dimanche 31 juillet 2011

Ce qu'il fallait voir avant de partir en vacances

Dans l'esprit malade des journalistes de télé, l'été est le terrain d'une guerre presque centenaire qui remonterait au Front Populaire. Elle opposerait "juillettistes", ceux qui aiment prendre le risque de savonner leur 2 semaines de congés payés sous la pluie en Bretagne, et "aoûtiens", peureux et friqués qui préfèrent l'aridité Andalouse. Bref, une guerre de stéréotypes qui occupe les premières pages de JT pendant que Bachar El Assad s'éclate au tir à la carabine dans cette belle fête foraine qu'est le Moyen Orient...

A l'heure pour moi de partir en vacances (ni en Espagne, ni en Armorique, ni au Moyen Orient), un petit point rapide et incomplet sur quelques dernières sorties à ne pas rater ou, comme le dit le Canard Enchainé, "qu'on peut voir à la rigueur". Au programme donc, J'ai rencontré le diable, Submarine, Un amour de jeunesse et Deep End.

J'ai rencontré le diable est très certainement le film le plus abouti du réalisateur sud coréen Kim Jee Woon. Mettant en scène deux acteurs géniaux (l'immense Choi Mon-sik vu dans Old Boy et le sémillant Lee Byun-hun, un habitué des films de Kim, vu notamment dans A Bittersweet Life), le film raconte la vengeance d'un flic dont la femme a été tué par un psychopathe. Loin de devenir le vigilant avide de justice qu'est par exemple Harry Brown dont j'avais déjà parlé ici, le personnage de Lee est contraint et forcé de devenir l'égale du "diable" pour assouvir sa soif de vengeance. Pour atteindre les cimes de la souffrance, il pourchasse sans relâche son adversaire en l'empêchant à chaque étape, de jouir des femmes qu'il voudrait tuer. Film absolu à la noirceur et à la violence rare, J'ai rencontré le diable est un thriller palpitant et sauvage, parcourant les paysages coréens une lame dans la bouche et du sang sur les grolles. Il consacre Kim Jee-woon au sommet du cinéma asiatique, lui qui avait déjà montré son adaptation à différents genres, s'approprie littéralement celui-ci et en livre sa version ultime, insurmontable.

Submarine est lui le premier long métrage du réalisateur Richard Ayoade, cantonné au clip jusqu'alors. Oliver est un jeune garçon amoureux de Jordana et soucieux de la santé du couple de ses parents. Mais quand on a quinze ans, comment être amoureux sans être niais? Comment passer le cap de la sexualité active ou encore, comment sauver une union parentale qui bat de l'aile? L'originalité de Submarine tient plus dans sa forme que dans le fond. Des errements et des questionnement de l'adolescence, toujours traités avec finesses, Ayoade tire autant de clip pop, parfois mis bout à bout avec un certain manque d'audace, mais aux savoureuses couleurs et au dialogues piquants. Le film vaut surtout pour la musique mélancolique d'Alex Turner (Arctic Monkeys et The Last Shadow Puppets) et pour le jeune Craig Robert (20 ans IRL et non 15), à qui la rondeur du regard devrait ouvrir quelques portes.

L'amour adolescent, je m'en rends compte, est véritablement le fil conducteur de ce mashup cinétique car mis à part le film de Kim Jee-woon, les trois suivants abordent cette même thématique. Mia Hansen-Love livre avec Un amour de jeunesse une variation autobiographique qui tend vers le cinéma d'Eric Rohmer et sa série des Contes. Tempo lent, bavard et contemplations estivales: une douceur atypique ce dégage de cette histoire d'amour portée par la jolie Lola Créton et le charmant Sebastian Urzendowski. Avec une économie d'effets dramatiques, Hansen-Love arrive à un résultat plutôt convaincant: elle évite les crises de larmes, les cris au profit des douleurs profondes, des jeux de regards et des silences naturels.

