jeudi 13 février 2014

La Belle et la Bête de Christophe Gans

La Belle et la Bête version Christophe Gans est typiquement le genre de films que l'on adorerait pouvoir aimer. Des acteurs principaux que l'on sait capables d'être charismatiques, un budget conséquent, le savoir faire de Gans, grand imagier (souvenons nous avec nostalgie des ambiances glauques et mélancoliques de son Silent Hill), et un conte fédérateur qui a habité l'enfance de chacun d'entre nous, que ce soit littérairement ou cinématographiquement (Cocteau ou Disney). Pourtant, impossible de s'attacher à quoi que ce soit dans cette relecture tapageuse et trop léchée pour être intrigante, d'un conte aux potentialités sulfureuses et poétiques pourtant évidentes. La Belle et la Bête est un récit de passage, un peu comme peut l'être le Marie-Antoinette de Sofia Coppola ou, bien évidemment, Alice aux Pays des Merveilles. Une jeune fille, très proche de son père, est contrainte à un choix cornélien: voir son père partir et disparaître, la reléguant à son statut de fille cadette, à jamais femme-enfant amputée d'une figure paternelle qui la porte ; ou bien devenir femme, et se jeter dans la "gueule du loup". La Bête, figure fantasmatique d'une virilité non maîtrisable, effrayante et inconnue, ne redevient homme qu'au moment du renoncement de la jeune fille à son statut d'enfant : en acceptant l'amour qu'elle lui porte, elle devient femme et le visage de celui qu'elle aime, alors, reprend les traits d'un être humain.

Cocteau avait su en faire un poème oscillant entre les brouillards d'un surréalisme feutré, pour ne pas dire bourgeois, et les convulsions érotiques baroques. Gans a lissé ses personnages à l'extrême, ne leur offrant que peu de prise psychologique et bien trop peu de temps pour en développer l'ampleur. Sa Belle est trop guindée, et ses bribes d'effronterie sont noyées dans une gentillesse de "fille à papa" bien convenante. Toutefois, il n'a pas évacué toutes les tensions sexuelles qui font de ce conte un récit initiatique : Belle entreprend bien de rompre le cordon qui la lie amoureusement à son père et accepte au fur et à mesure son statut de femme : elle échange ses haillons de paysanne pour des robes lourdes et chargées (passage des vêtements d'enfant aux vêtements de femme), elle accepte la potentialité érotique de son corps lors d'une danse avec la Bête où se noue un premier contact physique. Surtout, elle s'attache à lui en découvrant le passé du prince : à travers de gigantesques miroirs (circulaires et même ouvertement en forme de vagin pour certains), elle apprend à connaître cette bête qui fut autrefois un homme, certes impétueux et prétentieux, mais surtout obsédé par son besoin de dominer une Nature qui lui échappe. Et ici, bien évidemment, la Nature renvoie à l'altérité féminine, incomprise, double et fuyante, qui prend tantôt les traits d'une biche dorée, tantôt ceux d'une nymphe aux formes humaines.

Les flashbacks de Gans sont un procédé bien trop simples et bien trop explicatifs, dénouant toute possibilité érotique dans la relation qu'entretiennent la Belle et la Bête. Il n'y a, en réalité, aucun face à face qui nous permette de mesurer l'étendue de ce qui les sépare et, réciproquement, l'étendue de ce qui les rapproche. En cela, le dessin animé de Disney procédait bien plus judicieusement en accordant une place plus conséquente à l'évolution sur moyen terme de la relation entre les deux personnages. Chez Gans, l'amour de la Belle est surgissant et incompréhensible. Rien ne permet d'en justifier la présence, si ce n'est la mécanique d'acceptation onirique dans laquelle la Belle se plonge chaque nuit en découvrant le passé de son hôte... La Bête elle, reste un personnage éternellement sous exploité et sous exposé : le procédé de flashbacks, toujours, en dissout toutes les aspérités, tous les mystères, toutes les rigidités d'esprit, tous les fantasmes. Notre prince n'a rien d'un bad boy : il est juste un peu trop obsédé par cette biche. On aurait souhaité que Gans insuffle un peu plus de noirceur et de trouble dans ce personnage qui ne brille à aucun moment, ni par sa présence, ni par sa fougue, ni par sa bestialité. La seule séquence que le réalisateur consacre à son animalité nous montre la Bête chassant un sanglier et le dévorant. Là encore, il insiste peu ; ce qui l'intéresse vraiment, c'est la réaction de vierge effarouchée de sa Belle. 

S'il n'a donc pas renoncé à exploiter les potentialités psychologiques du conte, Gans n'en a déjoué aucun piège, dénoué aucun noeud, résorbé aucun litige. Il a gommé, autant qu'il le pouvait, tout ce qui donnait de la chair, de la volupté, de l'ambiguité à ses personnages principaux. Et rien, autour d'eux, ne vient instiguer un quelconque malaise, un quelconque trouble. Les personnages secondaires sont, au sens propre comme au figuré, secondaires : leur traitement est bâclé, autant que le casting a pu l'être d'ailleurs. L'actrice Myriam Charleins, qui joue la diseuse de bonne aventure, est hors sujet du début à la fin. Quant aux frères et soeurs de Belle, leur direction d'acteur est navrante et confine les personnages dans des caricatures grossières de faire-valoir. Un peu comme un joueur de foot en manque de temps de jeu qui veut trop en faire lorsqu'on lui accorde quelques minutes et qui, à force de jouer en surrégime, dérègle toute la mécanique de l'équipe en place...

Un peu, aussi, à l'image de Gans et de sa mise en image pompière. Visiblement frustré de ne pouvoir mener tous les projets qu'il a en tête (de Rahan à Fantomas...), le réalisateur du Pacte des Loups a voulu sortir le grand jeu et livrer une fresque esthétiquement époustouflante, baroque, grandiose. C'est très certainement ce qui rapproche cette version de La Belle et la Bête de l'adaptation d'Alice par Tim Burton : noyé dans une débauche numérique, précieuse et envahissante, le récit est neutralisé par la technique, les enjeux scénaristiques dilués dans l'obligation de fournir un univers visuel que l'on serait obligé de trouver beau. Or cette débauche, si elle ne peut se réclamer de Sade par son manque cruel d'érotisme et de poésie macabre, a de toute évidence l'effet inverse : elle frustre, renfrogne, écoeure. 

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