mardi 12 octobre 2010

Kaboom de Gregg Araki


Gregg Araki est, hélas, un réalisateur dont l’œuvre, dans le sens exhaustif du terme, reste encore trop marginalement connue. Kaboom, une des rares véritables sensations du festival de Cannes jouit ainsi d’une distribution plus que modeste (44 salles seulement) malgré la qualité phénoménale de cette belle besogne. On se consolera en consumant jusqu’à l’extase un film qui jouit par tous ses pores, sans réserve et sans aucun complexe.

Araki est un récidiviste. Il est l’un des derniers réalisateurs pop (avec Todd Haynes et John Cameron Mitchell) dans un cinéma qu’on trouve souvent triste, qui manque de couleurs, de folie, de singularité. Lui a toujours fait l’inverse et depuis bien longtemps. Déjà dans Totally Fucked Up, premier volet de sa trilogie adolescente entamée en 1993, il imposait une patte de dialoguiste hors paire et croquait avec une justesse incroyable une bande d’ados homosexuels un peu perdue et marginalisée.

Toutefois, Totally Fucked Up était encore relativement sage, épousant plus la forme d’une chronique presque documentaire à certains instants. C’est véritablement avec The Doom Generation et Nowhere que tout fout le camp. Le premier est un road movie sanglant mettant en scène James Duval et Rose McGowan dans une Amérique qui cache sous son puritanisme apparent de belles largesses et de sacrées perversions. Le second est un teenage movie délirant où le même James Duval s’interroge sur le sens de sa vie de lycéen paumé dans un Los Angeles où tout le monde est un marginal, à la recherche d’une pureté qui semble fuir tous ceux qui l’entourent.

Kaboom s’inscrit dans la digne lignée de cette trilogie adolescente. Smith (interprété par l’excellent Thomas Dekker) est un lycéen comme les autres qui fonce sur ses 19 ans, toujours un plan cul sous la main (que ce soit une fille ou un garçon) mais qui ne rechignerait pas à se trouver l’âme sœur. Seulement quelque chose se trame dans les travées du lycée ; un groupuscule aux intentions louches, une sorcière nymphomane et un rêve récurent qui dit tout en pointillés. Le pauvre Smith va se retrouver empêtré dans une machination qui le dépasse et le changement qu’il pressent va arriver plus vite que prévu.

On retrouve dans ce dernier long métrage, le nihilisme jouisseur de Nowhere. Il faut dire qu’Araki n’y va pas avec le dos de la cuillère niveau cul. Ni avec le nihilisme d’ailleurs ; l’Etat, la police, ses amis, ses parents. Le monde entier semble faire parti de cet incroyable complot qui se monte autour de lui. Une sorte de tragédie grecque, à la géniale absurdité, résolue dans une course poursuite en voiture complètement barrée et jubilatoire.

Si Araki donne cette impression de nonchalance durant toute la première partie du film, il n’en pose pas moins les jalons essentiels à son dénouement excentrique. Un rêve, une porte noire derrière laquelle se cache une réponse… Une intrigue sous-jacente d’inspiration lynchéenne (pas mal de choses rappel Twin Peaks, dont cette introduction onirique) qui garde éveillé l’instinct d’enquêteur d’un spectateur qui pensait n’avoir qu’à éjaculer durant 1h30.

Malin le Gregg. Et toujours aussi inspiré, notamment dans le recyclage. Le terme est peut-être mal choisi mais il reflète bien l’application avec laquelle Araki fait des choses formidables avec d’autres choses qu’il a testées sur d’autres films. L’introduction, si elle rappelle Twin Peaks, n’est pas non plus sans évoquer Mysterious Skin, les fondus rappel Smiley Face, l’esprit, je l’ai déjà dit, nous fait revenir au temps de Nowhere tandis que les apparitions de James Duval nous évoquent toute une trilogie. Comme quoi on peut être un génial récupérateur de ses propres idées sans tomber pour autant dans la mégalomanie.

Car Araki est loin d’être dans l’autosatisfaction. Il saisit à nouveau avec perfection les envies et les instincts d’une génération qui n’est pourtant plus la sienne. Dans le fond, Kaboom résume à lui seul cette incompréhension des enjeux d’un monde qui nous écrase et dont on ne peut s’extraire, ce besoin de faire du sexe pour partager, pour rompre l’isolement, pour se retrouver dans quelque chose de simple, de primitif, de presque animal. Pour ne plus être un au milieu du monde mais pour être le monde, à plusieurs.


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