Enfin, quoi de mieux qu'un retour aux sources du film adolescent pour aborder le genre? C'est possible avec la ressortie des premiers films de Jerzy Skolimowski (auteur de Essential Killing cette année) dont notamment, l'introuvable Deep End, magnifique film pop de 1970 qui voit, dans un Londres acidulé, un ado de 15 ans s'enticher d'une jeune femme de 20. Le film est fabriqué autour de deux personnages très forts: d'un côté un jeune garçon pudique qui découvre la force du sentiment amoureux mais aussi l'effroi face à l'attitude de Milf tentaculaires; de l'autre une fille, à la rousseur hypnotique, qui se joue des sentiments du garçon sans savoir vraiment de quoi il est capable. De fortes images à la beauté restituée, croquant la nudité, la cruauté des jeux, la naïveté qui s'efface au fur et à mesure qui l'initiation prend forme. Un très bel essai. Vous l'aurez compris, l'été sera adolescent ou ne le sera pas...

mercredi 27 juillet 2011

NEUROSIS, La Machine du Moulin Rouge

Même si la majorité des disques passant sur ma platine ne sont plus rangés au rayon "metal", je reste attaché à quelques principes sinon quelques envies. Neurosis fait partie des groupes que je continue d'estimer, et surtout, que j'espérais un jour voir live. Leur dernier passage en salle parisienne date de 99, une année où j'avais à peine l'age de conduire avec un parent. Il semblait inconcevable de revoir la formation culte repasser dans une salle à Paris, surtout que Neurosis semble limiter ces déplacements à quelques points très précis (Londres, le Fury/HellFest, San Francisco ...). Miracle annoncé au printemps 2011: Neurosis jouera à Paris, le 23 juillet.


La machine est blindée, trop remplie même, abusant de la place (on parle de 950 tickets vendus), et affichant complet depuis 2 mois. Neurosis attire les foules, y compris tous ceux qui 12 ans plus tôt n'ont pas fait le trajet et qui veulent enfin voir le phénomène. Je ne m'amuserais pas à faire une liste de tous les présents, mais moults têtes inaperçues depuis quelques temps sont sorties de leur tannière pour l'évènement.


Je vais essayer de ne pas m'étendre sur Amen Ra. Les fans ont aimés, et c'est probablement bien là l'essentiel. Je me rappelle les avoir vu avec Switchblade il y a déjà quelques années et avoir trouvé ça extrêmement médiocre. Au lieu de saborder leur prestation que j'ai pourtant tenter de fuire, je dirais simplement qu'une partie de l'orga n'y croyait pas elle-même, en espérant que ça en dira suffisament long sur la qualité estimée de ce groupe.


Alors Neurosis au complet, avec Josh Graham qui se ballade dans la salle arrive, et ce qu'un bon fanatique appelerait "la messe" commence. Locust Star, le tube de Through Silver In Blood entame le set, suivi de quelques morceaux pris ici et là, de Times of Grace (Belief, End of the harvest) à quelques inédits (deux nouveaux morceaux, pour être plus exact). Le son du groupe semble être immense, mais sur le début, la sono semble difficilement suivre. Le son se précise toutefois au fur et à mesure. Dès la moitié du set, les enceintes de l'ex Loco semblent enfin aptes à suivre. Dave Edwardson est en grande forme, choucroute rouge sur la trogne, tee de crust fait main, il hurle comme un Didier Morville de Californie. Kelly et Von Till lui répondent dans un registre similaire: hochements de tête à tasser de la cervicale et hurlements bestiaux. Landis et Roeder, les forces tranquiles mais indispensables ne font pas tâche pour autant. Les morceaux s'enchaînent sans difficulté, Neurosis assure un show carré et impeccable. Pourtant, il y a comme un goût étrange qui se manifeste assez rapidement et qui s'amplifiera avec le temps: je me fais royalement chier. J'aurais aimer parler pour moi mais dès le lendemain les avis sur la toile traduisaient pour de nombreux présents une forme de déception, certains se demandant si ils sont blasés ou si ils se font trop vieux pour supporter le boucan. De toute évidence le spectacle est pourtant de qualité, mais quelque chose cloche. Mais quoi? Peut-être le sur-professionnalisme du groupe sur scène: rien ne déborde, tout est exactement comme sur disque, sans surprise. Rien ne dépasse excepté quelques pains. On peut facilement adhérer à un groupe qui ne se permet pas d'excès dans sa musique lorsque celui ci joue une musique exigente. On pourra mentionner Tool ou The Locust, jouant une musique extrêmement technique et précise et qui sur scène peut reproduire à l'identique ce qui est enregistré sur disque. Mais Neurosis ne joue pas une musique d'une telle maitrise. D'ailleurs, ça serait oublier que Maynard et ses potes savent aussi partir sur des improvisations et des retouches sur scènes. Alors Neurosis manchot? A moins que ce ne soit l'excès de sérieux de leur musique et de sa représentation qui ne soit responsable? Les 5 sur scène sont d'une rigueur "metal" obsédante, et le show est d'une rigidité abusive. A tel point qu'entre les voix parfois caricaturales et les projections en fond totalement misérables (non mais sérieux, des loups au ralenti, des corbeaux, la faucheuse... c'est une compilation de clichés minables !!) on rit au dépend du groupe et à plusieurs reprises. Mais eux non, ils font la gueule, lancent des regards noirs, ne causent pas pendant 1heure et 43 minutes (j'ai pas chronométré en fait). Ils sont Neurosis, le groupe de metal depressif de la première note jusqu'au dernier larsen.


