afro-américain, musique d'esclave devient un mode d'expression de l'impérialisme américain. Rita quant à elle, doit faire face aux préjugés raciaux qui règnent aux Etats-Unis, en pleine ségrégation. En cela, Chico & Rita rejoint quelque part Le Chat du Rabbin de Joan Sfar : défaire les clichés et asseoir une réflexion sur la tolérance.
Enfin, Chico et Rita s'avère être une profonde réflexion sur l'inspiration artistique et la célébrité. De l'éphémère succès du duo que les deux amoureux formèrent dans les années quarante, il ne reste qu'un lointain souvenir. Il en va de même pour la carrière américaine de Rita, emportée par son amour pour Chico et pour une prise de position politique courageuse (bien que prise sous alcool). Bref, Trueba et Mariscal rappellent que les racines de la musique cubaine et plus largement de la musique latine d'aujourd'hui se trouvent dans des travaux perdus d'artistes oubliés, victimes d’évènements politiques complexes. La relecture, la réactualisation, la redécouverte, comme fut celle des auteurs grecs pour les philosophes de la Renaissance, est une source intarissable de créativité nouvelle.
De La Havana à New York, du chaud au froid, les couleurs et les lignes épaisses de Mariscal ravissent autant que la musique régale. D'autant plus que l'hybridité formelle du projet (mélange de 2D et de 3D) est plutôt réussie. Non, le dessin animé n'est pas l'apanage des enfants. Qui l'eut cru d'ailleurs? Alors que règne en maître les American Dad ou South Park à la TV, que ces dernières années ont vu la consécration de cinéaste comme Mulloy ou Plympton, on savoure avec à propos, ce délicieux élixir musical et visuel chargé d'histoire et pour certains de souvenirs. Chico et Rita est au dessin animé ce que le Buena Vista Social Club de Wenders est au documentaire, une référence sur la musique et l'histoire de Cuba.
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