mardi 10 décembre 2013

DELTRON 3030 - Trianon, Paris

L'importance du projet avait presque de quoi faire peur. Finalement, que peut-on attendre d'un super groupe hip hop aussi bien gaulé,quand sur disque le groupe enchaîne chef d'oeuvre et coup de maître ? Si le premier Deltron, terreau de Gorillaz, faut-il le rappeler, était un album culte, sa suite, longtemps attendu se place dans le cadre difficile de devoir honorer le passé... Event II est un album qui ne démérite pas au côté de son ancêtre. Et sur scène ? On y va par curiosité, et en ce qui me concerne, je dois l'admettre, pour voir Del The Funkee Homosapien, un des plus importants et charismatiques MCs de ces deux dernières décennies.

La première idée brillante, c'est de laisser place à Kid Koala pour ouvrir. Non seulement le DJ nous permet de prendre la température d'un point de vue soundsystem, mais également de faire une démonstration impeccable. Fou et particulièrement enjoué, le type est aussi bon techniquement qu'il est un fin "selector". Un hommage appuyé aux Beastie ("pass the mic" et "So watcha want" hurlent dans la sono pendant qu'il crie "RIP MCA Beastie Boys!!"), un Second Bad Vilbel dAutechre muté en pâteuse agression lourde, un Machinegun de Portishead renforcé rythmiquement, et surtout un incroyable Poison Dart de Kevin Martin, collègue de label, sont parmi les morceaux qui pilonnent la salle grâce au son colossal que délivre les enceintes du Trianon. Plus technique, il est capable d'enchaine musique hystétique  pour enfants (Yo gabba gabba) avec un morceau plus solennel, où il ajoute à un chant féminin très sobre de magnifiques sonorités de sirènes qu'il accole mélodiquement au squelette originel. Sans être de la trempe d'un Mix Master Mike, il est un technicien sérieux, appliqué et créatif. On apprécie d'autant plus que Kid Koala joue sans laptop, sans serato, et pioche chaque morceaux dans une mâle à vinyle. Le genre de pratique qui semble presque d'un autre âge.

Vingt minutes de pause et c'est un orchestre d'une douzaine de musiciens qui prend place, ainsi que 4 choristes. Un batteur qui semble avoir peur de faire mal à son kit et un guitariste qu'on jurerait échappé d'un groupe de stoner japonais s'installe également, accompagné de Juan Alderte, bassiste de feu Mars Volta. On sait que le carnet d'adresse de Dan The Automator est important, et il le prouve en prenant le premier intermittent possible pour tenir la 4 cordes. Dan The Automator, producteur de l'album et tête pensante du projet, joue la carte du chef d'orchestre au pied de la lettre. En queue de pie, il mène son orchestre (ou son contrôleur MIDI) à la baguette. Pourquoi pas. Producteur de l'ombre,  responsable de quelques réussites pop (Gorillaz) et d'autres chef d'oeuvre  (Handsome Boy Modeling School, Dr Octagon...) sa présence est singulière mais justifiée. Devant, c'est Del qui sera l'incarnation de ce projet fou, sorte de SF sonique rugueuse et ambitieuse, qui s'appuie autant sur les sons galactiques que les orchestrations de William Sheller. Empereur de l'underground, Del est surtout connu pour être la voix du tout premier maxi de Gorillaz, et aussi pour être le cousin d'Ici Cube qui, avant de jouer dans Anaconda, avait sorti quelques bons disques, et produit le premier LP du MC. Del est un de ces rappeurs au talent souvent mis en avant mais aux succès modeste. Pourtant, ses albums sont toujours de très bons enregistrements, de son classique 'No Need for Alarm', à des choses plus récentes comme son album avec Tame One ou "Funk man". Flow élastique, paroles barrées, le type fait partie des grands du rap indé. Avec un line up aussi impressionnant et solide, on se fait forcément petit quand résonne "3030", morceau inaugural du premier enregistrement, renforcé par l'improbable orchestre. Cuivres et cordes sont amples et le son est décuplé, la beauté de la partition initiale est magnifié par le live et l'affiche. Del est particulièrement à l'aise avec ses paroles et son flow en caoutchouc donne l'impression d'une facilité pour lui. Il joue avec une tranquillité comme un instrument à part entière, sans forcé, tout en habitant la scène de petites danses qui me remémorent le genre de gestuel que peut avoir 3D de Massive Attack.

90 minutes de show, allant piocher aléatoirement dans les deux albums, voilà ce que propose cet ensemble assez impressionnant, mené avec talent par ses 3 cerveaux. Dan the Automator fait surtout le spectacle, mais Kid Koala habille de milles sons et textures les morceaux avec l'intelligence qu'on célébrait déjà lorsqu'il entamait la soirée. Del, du haut de ses 27 kilos assure un spectacle en décalage totale (il est en survet et se pointe en skate) mais incarne son personnage et son univers avec conviction. Forcément, le groupe a annoncé des invités sur ses dates européennes. Alors on se permet de croire que De La Rocha a suivi son pote de Mars Volta. On imagine que Damon Albarn a pris un billet d'Eurostar pour faire quelques morceaux. On espère Mike Patton. On aura... Anaïs, dont Dan vient de produire l'album. Faut-il vraiment souligner la surprise et la déception ? Et si Albarn n'est pas venu, le show se clôture en dernier rappel sur... "Clint Eastwood". Beaucoup ont parlé de "reprise", mais finalement, quoi de plus logique ? Deltron a préfiguré Gorillaz il y a plus de 10 ans et la paire Del/Dan est responsable du morceaux autant que le chanteur de Blur. Les voir se ré-approprier cet énorme morceaux dans le cadre de Deltron est jouissif. Comme un puissant rappel de leur créativité, de leur génie, mais aussi comme un moyen d'exorciser une absence de 13 ans, puisque pendant longtemps, Clint Eastwood fut la dernière trace sonore du groupe. Très belle conclusion pour une performance incroyable d'un groupe inventif, intelligent, qu'on espère encore inspiré pour la suite.

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