Heureusement vient le dernier morceau: Through Silver In Blood, le morceau qui ouvrait l'album éponyme. Et ce n'est pas la joie de les voir en finir avec ce set poussif qui nous réjouit mais bien le spectacle offert sur ces 10 dernières minutes (la moitié est visible en bonus). Le quintet, toujours devant ses projection risibles détruit totalement sa musique, piétine tout l'équilibre maintenu jusque là. Von Till termine sa guitare, landis dégomme ses claviers, Kelly s'explose le front dans son micro, avant la fin tribale de roulements annoncant le déclin, la fin, le chaos. En 10 minutes, Neurosis sauve presque l'honneur du set pénible assuré jusque là. Mais soyons honnête: le groupe reste bien loin devant tous ses suiveurs. Ils ne sont pas de vulgaires artisans du riff étalé sur 10 minutes, non, ils demeurent des compositeurs âvisés, leurs morceaux restent des classiques, la construction de leur titres, bien qu'assez simple, est magnifiée par les climats: après tout ils ont inventés cette forme de musique. Et les voix si atypiques du trio Edwardson/Kelly/Von Till lui confère, en plus d'une puissance vocale singulière, toute son identité et sa force. Même décevant Neurosis écrase la concurrence.

mardi 26 juillet 2011

Sortilège de Daniel Barnz

Il est une tradition à Hollywood qui veut qu'un grand classique contient, indépendamment de son contexte historique d'écriture et de production, quelque chose d'universel, transposable à l'infini à travers les époques, les générations. Il s'agit de véritables mythes culturels, fondateurs de la culture contemporaine mais aussi de la représentation de l'homme au cinéma.

Sortilège est de ces films qui sont tirés d'un livre lui même inspiré d'un mythe. Difficile ici de ne pas voir la très nette influence du conte La Belle et la Bête, immortalisé par Jean Cocteau en 1945 avec Jean Marais et Josette Day. Un jeune garçon, imbu de sa personne mais dont la popularité est sans pareille se voit jeter un sort par une sorcière (Mary Kate Olsen en goth à froufrou tout droit descendue d'un podium de mode). Il a une année pour trouver quelqu'un qui l'aime pour ce qu'il est sinon sa beauté (physique) sera à jamais perdue et il sera condamné à être un laid jusqu'à la fin de ses jours.

Je ne grossis pas le trait, vraiment pas la peine, le film est bien bâti sur cette très frêle dichotomie qui veut que la beauté plastique soit dépourvue de toute beauté intérieure mais détienne un pouvoir de contrôle presque hypnotique sur les masses tandis que la laideur renferme des trésors de bonté et d'humanité. D'un côté Kyle (Alex Pettyfer), fils à papa élevé dans un luxe scandaleux, dans l'absence d'une mère et le dédain d'un père affairé qui ne se trouve une raison d'être que dans l'étalage naïf et prétentieux de son charme ravageur; de l'autre, la prolo du quartier, Lindy (Vanessa Hudgens, loin d'être moche), sans mère elle non plus, qui distribue des paniers repas aux SDF et cherche son père drogué la nuit dans les rues sombres de New York. Tout deux sont condamnés à s'aimer. Lui parce qu'il devient laid et elle parce qu'elle a su percevoir les blessures du bellâtre qui se la pétait grave.

