Le dernier souvenir que l'on ait de Lars Von Trier est son fameux "dérapage" cannois, où nazion rimait avec admiration et circonspection mais aussi avec tradition puisque le réalisateur danois n'en est pas à sa première provocation, bla bla bla. Son nouveau film, Melancholia, n'a absolument pas besoin d'être jugé ou estimé à l'aune de cette anecdotique dérive. Un peu comme un enfant qui teste les limites, Trier s'est pris les pieds dans son propre jeu et l'a payé cash. Saluons le jury cannois qui a su faire la part des choses en remettant un prix d'interprétation à Kirsten Dunst.
Melancholia est à la fois dans la continuité de son travail récent sur la (sur "sa" en fait) dépression et les rapports homme-femme-mythologie/religion et un retour à une certaine idée du Dogme95, atrocement bourgeoise. Comme Antichrist, Melancholia s'ouvre sur un prologue de ralentis ultra travaillés à la beauté un peu toc mais évidente, sur une musique de Wagner qui annonce la prochaine apocalypse. Mélange de plans cauchemardesques et de visions astrales, il énonce les principaux enjeux du film: la solitude, la vaine fuite en avant du monde, le mal-être... Le tout noyé dans un symbolisme clinquant et parfois kitch.
Il établit également la principale dichotomie sur laquelle tourne tout le film puisque sa structure en chapitre y fait écho: deux femmes, deux perceptions du monde, deux influences astrales. Justine (Dunst) est sous l'influence de Melancholia, elle attend la fin, presque sereine, elle est incapable de profiter de son mariage, rongée par une peur qui se transforme peu à peu en un calme certain de l'inéluctabilité, désenchanté et sec, dépouillé de toute croyance mystique et de tout espoir. Claire (Gainsbourg) elle, est sous la tutelle de la Lune; personnage contradictoire, froid mais aimant, broyé lui aussi par la peur de mourir, la peur de tout perdre, par l'envie de se battre, pour son fils notamment.
Cette séparation au sein du genre féminin est une sorte de continuum du portrait hystérique et presque bestial que Von Trier dessinait dans Antichrist. Les femmes y sont plus complexes mais tout aussi insaisissables, comme ne répondant qu'à des logiques astrales inconnues (d'où l'exoplanète, qui ne respecte pas les rythmes connus du système solaire). L'homme, fort de ses certitudes scientifiques (Willem Defoe dans Antichrist, Kiefer Sutherland ici) est à nouveau bousculé par les forces de la nature et l'instinct féminin. Il connaît la vérité mais sa lâcheté le conduit à la cacher aux siens et à se voiler la face. Incapable d'accepter son échec et dans un acte de lâcheté final, il préfère se castrer (symboliquement) seul.
Von Trier maltraite en filigrane la croyance et la foi, en transformant son mariage en véritable carnage. L'institution religieuse est passée à la moulinette par deux personnages: le premier, la mère, jouée par Rampling, est haut en couleur et malheureusement trop rare sur l'écran. Elle déteste le mariage et promet déjà une fin douloureuse à l'idylle. L'autre, c'est la mariée elle-même, Justine, qui est saisie par cette mélancolie qui la rend incapable de profiter de ces instants de bonheur. Aucun temps n'est respecté, les invités sont de simples pantomimes qui ornent le luxueux décors. Tout cela en est ridicule tant le luxe abonde de façon inconsidérée. Le marié lui est fantoche: bercé d'une douce naïveté, il est renvoyé à son statut de jeune premier mignon mais inoffensif, contrarié dans sa sexualité passionnelle. Le mariage est sacrifié et c'est Justine qui l'achève sur le terrain de golf. Tout cela nous rappelle Festen, de Thomas Vinterberg, cofondateur du Dogme. Un repas de famille qui tourne au règlement de compte, où les vérités éclates, où les sourires de façade se fendent en de terribles déconvenues.
Ainsi va la dépression de Lars, d'un pessimisme sans beaucoup d’équivalent. Rien ne semble pouvoir sauver ce monde qui se ment, ni l'espoir, ni la science; ni l'homme, ni la femme. Et Wagner donc d'accompagner ce chant du cygne familial et terrien dans un final implacable mais loin d'être transcendant esthétiquement. La technique est une des limites de la démonstration de Von Trier, parfois maladroite et simpliste. Il n'empêche, pour une sortie estivale, Melancholia s'impose comme l'un des films les plus fascinants et dérangeants de l'année.
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