Ici bas on est du genre idée fixe. Du genre l’idée qui te trotte trop longtemps dans la tête. En l’occurrence cette blague là elle tient la route depuis 1997. Autant dire une éternité dans le monde des musiques dites électroniques. Une musique qui avance au gré des technologies, indéniablement, et qui possède les sonorités les plus marquées par une époque. Un disque électronique, en général, c’est marqué d’un sceau. Alors on joue vraiment au con avec ce groupe, qui finira par avoir ici (si ce n’est pas déjà fait) plus de chroniques que d’albums dans leur discographie. Normal, vous nous direz lorsque mon collègue se paye une dissertation sur UN morceau, avant de se payer une chronique fabuleuse du précédent album (Music for the Jilted generation). Normal aussi lorsque l’album sorti l’an dernier en est déjà à trois articles au compteur. Autant dire qu’ici, prodigy a plus de succès qu’en France.
Oui car ce qui est fascinant avec ce groupe, c’est qu’il fait clairement partie des entités mainstreams, de celles pour qui la sortie d’un album est un événement en soi, de celle pour qui une tournée se transforme rapidement en raz de marée. Raz de marée qui est moins valable en France ou le groupe est boudé, peut être à cause d’un vulgaire chauvinisme qui fait que l’on tient à notre soi disant french touch, que l’on préfère nos soirées animées par nos Daft Punk, Justice, Vitalic et consorts, représentants à la tronche plus catholique (désolé M. Fabius) d’un genre destiné à moisir sur les dancefloor de boites françaises et parisiennes (un monde à part) périmées, où bon goût ne rime pas avec prix de la vie. Prodigy est clairement cantonné à quelques tubes (peut être que 2009/2010 signe leur retour en grâce auprès d’un public français, retour qui se sera fait à coups de grosse artillerie live, guerre et feu), mais surtout et notamment à ce Smack my bitch up monstrueux, dantesque, agrémenté d’un clip tout aussi lourdaud et à la fois passionnant. L’histoire d’anamour, de haine, appelez ça comme vous voulez commence là, par un morceau surexposé, maintes fois entendus, un morceau que TOUT le monde connait mais qui est resté cantonné à ce statut de tube générationnel, qui fleurit toujours en soirée, et qui restera bloqué comme première piste d’un disque vendu par camion mais éternellement bloqué en mode repeat. Un clip censuré, un morceau taxé de misogyne et un groupe taxé de gros con (en gros) si on rajoute l’inscription dans leur livret, citation de Goring. L’histoire on la connait, parti de là Prodigy incarne un mouvement musical à lui tout seul. On lui trouve des copains de soirée plutôt pas fréquentables (Fatboyslim, sic !), et on l’affuble du sobriquet Big beat. Vaste blague que ce catalogage express qui permet de ranger une musique à tiroir plus facilement dans un de ces tiroirs justement, pour se débarrasser de quelque chose de trop encombrant.
Il a maintenant 13 ans, ce disque, autant dire que c’est un homme d’âge mur, qui devrait avoir la libido plus trop explosive, sur la pente descendante plutôt qu’en baraka. Et bien non. The fat of the land n’a pas pris une seule ride, ni dans les sons, ni dans la production, ni dans le genre, ni dans certains gimmicks. Autant, son successeur est déjà agaçant cinq ans après avec ces sonorités fisher price en guise de clavier, et une rythmique en pvc plutôt qu’en fer forgé, autant the Fat of the land reste en haut du slogan guerre et feu, et brandit le blason que Prodigy revendique sur scène. Une teuf, une méga rave qui se fait d’autant plus actuelle aujourd’hui qu’une grande partie de la scène électronique dite moderne (ces intellectuels de breakcoreux ou d’idm) reviennent à l’essence de leur musique pour rebalancer des sonorités genre caravane dans la forêt, pilules magiques et tête contre l’ampli (je pense au retour de Venetian Snares à ces sonorités par exemple). Une teuf où se rencontreraient tous les rebus de tous les genres, des fans de grosses guitares (les influences rock ne sont pas une nouveauté chez le groupe : Vodoo people), des punks à chiens, les fans de hip hop, les défoncés chroniques planant pour une dose de clavier sentant légèrement la marie jeanne. Un même dancefloor où agiter sa tête, entre compagnons exclus, entre compagnons visant le même idéal : le booty bounce.
Au delà de cet humour, de ces influences débridées, et surtout de cette efficacité qui fait mouche du début à la fin de cet effort (allez, Breathe est fatigante à la longue, peut être pour ça qu’ils la rejouent à une sauce différente actuellement), c’est surtout la justesse des arrangements, du choix sonore, la richesse du tout, la folie meurtrière rythmique agrémentée de quantités de beats au sens frappant du terme. Le tout est enveloppé dans une masse clairement audible de sons, de coupures rythmiques de superpositions de couches, de reprises thématiques orchestrées parfaitement. Prodigy sur the fat of the land, c’est l’aspect enfumé et efficace du rock au service de la musique électronique et de son aspect clinique, avec ces basses jouées comme si tu tenais ton propre instrument (Climbatize, ou LE meilleur morceau du groupe), ces rythmiques assassines que l’on peut mettre en parallèle avec l’approche que les Beastie Boys ont eu du hip hop (Diesel Power en étendard tue le hip hop). A l’heure où quantité d’artistes ont déshumanisé leur musique sous prétexte qu’ils pouvaient composer avec moins de budget, avec moins de temps requis, avec moins d’appareillage, avec des machines moins encombrantes. A l’heure où le premier guignol venu peut sortir sa production électronique, Prodigy rappelle avec ce Fat of the land la beauté et l’intérêt de l’instrumentation et de l’orchestration. Et c’est clairement ce qui a fait défaut à son successeur, qui sera composé de manière plus humble, plus cheap aussi, et qui sonnera en conséquence, mais qui restera supérieur à toutes les productions du genre dit electro clash mes couilles sur ton front, simplement orné de ce nom maudit : prodigy.
The Fat of the land reste toujours aussi actuel, aussi immédiat, aussi rond, aussi luxuriant, aussi accueillant et restera un de ces disques générationnels comme il s’en fera rarement. Un album clé pour passer au XXIème siècle, un album clé des années 90, et surtout un disque encore tout chaud, qui je le répète, 13 ans est toujours complètement actuel. Un article pour faire date, et surtout pour comprendre l’essence et l’apport de ce groupe sur la scène actuel, pour un disque qui fait date.
2 commentaires:
Chronique impeccable, disque excellent.
completement d'accord pour Climbatize!!! et avec le reste de l'article aussi d'ailleurs
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