Au delà de sa nanardise indiscutable, Sortilège dresse un portrait au vitriole d'une jeunesse qui n'existe nulle part et qu'on croit pourtant déceler parfois. Une jeunesse qui aurait vécu dans le confort matériel absolu mais qui aurait été délaissée affectivement. Kyle n'est poussé par son père qu'à être beau, à vivre pour cela et par cela, aux dépends des autres et du reste. D'ailleurs son père est incapable de lui adresser la parole plus de deux minutes. Lindy elle a été amenée à devenir mature plus vite puisque ses relations avec son père sont distendues. La primauté du paraître a étouffé la nécessité de vivre avec les autres.

Par ailleurs Sortilège résume assez bien ce que la société du paraître et du consommable a fait de la politique: une marchandise de confort vidée de substance. Le film s'ouvre sur un ubuesque discours de Kyle qui se présente à l'élection des Verts (écolo) de son lycée. Son seul argument est la beauté. Pire, il l'affirme haut et fort, il n'a que faire de l'écologie. Sa seule ambition est, justement, son ambition, son arrivisme, la nécessité de paraître mais de paraître au sommet. Et la salle comble de l'applaudir et de l'élire. On croirait voir une foule d'italiens heureux d'avoir encore réélu le gominé Berlusconi...

Sortilège est certainement l'un des plus beaux nanars de l'été, sinon de l'année. Son casting teen cheap et joli, ses dialogues abêtissants, son humour besogneux et sa dialectique de la beauté sont, pour le coup, hideux. Tout comme son romantisme à trois kopecks: c'est vrai qu'on a rarement fait mieux qu'un baiser final devant un Foot Locker... Placement de marque oblige! Il s'inscrit donc dans cette lignée des réactualisations médiocres et vulgaires, à l'image de ce qu'a pu être l'ignoble Sexe Intentions de Roger Kumble. Cette pochage vile et grotesque revisitait de la pire des manières l'ouvrage de Choderlos de Laclos, Les Liaisons Dangereuses. De la même manière, les producteurs s'imaginent que la poésie, la complexité de dialogues fouillées et d'intrigues raffinées ne sont pas des biens consommables pour de jeunes adultes en devenir. On en viendrait même à recommander le dessin animé de Disney...

lundi 25 juillet 2011

SWANS- Maroquinerie.

Les Swans dans la capitale, après un passage au bbmix quelques mois plus tôt. Christoph Hahn, guitariste lapsteel s'occupe de la première partie, et il est impossible de deviner que ce calme gentleman assurant seul sans distortion quelques blues et folks va devenir un des 6 malins invoquant le dieu Bruit quelques minutes plus tard, du moins il est impossible de se douter qu'il est aussi capable, à ce moment précis, de créer un tel fouin.


"Swans are not dead", annonce remplaçant une épitaphe longuement valide, prend son sens. Et c'est précisémennt les Swans qui jouent ce soir, soit Gira et Westberg, les deux seuls membres présents sur tous les disques du groupe -ou presque. Hahn est un fidèle du clan Gira, puisqu'opérant jadis sur l'album au lapin (avec Signorelli aux percussions), tout comme Thor Harris, le dieu nordique qui semble tout faire pour ressembler à une version folklorique de son homonyme, et Phil Puleo. Seul le bassite, Chris Pravdica semble être un nouveau venu dans la famille Gira agrandie. Pourtant Pravdica, avec Puleo, mènent véritablement la musique des Swans en live. Ils organisent, structurent les morceaux, qui ne deviennent plus que des idées, étirées jusqu'à l'épuisement des troupes. Difficile de reconnaître les morceaux, même si le dernier album est largement revisité. Gira, entre quelques abus d'alcools est parfois ailleurs, assure des danses qui embarasseraient n'importe quel être raisonnable dans une autre situation, se tape le cul, pousses des cris, manque de se tuer la gueule dans l'ampli à plusieurs reprises. Ce qui fait qu'outre le groupe qui joue impeccablement derrière, c'est surtout l'ultra imposant Norman Westberg qui semble un maitre silencieux imposant la légende, faisant vivre le mythe. Souvent en retrait, il ne participe qu'a des moments précis pour abbatre ses 6 cordes avec une précision et un entêtement qui ne parait pas perturbable. De courtes phrases, cycliques et plus rythmique que mélodique. Le reste du temps, impassible, il mâche son chewing gum et transperce du regard ceux qui oseraient le fixer. Puis lentement, se prépare à alourdir le boucan. C'est tout de même étonné qu'outre Heroin Sheiks et quelques disques de Foetus, on se rend compte que cet imposant musicien semble s'être peu aventurer en dehors des Swans- on espère un jour entendre quelques morceaux de NeVAh, groupe qu'il forme avec Signorelli (encore lui).
Le mythe de la no wave, de l'indus New Yorkais se débat donc avec ses propres fantômes de morceaux, en les étirants, en les torturant dans un chaos de bruit absolu que ne renierait pas certains artistes de Noise pure. Mais au vu de notre législation, il est surtout étonnant de voir à quel volume joue le groupe ce soir, défiant toute concurrence. Ils sont proabbelement bien au delà du décent, et joue dans un excès redoutable. Une prestation qui oscilla donc entre moment de pure génie et relachement vers une ceraine facilité, mais assuré par une formation qui au contraire de TG semble se soucier, tout de même, d'offrir un spectacle grandiose... et physique-le but du groupe, de ses débuts jusquà ce soir. Une cérémonie parfois discutable (on aurait bien amputé de quelques longueurs) mais totalement remarquable car la légende s'entretient, et plutôt bien.




Ps: Bonus vidéos ici.

jeudi 21 juillet 2011

Chico & Rita de Fernando Trueba et Javier Mariscal

Belle surprise que ce dessin animé espagnol aux graphismes voluptueux et parfois osés qui rend un séduisant hommage au jazz cubain. Nous sommes à la fin des années 40, Chico, pianiste et séducteur rencontre par hasard Rita, jeune femme à la voix suave et enchanteresse. Il lui propose d'être sa chanteuse et de participer à un concours avec lui. La joie du concours gagné est rapidement emportée dans la tourmente des sentiments amoureux: Rita est abordée par un producteur américain qui lui propose de se produire à New York. Chico, jaloux, envoie chier Rita qui s'envole seule, le coeur déchiré.

Chico et Rita ne s'arrête pas là et c'est bien son plus grand charme. Sur ces airs de conte cubain un peu rétro, le film fait la part belle à un musicien, le gigantesque Bebo Valdes, légende perdue puis retrouvée du jazz cubain. Chico et Rita s'inspire en effet de la vie du légendaire jazzman : Chico porte le nom de Valdes, traverse l'histoire du jazz de New York à Paris et sombre dans l'oubli le plus complet avant d'être ramené à la gloire par la nouvelle génération (Bebo lui a disparu environ 30 ans, jouant dans l'anonymat le plus complet à Stockholm avant d'être redécouvert au début des années 2000).

Plusieurs choses séduisent indéfectiblement. Tout d'abord, et c'est une évidence, la musique composée par Valdes transcende chacune des scènes du film et permet en filigrane de remonter la pendule musicale dans tous les sens de l'Histoire. Elle est sensuelle comme les rondeurs de Rita, colorée comme La Havane, chiadée et sophistiquée comme ce New York grisâtre. Samba, be-bop, tout y passe. Le film emmerde royalement les enfants. Les corps se dénudent et s'enlacent tendrement et les références pleuvent. On croise tour à tour des monstres tels que Dizzie Gillespie et Thelonious Monk, Nat King Cole et Charlie Parker, Tito Puente. On traverse 50 piges de jazz avec un bonheur énorme, sans délaisser pour autant les péripéties de nos deux amoureux.

Ces deux jeunes gens ne traversent bien évidemment pas que le jazz, ils sont également les témoins d'un monde qui bouge, constamment. Trueba et Mariscal dressent également une petite histoire de Cuba: Chico quitte son île sous la dictature de Batista, alors que les clubs et les matelots américains fourmillent dans la capitale. Il y revient en pleine révolution castriste; les temps changent. Le jazz, musique d'afro-américain, musique d'esclave devient un mode d'expression de l'impérialisme américain. Rita quant à elle, doit faire face aux préjugés raciaux qui règnent aux Etats-Unis, en pleine ségrégation. En cela, Chico & Rita rejoint quelque part Le Chat du Rabbin de Joan Sfar : défaire les clichés et asseoir une réflexion sur la tolérance.

Enfin, Chico et Rita s'avère être une profonde réflexion sur l'inspiration artistique et la célébrité. De l'éphémère succès du duo que les deux amoureux formèrent dans les années quarante, il ne reste qu'un lointain souvenir. Il en va de même pour la carrière américaine de Rita, emportée par son amour pour Chico et pour une prise de position politique courageuse (bien que prise sous alcool). Bref, Trueba et Mariscal rappellent que les racines de la musique cubaine et plus largement de la musique latine d'aujourd'hui se trouvent dans des travaux perdus d'artistes oubliés, victimes d’évènements politiques complexes. La relecture, la réactualisation, la redécouverte, comme fut celle des auteurs grecs pour les philosophes de la Renaissance, est une source intarissable de créativité nouvelle.

De La Havana à New York, du chaud au froid, les couleurs et les lignes épaisses de Mariscal ravissent autant que la musique régale. D'autant plus que l'hybridité formelle du projet (mélange de 2D et de 3D) est plutôt réussie. Non, le dessin animé n'est pas l'apanage des enfants. Qui l'eut cru d'ailleurs? Alors que règne en maître les American Dad ou South Park à la TV, que ces dernières années ont vu la consécration de cinéaste comme Mulloy ou Plympton, on savoure avec à propos, ce délicieux élixir musical et visuel chargé d'histoire et pour certains de souvenirs. Chico et Rita est au dessin animé ce que le Buena Vista Social Club de Wenders est au documentaire, une référence sur la musique et l'histoire de Cuba.

Sole & the Skyrider Band - Hello Cruel World

Sole n'a jamais été aussi bavard que depuis qu'il a quitté Anticon, entité qu'il avait formée. Bavard sur pleins de sujets d'actualité, bavard sur ses propres projets. Bavard, mais aussi généreux. Des mixtapes, des albums libres, des quantités de morceaux livrés avec son coeur. Sole est victime depuis peu de boulimie artistique. Son premier album avec le Skyrider band (un backing band rock, en gros) était vraiment bien gaulé, pleins de morceaux de bravoure et de pavés rageurs, entre digressions post rock et flow haineux. Il permettait justement de marquer une coupure avec les sorties Anticon de plus en plus insipides intellectualisées à outrance. C'est pourtant bizarrement que cette nouvelle sortie se rapproche de cette ambiance hip hop electronique qui se veut loin du hip hop, copulant avec la sphère pop, voire RNB. On découvre ses amours pour les productions à la timbaland, les envolées lyriques à la Justin Timberlake et les instrumentations oisives et fainéantes. C'est aussi un changement crucial dans son flow, qui se fait plus aéré, plus intimiste et loin de 300 mps (mots par seconde). En clair, SOle et le Skyrider Band explorent leur facette plus pop, pour le pire et pour le meilleur. Certains grands moments de bravoure sont disséminés ci et là sur la galette, avec un DIY proche du premier disque, piano et phrasé craché de rigueur. On apprécie aussi un home aint shit intimiste. Le disque pêche surtout par ses refrains chantés putassiers, ses passages haches au vocoder, son apporoche pop et ses sonorités synthétiques accouplés à une production raccoleuse. Sole a quitté le navire Anticon, mais livre son album se rapprochant le plus des sorties récentes de l'écurie (featuring de Sage francis en prime). Bien en dessous du premier essai avec le skyrider donc.

mercredi 13 juillet 2011

BLACK CHOW- Wonderland EP

Ms Hitomi est partout, elle s'incruste désormais sur le moindre sillon qu'enregistre ce bon vieux Kevin. Sauf que Black Chow est leur projet à eux, et personne d'autres. Pas de featuring, non les deux ensembles sur un projet commun. Pas une pièce rapportée à la dernière minute non plus. Black Chow sort là son premier EP, après avoir dispersé des morceaux sur quelques compilations (Souljazz, et Hyperdub, bref, les maisons de Martin d'une manière ou d'une autre). Black Chow est une sorte de forme mutante de King Midas Sound, c'est à dire un dub électronique ultra sexué et langoureux, qui se croiserait avec la teigne du riff 8bit tout sec qu'on rapprocherait plus, par fainéantise, de The Bug. La super nes en rut contre le minitel. La pochette, proposé par Ms Hitomi (encore) semble affirmer le propos: typo du web des années 90, couleur rasta, et Alice qui chute dans le cosmos face à un... critters (?). Deux faces dont une se décline en 3 versions "instrumentalement" identiques, mais dont la voix change, ou disparait totalement -idem pour l'autre face mais en double version, soit 2 vrais morceaux pour 5 pistes. Martin recycle ses propres sons et gimmicks, on sent qu'il tourne un peu en rond. Récemment, il admettait s'être investit dans la construction d'un modulaire. On espère que ce projet débouche sur une redéfinition de son langage. Ceci dit, ce 12" est un disque qu'on a plaisir à se passer, et même à se repasser.

mercredi 6 juillet 2011

VENETIAN SNARES- Cubist reggae

Depuis les Beastie Boys en mai, je me rend compte qu'aucune chronique ici ne déborde d'enthousiasme pour l'objet évoqué. On va finir par passer pour de pauvres aigris. Pourtant il existe encore des disques qui nous mettent en joie. Prenons exemple en ce début d'été avec le dernier vinyle, 4 titres, de Venetian Snares. La preuve absolue qu'il se passe encore des choses dans cette caboche bien amochée que celle d' Aaron Funk. Spécialiste du breakbeat hystérique et la surproduction (en terme quantitatif), Funk se prend parfois d'obsession totalement respectable, comme ce disque si bien nommé: Cubist Reggae. Ces morceaux font d'ailleurs forcément échos au 10" sorti chez Kriss. La première face est particulièrement réussie, Funk fait du dub comme on imaginerait que Booth & Brown en ferait: accidenté, composé de multiple granules, de sons glaciaux et d'infra basses subtiles. Après l'accalmie rythmique du second morceau- marquée par l'inflation de la lourdeur,la seconde face grimpe progressivement en BPM pour déboucher sur du typique Snares, abrutissant et hystérique, déluge de breakbeats au séquenceur surchargé. Léger regret, on aurait préféré que Funk essaie de maintenir son exercice de style imposé jusqu'au bout sans céder à ses pulsions. Néanmoins, on salue le résultat, loin d'être vain, et qui pourrait peut-être (on espère) déboucher sur un long.

BURIAL- Street Halo

Le roi de la musique "que tu te dois d'aimer absolument", de France inter à Thom Yorke, ressort de son placard, faisant suite à une certaine discrétion qui épiloguait un stakhanovisme remarquable (deux disques couronnés de succès en moins de 18 mois). Coup double avec le disque que l'anonyme -relatif- Burial partage avec la pleureuse de Radiohead et le très estimé Fourtet. Street Halo (pratiquement épuisé), toujours chez Hyperdub qui va boire la tasse plus vite que prévu, se compose de 3 morceaux, où les crépitements sonores se précisent et où les samples vocaux R'n'B d'un autre monde se mélangent toujours avec cette patte si reconnaissable. Mais l'inspiration semblerait presque loin, avec ce son de vinyle qui habille le beat un peu sec et les voix fantomatiques. Si peu de surprise, si facilement proposé. Pourtant, avec son coté rave party improbable capturée sur bande il y a 15 ans, le morceau qui occupe une face en solo tire le disque vers le haut. Retour en arrière, les gens lèvent les bras et la drogue leur fait croire qu'ils sont dans Flashback. L'anglais (?) se confirme confortablement dans sa propre grammaire: entre coup de génie de metteur en son, et inclinaison tenace pour un mauvais gout délavé.